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Citations de Paul Féval (264)


Il n’avait fallu rien moins que cette affection véritablement profonde pour amener Mlle Reine à conserver la direction de la maison de son frère malgré l’intrusion d’une jeune fille étrangère qui vint s’établir à l’hôtel, peu de mois après la mort de la comtesse, et que le général présenta tout d’abord comme étant Mlle de Champmas.
Suavita, la plus jeune fille du général, la fille unique de Mme la comtesse, avait alors onze ans. Son père l’adorait, mais elle avait eu une enfance souffrante et incessamment menacée ; le général était frappé de l’idée qu’il la perdrait.
L’autre, celle qui venait on ne savait d’où, fruit de quelque aventure de jeunesse, se nommait Ysole, et avait alors quinze ans. Aux reproches de sa sœur, chagrine et presque indignée de voir arriver cette étrangère qui allait partager les droits de l’enfant légitime, le général avait répondu :
– Dieu m’a pris ma femme qui était un ange ; Suavita est un ange que Dieu me prendra. Laissez-moi habituer celle-ci à m’aimer pour que je ne reste pas seul sur la terre.
Il expliqua alors que feu la comtesse, loin, d’ignorer l’existence de cette enfant, déjà reconnue, lors de son mariage, avait consenti à la légitimer par contrat secret, à la condition qu’elle n’habiterait point la maison paternelle.
La bonne tante Reine, soumise et dévouée, n’avait pas résisté longtemps. Non seulement elle n’avait point tenu rigueur à la fille naturelle de son frère bien-aimé, mais la tendresse était venue peu à peu et dans les derniers mois de sa vie, elle s’était faite la complice du général pour assurer complètement la position d’Ysole.
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Il y avait autrefois une ville en ce lieu, la cité de Lorre, avec des temples païens, des amphithéâtres et un capitole. Maintenant, c’est un val désert où la charrue paresseuse du cultivateur gascon semble avoir peur d’émousser son fer contre le marbre des colonnes enfouies. La montagne est tout près. La haute chaîne des Pyrénées déchire juste en face de vous ses neigeux horizons, et montre le ciel bleu du pays espagnol à travers la coupure profonde qui sert de chemin aux contrebandiers de Venasque. À quelques lieues de là, Paris tousse, danse, ricane et rêve qu’il guérit son incurable bronchite aux sources de Bagnères-de-Luchon ; un peu plus loin, de l’autre côté, un autre Paris, Paris rhumatisant, croit laisser ses sciatiques au fond des sulfureuses piscines de Barèges-les-Bains. Éternellement, la foi sauvera Paris, malgré le fer, la magnésie ou le soufre !
C’est la vallée de Louron, entre la vallée d’Aure et la vallée de Barousse, la moins connue peut-être des touristes effrénés qui viennent chaque année découvrir ces sauvages contrées ; c’est la vallée de Louron avec ses oasis fleuries, ses torrents prodigieux, ses roches fantastiques et sa rivière, sa brune Clarabide, sombre cristal qui se meut entre deux rives escarpées avec ses forêts étranges et son vieux château vaniteux, fanfaron, invraisemblable comme un poème de chevalerie.
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Étienne n’entendait rien ; il savait par expérience quels fantômes évoque dans la nuit l’imagination peureuse du paysan breton, et il commençait à nier, en lui-même, l’existence de ce personnage mystérieux qui était entré au manoir, d’après le récit du pauvre Claude. Comme il allait passer le seuil de la deuxième pièce, qui avait servi de chambre à coucher à la comtesse, il entendit ce chant doux et monotone avec lequel les jeunes mères bercent le sommeil de leurs enfants ; il s’arrêta, plus ému que s’il se fût trouvé tout à coup en présence de Geneviève elle-même. Pauvre belle sainte ! elle était là, donnant à la fille de Treguern les soins pieux de l’amour des mères. Et savait-elle seulement le premier mot de toutes ces fables qui couraient dans le pays affolé ?
Telle fut la première pensée d’Étienne. Mais le sourire attendri ne resta point sur ses lèvres. Ce n’était pas seulement douairière Le Brec, ce n’étaient pas seulement les gens de la veillée... Treguern lui-même avait quitté sa tombe pour lui parler de Geneviève !
