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Critiques de Paul Gadenne (46)
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Baleine

Quintessence de la beauté, de la pureté de l’écriture, du pouvoir de la littérature, ce tout petit texte de Paul Gadenne. Court et magistral.

Publié en 1949 dans la revue Empédocle par Albert Camus, réédité en 2014 chez Actes Sud, nous avons entre les mains 34 pages en papier tissé, de couleur crème surannée, dans lesquelles chaque ligne est incandescente d’élégance narrative. Chaque ligne se fait bijou.



Sur une plage, quelque part en France, une baleine blanche s’est échouée. Ceci est le seul élément de cette nouvelle. Une baleine échouée qui fait naitre rumeurs, suspicions et devient le centre de toutes les conversations, au point que le narrateur décide avec son amie Odile, d’aller la voir de ses propres yeux. Cette nouvelle narre la rencontre. La rencontre avec la mort de ce colosse dans un décor profondément vivant. Et ce que la vision de cette mort va faire naitre chez les deux observateurs.



Il y a une transformation entre le moment où nous découvrons de jeunes gens engourdis, affalés, « écroulés sur le velours, dans un luxe bizarre de cristaux et d’appliques, nous protégeant, derrière une tenture à emblèmes », la déambulation pour rejoindre le lieu de l’échouage et l’observation. Comme si la vision puis la conscience de la mort redonnait vie. La métamorphose de la baleine en décomposition recompose le sens de la vie du narrateur, le sens de toute existence, à savoir la mort à venir. C’est fort et cela se fait en quelques pages. Brillant.



« Nous marchions à la lisière du bois. Le vent nous envoyait des aiguilles de pin dans la figure. Elles se piquaient dans les cheveux mousseux d’Odile qui avait pour les en retirer des gestes de chinoise devant son miroir ».



L’arrivée au bord de la mer est éblouissante. En orfèvre des mots Paul Garenne nous offre des paysages marins absolument magnifiques débordant de vie, de senteurs, de sons, de couleurs et d’odeurs.



« Nous ne cessions pas d’entendre cette respiration lente et hautaine, ces chocs sourds, cette voix dédaigneuse de tout éclat. Les lames se chevauchaient, puis s’affalaient sur elles-mêmes, avec de grands soupirs faussement exténués. Une mousse inconsistante se rassemblait sur le rivage, où elle restait seule à frémir, tandis que la déclivité entrainait les eaux ruisselantes ».



Et la rencontre de "ce trait jeté en travers de la plage comme une rature". La baleine. Blanche, d’un blanc sans lumière, un blanc gelé, comme le blanc du lait épanché…Et son corps en décomposition décrit dans ses moindres détails. Je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle avec la charogne de Baudelaire. Requiem pour Moby Dick dans cette description surprenante, cette « mare aux reflets de jasmin et d’ortie, cet épanchement paresseux, promis aux plus troubles métamorphoses ». J’ai rarement lu de description aussi aboutie, aussi troublante, aussi métaphorique. Et comme pour la charogne qui nous force à voir ce que nous allons tous devenir, le spectacle de la baleine en décomposition nous donne à voir le sens de toute existence. Dans un style narratif certes autre mais dans un message philosophique très proche finalement.



La fin se veut espoir. Quelques traces d’amour pour se rassurer, telle une bouée jetée en mer, l’éternité et le néant entrelacés. Nos observateurs, différents, semblent désormais baignés dans l’haleine bleue et glaciale d’une baleine morte.



Une nouvelle inoubliable, à lire, à relire…



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Baleine

C’est court, dense et magistral.

Démonstration :



L’objet est beau :

Une couverture rouge entoilée, des pages de garde bleu marine, 34 pages d’un élégant papier crème épais et même un petit tranchefile rouge : voilà pour la forme raffinée et très soignée qui à elle seule témoigne de la considération portée par l’éditeur à ce texte.

Publié en 1949 dans la revue Empédocle par Albert Camus, réédité en 2014 chez Actes Sud, il fait partie d’une collection que je découvre « les inépuisables », « joyaux littéraires destinés à traverser les siècles ».

J’aime, bel objet !



Le prétexte est simple :

Quelque part en France, « Un petit cercle d’endormis », « écroulés dans le velours » apprend qu’une baleine vient de s’échouer sur le rivage non loin de là. La rumeur va bon train : qui a entendu parler de la baleine, qui l’a vue ? « Elle est toute ensablée », « c’est de la pourriture »…

Suspicion, doutes, condamnation, Pierre, le narrateur, décide d’aller vérifier sur place avec son amie Odile si baleine il y a. Eux, ils y croient.

La baleine, belle figure allégorique dans la période d’après guerre !



Le texte est magnifique :

L’écriture est simple, extrêmement précise, les paysages sont d’une beauté évidente, les émotions suggérées laissent au lecteur un espace propice à l’interprétation de ce texte hautement métaphorique, les quelques dialogues, minimaux, sont ciselés par un authentique orfèvre des mots.

Il est rare de se laisser emporter par un récit aussi court, et pourtant la démonstration force ici l’admiration. C’est un texte essentiel selon moi, dans la lignée d’un Inconnu à cette adresse de Kressmann Taylor. Comment se fait-il que l’on n’en entende pas davantage parler ?



Ici tout n’est qu’ordre et beauté, sobriété, calme et sensibilité…A chacun d’interpréter selon son vécu.

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Baleine

Baleine est un court récit de la taille d'une nouvelle, - moins d'une trentaine de pages, écrit par un certain Paul Gadenne que je ne connaissais pas. Ce texte publié pour la première fois en 1949 par Albert Camus dans la revue Empédocle, m'a touché par sa beauté, sa grâce, sa profondeur.

Nous sommes dans une ville de bord de mer, une station balnéaire sans doute. Nous faisons la connaissance de deux jeunes personnes, Pierre et Odile. Je les devine nonchalants, avachis sur des coussins, des canapés, presque désinvoltes, étrangers au monde qui les entoure. C'est peut-être une histoire d'amour qui commence... Ils ne savent pas encore qu'une baleine va traverser leurs vies à jamais... Ce n'est pas rien une baleine, ça impose...

La beauté du texte de Paul Gadenne m'a invité à les accompagner, j'ai cheminé avec eux, porté par cette écriture ciselée comme un joyau...

Baleine, c'est le surgissement d'un monde en décomposition, celui de l'après-guerre, un monde privé d'espoir...

La rumeur s'est vite propagée : une baleine s'est échouée sur une des plages toutes proche. Elle n'a pas survécu, elle est là dans sa gigantesque et lente pourriture... Elle est là depuis quelques jours déjà...

Odile est heureuse que Pierre l'invite à aller voir la baleine échouée. C'est pour elle comme un conte de fée, une jubilation qui rompt l'ennui, l'invitation à venir voir le spectacle du fameux cétacé, ce n'est pas tous les jours qu'on peut voir une baleine de près, même échouée, même pourrissante, même devenant charogne. On ne sait pas vraiment de tout cela ce qui attire Pierre et Odile, ce qui les fait se dresser soudain de la mollesse de leurs coussins, oisifs... le monstre ? L'animal venu du fond de l'océan ? L'événement inattendu où il ne se passe jamais rien dans cette station balnéaire ? Ou cette masse qui pourrit et déjà puante, d'une odeur infecte ? Qu'est-ce qui les fait réagir soudainement et venir ?

L'écriture ciselée comme une pierre précieuse est d'une beauté incroyable, pure, précise, mystérieuse en même temps, et c'est ce qui en fait aussi son charme.

La magie de cette lecture tiendrait-elle à la présence d'un cétacé ?

C'est une histoire d'altérité et le sens de ce texte prend alors peu à peu forme dans cette allégorie car, bien sûr, on n'imagine pas que tout ceci a été écrit pour seulement contempler une baleine morte et qui va pourrir tranquillement sur le littoral.

Les mots ont cette précision et cette fausse incertitude qui nous laissent à la lisière d'un paysage presque au bord du vide... Je ne savais pas où j'allais. J'étais prêt dès les premières lignes à me perdre, à m'enivrer...

Il y a une grâce sans cesse à chaque page, - que dis-je, à chaque ligne...

Trente pages pour dire à travers une cathédrale de chair immonde et sublime en même temps, échouée sur du sable, la déchéance, la fragilité de l'existence, la vie après la vie, la vie après la guerre, ce qui peut advenir pour continuer à tenir debout dans ce désastre qui reste...

L'écriture de Paul Gadenne est d'une grande pureté. Je ne saurais dire en quoi elle est bouleversante. Tout paraît si insignifiant, si léger, tandis que les mots de ce texte commence à nous traverser de part en part. La beauté du décor est là, l'océan déjà, et celle de l'envers du décor encore plus belle, plus tragique peut-être.