Après la chambre où se trouvait Étienne, il y avait un corridor fermé par une porte vitrée. Étienne aperçut une lueur au travers des carreaux ; il souffla sa résine et continua d’avancer. Le cœur lui battait ; le chant de la jeune mère continuait, mais était-ce bien la voix de Geneviève ?
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Le cavalier Angelo Bembo regardait de tous ses yeux, et sentait bouillir son sang dans ses veines en songeant au dessein probable de ces deux hommes qui violaient clandestinement la retraite de sa jeune fille.
Car elle était à lui. — Du moins c’était l’avis du cavalier Angelo Bembo.
Le comte, cependant, s’était arrêté, immobile, à trois ou quatre pas d’Anna, et tandis que Paterson parlait en gesticulant avec une certaine emphase, White-Manor promenait lentement son regard éteint tout autour de la chambre.
Bembo n’eut pas de peine à interpréter cette scène : évidemment, le valet vantait les charmes infinis de la jeune fille, acquisition nouvelle, sans doute, tandis que le pacha, — nous voulons dire le lord, — faisait des réflexions mélancoliques sur la fragilité des voluptés humaines.
Angelo avait un désir passionné de lui briser le crâne.
Du reste, il ne le reconnaissait point.
Quand Gilbert Paterson eut terminé son éloquente tirade, le comte poussa un long soupir et secoua la tête en disant :
— Je voudrais qu’il y eût à chacune de ces fenêtres huit bons barreaux de fer…
— Oserai-je demander à Votre Seigneurie ?… commença Paterson étonné.
— Quatre en travers et quatre debout, poursuivit le lord ; — et je voudrais, Gilbert, tenir ici, au lieu de cette petite sotte, le fils de mon père qui, par le nom de Dieu ! n’en sortirait pas avant le jour de sa mort !
Le comte prononça ces derniers mots avec une effrayante énergie. Ses yeux mornes s’allumèrent tout-à-coup pour lancer un éclair sinistre.
Paterson courba la tête.
— Encore ce diable de Brian ! grommela-t-il ; — milord ne sort pas de là !
— Mais le jour vient ! s’écria tout-à-coup White-Manor ; — si bien déguisé que je sois, je sais un démon qui me reconnaîtrait d’un coup d’œil… Viens !… viens, Gilbert… Brian de Lancester me guette peut-être au passage pour me percer le cœur d’un coup de langue… Je ne suis pas en sûreté ici.
Le comte était pâle et frissonnait.
— Oh ! j’en mourrai, je le sens ! poursuivit-il d’une voix étouffée ; — et il sera comte de White-Manor.
Ce dernier mot donne la mesure exacte de la haine qui devait emplir le cœur de White-Manor.
Brian était son héritier légal.
Le comte se dirigea vers la porte.
— Mais regardez-la, au moins, milord ! dit Paterson désespéré ; — voyez quelles mains, quels cheveux !… Y a-t-il au monde une plus jolie taille que celle-là ! y a-t-il des sourcils mieux arqués, un teint plus blanc, un front plus pur ?…
Les marchands d’esclaves qui fournissent le harem doivent être de bien grands poètes !
Le comte revint machinalement vers Anna endormie, mit le lorgnon à l’œil et contempla un instant avec la froideur stupide d’un eunuque de cent ans la ravissante enfant qui posait devant lui. Son lorgnon glissa d’un pied charmant à une ceinture mignonne, de la ceinture à la gorge, de la gorge aux cheveux, puis son lorgnon retomba.
— Je la trouve passable, murmura-t-il avec lassitude ; — une autre fois, maître Gilbert… je reviendrai.
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Il n’y a, croyez-moi, qu’un seul homme au monde capable de tenir tête à Philippe de Nevers, l’épée à la main.
– Et cet homme ? firent six voix en même temps.
– C’est le petit Parisien, répondit Cocardasse.
– Ah ! celui-là, s’écria Passepoil avec un enthousiasme soudain, c’est le diable !...
– Le petit Parisien ? répétait-on à la ronde ; il a un nom, votre petit Parisien ?
– Un nom que vous connaissez tous, mes maîtres : il s’appelle le chevalier de Lagardère.
Il paraîtrait que les estafiers connaissaient tous ce nom, en effet, car il se fit parmi eux un grand silence.
– Je ne l’ai jamais rencontré, dit ensuite Saldagne.
– Tant mieux pour toi, mon bon, répliqua le Gascon ; il n’aime pas les gens de ta tournure.
– C’est lui qu’on appelle le beau Lagardère ? demanda Pinto.
– C’est lui, ajouta Faënza en baissant la voix, qui tua les trois Flamands sous les murs de Senlis ?
– C’est lui, voulut dire Joël de Jugan, qui...
Mais Cocardasse l’interrompit en prononçant avec emphase ces seuls mots :
– Il n’y a pas deux Lagardère !
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La porte du greffe restait ouverte, et l’on entendait le pas des sentinelles dans le vestibule voisin, mais la salle était déserte. Cette suprême entrevue n’avait pas de témoins. Aurore se leva toute droite pour recevoir Lagardère. Elle baisa ses mains garrottées, puis elle lui tendit son front si pâle qu’il semblait de marbre. Lagardère appuya ses lèvres contre ce front sans prononcer une parole, Les larmes jaillirent enfin sur les joues d’Aurore, quand ses yeux tombèrent sur sa mère qui pleurait à l’écart.
– Henri ! Henri ! dit-elle, c’était donc ainsi que nous devions nous revoir !
Lagardère la contemplait, comme si tout son amour, toute cette immense affection qui avait fait sa vie pendant des années, eût voulu se concentrer dans ces derniers regards.
– Je ne vous ai jamais vue si belle, Aurore, murmura-t-il, et jamais votre voix n’est arrivée si douce jusqu’au fond de mon cœur. Merci d’être venue ! Les heures de ma captivité n’ont pas été bien longues ; vous les avez remplies et votre cher souvenir a veillé près de moi. Merci d’être venue, merci, mon ange bien-aimé ! Merci, madame, reprit-il en se tournant vers la princesse, à vous surtout, merci ! Vous auriez pu me refuser cette dernière joie.
– Vous refuser ! s’écria Aurore impétueusement.
Le regard du prisonnier alla du fier visage de l’enfant au front penché de la mère. Il devina.
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Clément resta un instant abasourdi par ce dernier mot : « princesse ». Le fait est que ce mot sonnait singulièrement dans la bouche de ce pauvre petit être, qui grelottait sous ses haillons ; aussi, Clément, qui était un gamin de sens vif et décidé, eut-il bientôt honte de sa crédulité.
– C’est des bêtises ! dit-il tout à coup, le vieux s’est moqué de toi. Viens-nous-en à la maison : papa Cadet est à tous les diables, et, si maman Cadet ne veut pas de toi, nous nous en irons ensemble tous deux.
Il s’était levé, Tilde le toisait du regard.
– Tu es fort, toi, dit-elle, je t’aime bien. Ces gens-là, dont tu parles, est-ce ton père et ta mère ?
Clément haussa les épaules.
– Tu n’as pas l’air de les aimer ?
– La mère, si, un peu, répondit Clément.
– Tu m’as dit qu’ils te battaient aussi ?
Clément devint tout rouge, et ses yeux brillèrent.
Puis il haussa de nouveau les épaules, et répliqua d’un air fanfaron :
– La mère est trop malade, et le père se cache, de peur des gendarmes.
Évidemment, Clément trouvait cela tout simple.
Il n’en fut pas de même pour la fillette, qui fit la moue et dit :
– Alors, c’est du mauvais monde, allons-nous-en tout de suite, on se mariera quand on sera grand, nous deux, si tu veux.
Ne trouvez-vous pas que c’était sage ? Seulement, l’exécution de ce plan si simple fut entravée par l’entrée en scène d’un nouveau personnage.
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Ils vous avaient là-dedans des airs heureux. C’étaient de bonnes gens, et ils s’aimaient.
– Amandine, dit Échalot, nous avons à compter et à causer ; si nous nous lâchions le café noir, en qualité d’extra, et sans en prendre l’habitude ?
– Gros gourmand ! répondit madame Canada, qui avait déjà l’eau à la bouche. Va pour le café noir.