Des phrases, des dialogues se posent, inachevés, peut-être que le vent du large les emporte...

La beauté de ce récit tient aussi à son mystère, ce qu'il recèle. Ce qu'il ne dit pas, ce qu'il ne dira jamais.

Peut-être que ce texte en si peu de pages nous permet de poser la main sur la beauté de la littérature, ce qu'elle est, sa force, sa puissance sidérale en nous. Ses abymes aussi...

Cette masse qui git dans sa putréfaction devient tout simplement belle sous l'écriture par l'écriture de Paul Gadenne, un monde à la dérive, une cathédrale blanche, béante dans sa blessure immonde, où entre le regard de Pierre et Odile, le nôtre aussi, le regard

Parce qu'à partir d'une charogne posée sur une plage, voilà une magnifique méditation sur la beauté, la beauté du monde, la seule essentielle.

L'indécision et le mystère planent sur l'endroit, les raisons, l'intrigue, on subodore une atmosphère de menace sourde, de presque fin du monde, mais tout cela est purement secondaire.

La seule question essentielle à poser devant une baleine qui pourrit sur une plage et dont la vue nous sidère est bien celle-ci : Pourquoi ?

Pourquoi ?

Éloge de la grâce, des effondrements, éloge des renaissances...

Le texte tient à deux autres mystères. Que vont devenir Pierre et Odile au retour de la plage, dans le chemin qui fracasse les existences, dans la tourmente de la vie d'après ? Après avoir rencontré une baleine échouée et pourrie... Et l'autre mystère, c'est nous, c'est moi : que vais-je faire non pas de ce texte mais des autres lectures à venir, puisque ce récit m'a déjà transformé... ?



Merci à Chrystèle et Sandrine qui m'ont encouragé à cheminer vers ce texte beau et rare.

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Baleine

Petite parenthèse de seulement quelques pages,

un souffle entre deux romans plus épais.

Puissant, dense, malgré sa finesse,

ce petit récit a toute l'allure d'un grand.



Publié en 1949, l'Europe d'après-guerre abattue

marquée par l'horreur de la guerre et la mort,

telle cette baleine en décomposition.

Cette oeuvre traverse le temps,

éternelle.



« … la baleine achevait cet univers chaotique, secrètement accordé dans l'invisible,

qu'elle était un monument posé sur le cataclysme européen. »



*

Pierre et Odile, le temps d'une petite promenade au bord de la côte.

Voir de leurs propres yeux

la baleine échouée sur le rivage.

Curiosité morbide, fascination pour certains,

Dégoût pour d'autres.



Sur la route en lacets,

la mer se découvre

puis se dérobe au regard.

Elle apparaît enfin,

sa surface si paisible, belle et pure dans son habit de cristal.



« La mer était calme, d'un froid lumineux, parsemée d'étranges secrets qui laissaient présager des profondeurs. »



Et puis lentement se dessine

une forme oblongue enfouie dans le sable.

Un colosse terrassé, rejeté par la mer,

Un mastodonte échoué sur la plage,

enlisé.

C'est elle.



« Nous avions cru ne voir qu'une bête ensablée : nous contemplions une planète morte. »



D'abord blanche et scintillante au soleil,

pareille à une montagne de neige,

la baleine se décompose.



« Ce blanc aurait pu être celui de certaines pierres, dont l'effort vers la transparence s'est heurté à trop d'opacité, et dont toute la lumière est tournée vers l'intérieur. »



Dépouille se parant de tons livides, verdâtres et mauves

Elle se teinte des nuances de la mort.

Viscosité, putréfaction, relent fétide.



Quelle tristesse de la voir

avant si belle, si majestueuse, si impressionnante, si puissante,

devenue apathique, insignifiante.

Déchéance.

Vanité.



« C'était là ce qui rendait à ces débris une importance, un sens – une menace – qui nous concernaient directement. Je le sentis en regardant Odile : une étrange, une décisive sympathie s'était nouée en nous pour l'être qui était venu terminer là sa durée, une sympathie qui nous isolait avec lui sur cette grève indifférente, entre la falaise immobile et les eaux en mouvement. »



Une rencontre qui change tout.

« Un pas vers la vérité »

Entre compréhension et mélancolie.

Fragilité de la vie.

Quête de sens.