C’est ici un art éminemment parisien que de préparer le café. On a pour cela des ustensiles ingénieux et charmants, des bijoux qui laissent voir l’eau en ébullition au moment où elle saisit les parfums de la poudre favorite. J’ai vu des mains savantes et des mains charmantes toucher à la cafetière.
Je vais vous dire comment madame Canada faisait son café.
Pendant qu’Échalot comptait des sous et des pièces blanches dans un boursicot de cuir et traçait des chiffres sur un papier gras, Amandine ouvrit sa malle et y prit une feuille de chou contenant un bon tas de ce mortier compact qu’on appelle du marc, et que les garçons de café revendent aux viveurs peu favorisés par la fortune.
Ce marc, soit dit en passant, a déjà servi deux fois. Aussi madame Canada en prit-elle à pleines mains comme si elle eût voulu gâcher du plâtre.
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Les exécutions nocturnes qui avaient lieu derrière les murailles de la Bastille n’étaient pas nécessairement des exécutions secrètes. Tout au plus pourrait-on dire qu’elles n’étaient point publiques. À part celles que l’histoire compte et constate qui furent faites sans forme de procès, sous le cachet du roi, toutes les autres vinrent en suite d’un jugement et d’une procédure plus ou moins régulière. Le préau de la Bastille était un lieu de supplice avoué et légal comme la place de Grève. M. de Paris avait seul le privilège d’y couper les têtes.
Il y avait bien des rancunes contre cette Bastille, bien des rancunes légitimes, mais la plèbe parisienne reprochait surtout à la Bastille de faire écran au spectacle de l’échafaud. Quiconque a passé la barrière de la Roquette, une nuit d’exécution capitale, pourra dire si, de nos jours, le peuple de Paris est guéri de son goût barbare pour ces lugubres émotions. La Bastille devait encore cacher, ce soir, l’agonie du meurtrier de Nevers, condamné par la chambre ardente du Châtelet ; mais tout n’était pas perdu ; l’amende honorable au tombeau de la victime et le poing coupé par le glaive du bourreau valaient bien encore quelque chose. Cela, du moins, on pouvait le voir.
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L’institution des chambres ardentes remonte à François II, qui en avait fondé une dans chaque parlement pour connaître des cas d’hérésie. Les arrêts de ces tribunaux exceptionnels étaient souverains et exécutables dans les vingt-quatre heures. La plus célèbre des chambres ardentes fut la commission extraordinaire désignée par Louis XIV, au temps des empoisonnements.
Sous la Régence, le nom resta, mais les attributions varièrent. Plusieurs sections du parlement de Paris reçurent le titre de chambre ardente et fonctionnèrent en même temps. La fièvre n’était plus à l’hérésie ni aux poisons, la fièvre était aux finances. Sous la Régence, les chambres ardentes furent donc financières. On ne doit voir en elles que de véritables cours des comptes, chargées de vérifier et de viser les bordereaux des agents du trésor. Après la chute de Law, elles prirent même le nom de chambres du visa.
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Le roi était malade un peu ; Mme la marquise de Pompadour avait « ses vapeurs », cette migraine du XVIIIe siècle dont on s’est tant moqué et que nous avons remplacée par la névralgie, les médecins, pour leur commerce, étant obligés, comme les tailleurs, de trouver sans cesse des noms nouveaux aux vieilles choses. Sans cela, à quoi leur servirait le grec de cuisine qui les gonfle ?
M. le maréchal de Richelieu, toujours jeune, malgré ses 62 ans bien sonnés, se trouvait incommodé légèrement d’un rhume de cerveau, gagné l’année précédente dans le Hanovre, lors de la signature du traité de Kloster-Seven, qui sauva l’Angleterre, rétablit les affaires de la Prusse et commença la ruine de la France. Quel joli homme c’était, ce maréchal ! Et que d’esprit il avait ! M. de Voltaire, qui ne l’aimait pas tous les jours, disait de lui : « C’est de la quintessence de Français ! » Bon M. de Voltaire ! Il ne flattait jamais que nos ennemis.
Si vous me demandez comment le rhume de cerveau du maréchal durait depuis tant de mois, je vous répondrai par ce qui se chantait dans Paris :

Armand acheta sa pelisse,
(Dieu vous bénisse !)