« Une pitié démesurée, que nous ne pouvions empêcher de retomber sur nous-mêmes, nous montait à la gorge, devant les restes dérisoires de l'animal biblique, du Léviathan échoué. Cette baleine nous paraissait être la dernière ; comme chaque homme dont la vie s'éteint nous semble être le dernier homme. »



Un symbolisme dont eux seuls sont conscients.



« … nous pouvions nous convaincre que le monde se donnait l'illusion de poursuivre sa vie routinière et indifférente. »



*

A la fois poétique et sobre,

je découvre la magnifique plume de Paul Gadenne.

La beauté de l'écriture,

la puissance évocatrice des mots dans toute leur simplicité.



Surprise que ces quelques pages renferment autant d'éclat que de profondeur.

L'image de la baleine échouée sur la plage

cache la cruelle, impitoyable et inéluctable finalité de notre existence.



Une oeuvre métaphorique pour réfléchir et se laisser porter par les mots.

La certitude de revenir et d'emprunter à nouveau le chemin qui mène à l'océan.



Merci à toi Chrystèle pour ce merveilleux moment de lecture.
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La plage de Scheveningen

En attendant sa nouvelle affectation, Guillaume Arnoult, le personnage principal, erre dans le Paris trouble de 1944, égaré entre deux mondes qui ne parviennent pas à se rejoindre : celui d’avant et après l’occupation.



« Il arpentait Paris, avec cette légère méfiance qu’on vient de rendre à l’air libre. Il lui semblait que dans ce monde, qui était déjà le monde d’« après », il n’y avait plus de place pour le bonheur. Malgré lui, malgré tout son désir de retrouver le Paris où il avait vécu, il comprenait en circulant sur ces trottoirs gris, que personne n’aurait jamais plus vingt ans. »



Il se souvient des lieux, des connaissances dont les relations se sont arrêtées brutalement avec la guerre. Il se souvient notamment d’Irène, cette femme qu’il a aimée avant la guerre. Il est obsédé par la pensée qu’elle ait pu le quitter pour ce qu’il n’était pas, qu’elle est pu le juger à tort. Il projette sur elle la possibilité d’un apaisement et peut être une autre forme de bonheur. Parviendra-t-il à retrouver cette sérénité qu’il avait éprouvé avec elle devant la plage de Scheveningen, cette peinture de Ruysdael ?



« Il lui semblait soudain qu’elle seule aurait pu mettre fin à cette impression de solitude, d’abandon, de faute universelle où il vivait. »



Il lui devient vital d’éclaircir leur relation passée et décide de la retrouver. Mais tandis qu’il la recherche, contre toute attente, tout le ramène à Hersent, cet ami d’enfance, écrivain talentueux, accusé de collaboration: un traître. Guillaume ne parvient pas à réconcilier l’homme et ses idées, se refuse à le juger et s’interroge pour essayer de comprendre. Pourquoi ? Pourquoi a-t-il choisi cette voie, lui qu’il admirait tant ?

Un début prometteur non ?



Mais voilà, cela n’a pas suffi. Assez rapidement, j’ai commencé à regarder le nombre de pages qu’il me restait à lire, ce qui n’est jamais très bon signe… Bien qu’écrit essentiellement à la troisième personne, j’ai eu étrangement l’impression d’écouter un monologue. Même les rares dialogues m’ont laissé cette impression de monologue. En dépit de très beaux passages et une belle écriture enveloppante, le narrateur a fini par me noyer dans un entrelacs de réflexions plus ou moins métaphysiques. Je ne parvenais pas à comprendre où il voulait m’emmener. Je ne suis d’ailleurs toujours pas certaine de le savoir.



« Rien n’arrête le travail de la pensée. » dira Guillaume Arnoult. Et sa pensée est en effet toujours en ébullition : un mot, un paysage, un objet, un lieu, un geste le faisant dériver vers d’autres pensées pour revenir à celles qui le préoccupent réellement. Réellement ? Ou ne sont-elles qu’un paravent à d’autres pensées plus refoulées ? Il creuse, il fouille, s’interroge sur le bien et le mal, la responsabilité collective et individuelle, sur la justice (ou l’injustice) des jugements, sur la justification des châtiments, sur la solitude des êtres, la difficulté à connaitre autrui ; autant de thèmes qui pourtant m’intéressaient mais qui ne sont pas parvenus à maintenir mon intérêt.