Avec l’argent
De Cumberland...
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La partie grave et discrète de l’assemblée, qui se respectait trop pour prendre part à la danse, commençait à trouver le bal monotone et long. Les commérages languissaient, parce qu’on avait déjà médit de tout le monde. L’évanouissement de Blanche fit à l’ennui naissant une diversion tout agréable et vint raviver l’entretien.
Ce cercle respectable se composait de trois vicomtes, qui avaient été des hommes à succès dans leur jeunesse au temps des états de Bretagne, d’une demi-douzaine de bourgeois qu’on avait laissés se décrasser et mettre un de au-devant de leurs noms, parce qu’ils avaient mille écus de rente, et d’un nombre à peu près égal de dames antiques, portant, avec une solennité impossible à décrire, le ridicule orgueilleux de leur toilette et la laideur choisie de leurs visages.
On remarquait surtout trois petites personnes, toutes trois également jaunes, sèches, roides et vêtues de robes de soie violette d’une ancienneté incontestable. Bien qu’elles fussent encore célibataires, aux environs de la cinquantaine, ce qui déprécie, elles donnaient le ton à la société, parce que leur talent de médire était hors ligne, et que chacun de leurs coups de langue emportait net le morceau. Leurs rivales elles-mêmes, madame la chevalière de Kerbichel, épouse de l’adjoint au maire de Glénac, et madame Claire Lebinihic, jeune veuve à peine âgée de quarante-cinq ans, autour de laquelle soupiraient les trois vicomtes, étaient forcées de reconnaître la supériorité des demoiselles Baboin-des-Roseaux-de-l’Étang.
Il faut dire qu’elles avaient tout pour elles. L’aînée, mademoiselle Amarante, chantait, en s’accompagnant de la guitare, l’ariette légère ; la seconde, mademoiselle Églantine, la tremblante romance ; la troisième, mademoiselle Héloïse, attaquait, toujours avec la guitare, le grand morceau de caractère.
À cause de cela, le jeune M. de Pontalès, qui tout était permis parce qu’il était l’héritier de son père, les avait surnommées en masse les trois Grâces, et en détail l’Ariette, la Romance, et la Cavatine.
Elles avaient un petit frère, M. Numa Babouin-des-Roseaux-de-l’Étang, qui se tenait un peu à l’ombre de leur gloire, mais qui, néanmoins, passait pour un fort agréable joueur de reversi.
Quand Madame, aidée de l’oncle Jean, eut emmené Blanche, l’imposante réunion se rassit. Ses membres se regardèrent durant quelques secondes en silence.
– Voilà déjà deux fois que la pauvre petite demoiselle se trouve mal aujourd’hui !… dit le père Chauvette, qui seul, parmi tout ce monde aigre et roide, représentait l’élément charitable.
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C’était une chambre petite et presque nue, où se trouvaient pour tout meuble deux chaises et une couchette en bois blanc. Dans un coin se voyait une pauvre petite harpe qui n’était, hélas ! ni peinte, ni sculptée, ni dorée comme celle du salon de Penhoël…
Dans la ruelle du lit, au-dessus d’un petit bénitier de verre, pendait une image de la Vierge.
Diane et Cyprienne venaient de rentrer. Les quatre étages qui séparaient leur chambre de la rue avaient achevé d’épuiser leurs forces.
Cyprienne s’était laissée choir sur une chaise. Diane était tombée à genoux devant le lit, et sa tête brûlante se cachait entre ses deux mains.
En ce moment, il n’y avait aucune différence entre les deux jeunes filles : le courage de Diane fléchissait enfin, et son accablement égalait celui de Cyprienne.
Elles ne se parlaient point ; un voile était sur leur pensée confuse. Elles se laissaient aller à l’engourdissement du désespoir.
En ce moment de suprême lassitude et d’apathie profonde, elles ne songeaient même pas à la rencontre qu’elles venaient de faire.
Il y avait à peine deux ou trois minutes qu’elles avaient vu Blanche de Penhoël, leur cousine aimée, et nulle parole ne s’échangeait entre elles à ce sujet.