Paul Gadenne est souvent présenté comme un grand auteur méconnu du XXème siècle. C’est d’ailleurs ce qui m’a attirée vers cette lecture, ça, et quelques extraits attrayants. Alors évidemment, j’aurais bien aimé afficher un enthousiasme un peu plus débordant, d’autant les qualités d’écriture sont indéniables. Mais le fait est qu’il m’a laissée sur le bord du chemin.

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L'invitation chez les Stirl

Vous est-il déjà arrivé d’accepter une invitation puis, une fois arrivé chez vos amis, de vous sentir légèrement importun, pas vraiment le bienvenu ? Ou peut-être, et même plus probablement, vous est-il arrivé, en vous rendant à une invitation, de craindre plus ou moins obscurément quelque chose de similaire. Une ambiance délétère, mais impossible d’en partir sous peine de grave impolitesse. Coincé là, dans le malaise…



C’est en substance ce qui arrive au héros de l’histoire, Olivier Lérins. Les Stirls, de vieux amis à lui, l’invitent depuis deux ans. Cette fois, impossible de se défiler. Ils possèdent une gigantesque maison dans le sud de la France. C’est un couple original, étrange, assez excentrique. Le mari est architecte, gagne fort bien sa vie, mais traite son métier avec une certaine légèreté. Un homme impeccablement poli, un fort bon ami. Avec la femme, Edith, sa relation est plus complexe. Une amie, une muse, une confidente, un amour secret peut-être…



Mais à peine arrivé, quelque chose est bizarre. Aucune voiture n’est venue le chercher à la gare. Chaque discussion se transforme en petite bataille. La belle Edith est en permanence accompagnée de deux molosses aussi déchainés que mal dressés, et qui ne laissent aucune place à l’intimité. Intimité qu’elle semble fuir d’ailleurs. Son mari est rarement là. La maison est gigantesque, en grande partie inhabitée, voir même inexplorée. Le climat est éprouvant, pluie et vent pour l’essentiel. Toutes les propositions d’excursion d’Olivier sont accueillies évasivement. Etrange séjour…



Paul Gadenne était un écrivain des années 50 aujourd’hui passablement oublié, dont la vie fut courte et passée en grande partie dans les sanatoriums. Du peu qu’on en trouve sur Internet, il était connu pour sa capacité à construire des ambiances pesantes en peu de mot. La lecture de ce livre le confirme.
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Baleine

Peu d'action dans ces quelques pages : une baleine venue s'échouer sur une plage se meurt.

Où exactement ? Aucune précision n'est donnée.

À quelle époque ? Rien ne permet de le déterminer.

L'auteur ne donne volontairement aucune information, aucune réponse aux deux questions ci-dessus, faisant de son texte un récit hors de tout, hors du temps et de l'espace, et dont la portée est universelle.



La baleine n'est évidemment qu'un symbole, une représentation de notre propre vie.

Animal marin puissant et magnifique, elle devient totalement vulnérable une fois échouée et d'une laideur pitoyable lorsque son corps massif commence à se décomposer.

L'auteur décrit avec finesse les paysages terrestres et marins dont la beauté contraste avec la laideur de ce qu'est devenue la pauvre bête ; il nous offre les odeurs agréables du bord de mer et celles désagréables du monstre pourrissant.

C'est superbement bien écrit !



Baleine est une nouvelle extrêmement originale, à la fois très sobre et très simple mais remplie de poésie.

Très belle, et tellement courte que je l'ai lue d'une traite deux fois de suite.
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La plage de Scheveningen

‘’Dans une guerre civile, c’est essentiellement votre position géographique au déclenchement qui décide de votre camp’’, a dit Hugh Thomas au sujet de la guerre d’Espagne. Mais certains aussi choisissent leur camp tôt, voire très tôt… Et parfois c’était le ‘’mauvais’’.



Nous sommes peu après la libération de la France. L’épuration bas son plein. Pour se protéger, chacun essaye de hurler plus fort que son voisin. Le héros, Guillaume, déambule un peu perdu dans ce monde en pleine mutation. Il retrouve son amour de jadis, Irène, jeune fille dont le charactère imprévisible fait en grande partie du charme. Sur un coup de tête, tous deux empruntent une voiture et partent en route d’une plage vue jadis sur un tableau flamand du XVIIème siècle. Leur voyage de retrouvaille se ponctue de souvenirs, de discussions aussi impromptues que décousues, et de tentatives (de Guillaume du moins) de renouer les fils qui peuvent l’être.