Elles ne pouvaient plus… Et pourtant, par suite de circonstances que nous connaîtrons bientôt, Diane et Cyprienne étaient à même de mesurer l’importance de cette rencontre fortuite.
Diane et Cyprienne n’ignoraient rien de ce qui s’était passé à Penhoël, après la nuit de la Saint-Louis. Elles savaient l’enlèvement de l’Ange, l’expulsion des maîtres du manoir et tout ce qui s’y rattachait.
Elles savaient que Madame, brisée de douleur, Madame, qu’elles aimaient si tendrement autrefois ! cherchait sa fille depuis deux mois, courant la ville au hasard et arrêtant les passants, comme une pauvre folle, pour leur demander son enfant !…
Mais il est des heures où l’âme épuisée reste sourde à toute voix. On dit que, dans les vastes solitudes d’outre-mer, le voyageur, accablé, se couche parfois sur la terre. Il reste là, immobile, haletant ; il reste, s’il entend au loin la voix menaçante du lion ou du tigre. Et, si tout près de lui, sous l’herbe, ce bruit sinistre se fait ouïr qui annonce l’approche du serpent, il reste encore.
Une demi-heure se passa ; puis Diane releva la tête lentement et jeta un regard sur sa sœur.
– Tu souffres ?… dit-elle.
Cyprienne serrait toujours sa poitrine à deux mains. Elle ne répondit pas.
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La grande salle de l’hôtel de Gonzague resplendissait de lumière. On entendait dans la cour les chevaux des hussards de Savoie : le vestibule était plein de gardes-françaises ; le marquis de Bonnivet avait la garde des portes. On voyait que le Régent avait voulu donner à cette solennité de famille tout l’éclat, toute la gravité possibles. Les sièges alignés sur l’estrade étaient occupés comme l’avant-veille ; les mêmes dignitaires, les mêmes magistrats, les mêmes grands seigneurs. Seulement, derrière le fauteuil de M. de Lamoignon, le Régent s’asseyait sur une sorte de trône. Le Blanc, Voyer-d’Argenson, et le comte de Toulouse, gouverneur de Bretagne, étaient autour de lui.
La position des parties avait changé. Quand Mme la princesse fit son entrée, on la plaça auprès du cardinal de Bissy, qui siégeait maintenant à droite de la présidence. Au contraire, M. de Gonzague s’assit devant une table éclairée par deux flambeaux, à l’endroit même où se trouvait deux jours auparavant le fauteuil de sa femme. Placé ainsi, Gonzague se trouvait adossé à la draperie masquant la porte dérobée par où le bossu était entré lors de la première séance, et juste en face de l’une des fenêtres qui regardaient le cimetière Saint-Magloire. La porte dérobée, dont les ordonnateurs de la cérémonie ignoraient l’existence, n’avait point de gardes.
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Dans le jardin, l’affluence augmentait sans cesse. On se pressait principalement du côté du rond-point de Diane, qui avoisinait les appartements de Son Altesse Royale. Chacun voulait savoir pourquoi le Régent se faisait attendre.
Nous ne nous occuperons pas beaucoup de conspirations. Les intrigues de M. du Maine et de la princesse sa femme, les menées du vieux parti Villeroy et de l’ambassade d’Espagne, bien que fertiles en incidents dramatiques, n’entrent point dans notre sujet. Il nous suffit de remarquer en passant que le Régent était entouré d’ennemis. Le Parlement le détestait et le méprisait au point de lui disputer en toute occasion la préséance ; le clergé lui était généralement hostile à cause de l’affaire de la Constitution ; les vieux généraux de l’armée active ne pouvaient avoir que du dédain pour sa politique débonnaire ; enfin, dans le conseil de régence même, il éprouvait de la part de certains membres, une opposition systématique. On ne peut pas se dissimuler que la parade financière de Law lui fut d’un immense secours pour détourner l’animadversion publique.
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En 1817, la principale auberge de la ville de Redon était située sur le port et avait pour enseigne un bélier noir, coiffé d’une auréole.
On connaissait le Mouton couronné à Rennes, à Vannes et jusqu’à Nantes ; bon logis à pied et à cheval, tenu par le père Géraud, ancien cuisinier au long cours.
Redon est une cité de trois mille âmes, assise sur les confins de la Loire-Inférieure et de l’Ille-et-Vilaine, au bord même de la rivière qui donne son nom à ce dernier département. Malgré son nom romain, elle renferme peu de monuments remarquables, et la maison de maître Géraud, portant six fenêtres de façade, rivalisait avec les édifices affectés aux plus illustres destinations ; c’était bâti en bonnes pierres comme la sous-préfecture, et grand comme la gendarmerie.
Devant la maison et au delà de l’étroite bande du quai, la Vilaine roulait ses eaux marneuses et saumâtres ; à marée haute, les petits navires caboteurs venaient jusque sous les fenêtres de l’auberge.
Les samedis au soir ou les jours de marché, vous eussiez eu de la peine à trouver une petite place dans l’établissement de maître Géraud. Il avait la triple clientèle des marins du port, des métayers et des gentilshommes. Bien souvent, quand toutes les chambres étaient pleines, la chaude et vaste cuisine servait de dortoir à un bataillon serré de matelots et de marchands de bœufs.
Aussi le père Géraud faisait-il d’excellentes affaires. Bien qu’il fût vieux déjà, les demoiselles du petit commerce de Redon supputaient parfois, dans leurs rêves, la somme probable de ses économies. Mais le père Géraud semblait ennemi du mariage, et comme il n’avait point de parents, chacun se demandait à qui profiteraient, un jour venant, ses honnêtes et rondes épargnes.
On était au milieu de l’automne, et ce n’était ni jour de foire ni veille de dimanche. Le Mouton couronné chômait ou à peu de chose près. La cendre était froide dans les fourneaux de la cuisine ; les crocs de fer des landiers ne soutenaient point de broches, et nulle marmite ne pendait à la grande crémaillère.
Maître Géraud pouvait fumer sa pipe à l’aise sur le parapet du port. Il n’y avait dans toute son auberge qu’une seule chambre occupée ; encore était-ce par des hôtes de hasard à qui le père Géraud, courtois envers tout le monde, mais sachant graduer ses politesses, ne devait point la respectueuse visite à laquelle s’attendaient ses vieux et fidèles habitués.
Ils étaient arrivés on ne savait trop d’où : deux hommes et une jeune dame. Leurs vêtements et leur apparence de lassitude semblaient annoncer une longue course à pied ; mais le maître du Mouton couronné n’avait point de défiance, et les avait crus sur parole lorsqu’ils lui avaient dit descendre de la voiture de Rennes.
Naturellement, leur bagage était resté au bureau.
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Le docteur tressaillit violemment au son de cette voix. Il releva son regard attaché sur la saignée avec une véritable terreur. Rio-Santo parlait. Rio-Santo était de nouveau l’homme redoutable devant qui tout pliait.
Moore venait de briser lui-même la chaîne qui garrottait la parole de cet homme, dont naguère il regardait l’impuissance en dédain. Il venait de lui rendre la faculté de commander, le pouvoir de punir.
Habile à réprimer ses impressions, il sut cacher sa crainte sous le voile du calme austère et impassible dont il couvrait d’ordinaire sa physionomie, mais il baissa involontairement les yeux devant Rio-Santo, dont le hautain regard avait repris vie, et dont le pâle visage recouvrait graduellement son expression accoutumée.
Cette transformation, dont on pouvait suivre les phases, ce changement à vue, eût ravi de joie une mère ou une amante, mais il devait faire naître dans l’âme ennemie du docteur Moore une terrible arrière-pensée.
Car ce cadavre, qui se redressait, était celui d’un maître, et d’un maître trahi.
Le sang coulait toujours. — Moore, absorbé par l’attention qu’il donnait au visage du marquis, dont chaque muscle reprenait tour-à-tour son expressive mobilité, ne songeait plus à la saignée.
— Assez ! monsieur, répéta Rio-Santo qui fronça le sourcil et porta la main à son cœur défaillant : — Voulez-vous donc encore m’assassiner ?
Moore ferma la saignée et croisa ses bras sur sa poitrine. — Il attendait son arrêt.
— Avancez-moi un fauteuil, dit Rio-Santo.
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– Voici la cassure ! dit-il.
Privé qu’il était de ses deux mains, il fit avec le corps, avec le cou, avec la tête des efforts inutiles pour rapprocher de la table funèbre la pierre qu’il portait pendue sur sa poitrine.
– Veux-tu que je t’aide, Étienne, mon ami ? dit tout bas Olympe.
L’homme sans bras ne répliqua point encore ; il avait enfin réussi à prendre la pierre entre ses dents, il la rapprocha de l’angle brisé. La nécessité lui avait appris à remplacer tant bien que mal les membres qu’il avait perdus ; la pierre fut présentée avec une certaine adresse et, du premier coup, elle s’adapta si parfaitement à la cassure de la table que l’homme sans bras put lâcher prise sans la faire tomber. Elle se tenait ferme en son lieu, et c’est à peine si l’on apercevait une fente légère entre les deux granits évidemment homogènes.
L’homme sans bras se redressa : sa large poitrine s’emplit d’air, et au fier sourire qui éclaira soudain son visage on eût pu deviner qu’au temps où la main de Dieu ne s’était point encore appesantie sur lui, ç’avait été un homme beau et vaillant. Il jeta un regard de mépris sur les fragments de pierre amoncelés autour de lui, et sur les trois caisses apportées récemment par le commandeur.
– Je n’ai qu’une pierre, moi, dit-il en montrant sa joie d’enfant, mais c’est la bonne !
Il ajouta en la reprenant :
– C’est moi qui accomplirai la prophétie ! Pourvu qu’elle tombe de haut, la pierre est assez lourde pour écraser le malheur de Treguern !
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C’était un palier d’aspect misérable, mais assez spacieux, éclairé d’en haut par un tout petit carreau dormant que la poussière rendait presque opaque. Trois portes délabrées donnaient sur ce palier où l’on arrivait par un escalier tournant, vissé à pic et dont l’arbre médial suait l’humidité. Les trois portes étaient disposées semi-circulairement.
À droite et à gauche de l’escalier étroit, il y avait en outre deux recoins, contenant quelques débris de bois de démolition, des mottes et des fagots.
Le jour allait baissant. On entendait aux étages inférieurs qui étaient au nombre de trois, y compris le rez-de-chaussée, des bruits confus, où dominaient les cliquetis de verres et d’assiettes. Une violente odeur de cabaret montait l’escalier en spirale et n’avait point d’issue.
Sur le carré de ce dernier étage tout était relativement silencieux. Par la porte de droite, sous laquelle il y avait une large fente, un murmure de discrète conversation sortait avec une bonne odeur de soupe fraîche. Derrière la porte du milieu, c’était un silence absolu. Ce qu’on entendait derrière la porte de gauche n’aurait point pu être défini, et même l’oreille la plus sûre aurait hésité sur la question de savoir si le martèlement périodique et sourd qui faisait vibrer la cage de l’escalier venait de là ou de plus loin.
Il semblait venir de là, mais c’était comme voilé et comme affaibli par une large distance. Néanmoins, à chaque coup, la cage de l’escalier subissait une profonde secousse.
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Elle n’eut point de réponse ; seulement, l’homme masqué lui montra sa main, où il y avait un anneau de fer. Nina recula.
Elle revint toute pensive vers Angélie et lui dit :
– Tu as raison ; je m’étais trompée.
Mais elle ajouta à part soi :
– C’est bien lui !... Que s’est-il passé ?... Il est le médecin de Barbe Spurzheim... Johann est-il mort cette nuit ?... Lui a-t-on volé son anneau du silence ?
Elle se retourna pour voir encore une fois l’homme masqué. Il avait disparu.
Cependant l’aspect du jardin du palais Doria-Doria avait changé complètement depuis une heure ; les abords de la grotte d’Endymion étaient maintenant déserts, et la foule des invités s’était massée de l’autre coté du belvédère, où se tirait le feu d’artifice.
C’est d’Italie que nous vient cette mode de jouer avec le feu et de transformer l’incendie en un savant clavier capable de produire pour l’oeil ces extases qu’un orchestre donne au sens de l’ouïe. Les volcans apprirent sans doute à l’homme cet art prodigieux d’arpéger la foudre et de lier en gerbes les tonnerres domptés.
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