Au-dessus de cette histoire avortée et d’un récit à peu près dénué d’action, plane en permanence la figure de Robert Brasillach, à peine travesti sous le nom d’Hersent. L’un des écrivains les plus prometteurs de l’entre-deux guerre, critique de théâtre et de cinéma à qui l’on doit l’introduction du cinéma japonais en France… Devenu tête de proue et caution intellectuelle de la collaboration, auteur vedette de ‘’Je suis partout’’ où il appelait hebdomadairement à l’extermination des juifs ; arrêté, jugé et fusillé à la Libération ; dont la grâce fut personnellement refusé par De Gaulle malgré une pétition signée par les deux-tiers des écrivains français (dont Colette, Paulhan, Mauriac et Camus).



Comment le jeune homme brillant et charmant peut-il être la même personne que ce partisan acharné de l’ultra collaboration ? Comment ses rhétoriques déroutantes ont-elles pu se transformer en appels au meurtre enragés ? Que fait ce gringalet à grosse lunette avec son sourire d’adolescent au côté de Doriot en grand uniforme SS ? La schizophrénie est totale dans l’esprit de Gadenne, pour qui ces deux images n’arrivent tout simplement pas à se superposer. Et toujours, où qu’il aille, revient cette phrase : ‘’vous étiez amis, non ?’’



Gadene n’est pas homme à chercher des excuses ou aligner des explications. Il sait tout de l’homme qui a été fusillé et qui a été son ami. Il hait ses discours. Et il aime l’homme envers et contre tout. L’histoire, déroutante et sans explication, semble n’être là que pour souligner combien cette conclusion est elle-même déroutante et sans explication.

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Baleine

Pierre et Odile vont voir une baleine blanche échouée, morte et en voie de décomposition, sur une plage de la mer du Nord.

Cette nouvelle de 25 pages est brillamment écrite, la plume est d'une grande élégance et les images d'une grande beauté poétique.

Mais.

"Nous avions cru ne voir qu'une bête ensablée ; nous contemplions une planète morte."

Ça n'est pas une lecture pour les éco-anxieux.

Ni aucun autre anxieux.

Voici ces deux jeunes gens, libres et indolents, placés face à une vision saisissante de la mort.

On sent bien que ça les chamboule ; qu'ils ne seront plus jamais les mêmes après ça (sans qu'on comprenne trop, en fait, ce qu'ils seront ensuite ; j'ai trouvé la chute bien obscure).

Mais qu'on contemple une baleine sur la plage, ou un filet de merlan dans son assiette, le résultat est le même, non ? La mort y est tout aussi présente, n'est-ce pas ?

Creusons donc un peu la métaphore.

La baleine est décrite comme "un monument posé sur le cataclysme européen".

Ça se précise.

Cette nouvelle publiée de façon posthume (Paul Gadenne est mort en 1956) ne nous parlerait-elle pas d'une Europe éventrée et putréfiée par la guerre ?

L'intérieur visible de la baleine ressemble "à un laboratoire écroulé, à l'intérieur convulsé d'une usine".

Lors de leur retour de la plage, Pierre et Odile prennent un tramway : "Des soldats avaient envahi la voiture ; ils avaient bu, comme d'habitude, et commençaient à se prendre de querelle. le vin les avait rendus méchants ; on pouvait être sûr qu'ils avaient employé leur dimanche à quelque chose."

La querelle est leur métier, après tout. Mais c'est un constat assez accablant pour l'armée, ne trouvez-vous pas ? Et le témoignage d'un certain manque de foi en l'espèce humaine...

Alors, ce n'est que mon interprétation. Et ces 25 pages sont si pleines, si denses, qu'il est bien possible que chacun et chacune y trouve la sienne, totalement différente.

De quoi, mais de quoi parle "Baleine" ?
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Baleine

Sur une plage , quelque part en France, une baleine blanche s'est échouée.

C'est le seul élément de la courte nouvelle de Paul Gadenne, mais quelle nouvelle!

Où l'on découvre une bande de jeunes gens engourdis:"nous étions plusieurs à nous être réfugiés là, dans ce petit coin où nous pensions être oubliés, et nous restions écroulés sur le velours, dans un luxe bizarre de cristaux et d'appliques, nous protégeant, derrière une tenture à emblèmes.....ou attendant , peut être, qu'on nous annonçât une lueur sur la mer."



La veuve du capitaine, "femme assez mystérieuse et de beauté égale", leur demande s'ils ont entendu parler de la baleine blanche échouée sur le rivage:

"Une masse blanche qui brillait comme une carrière de marbre".

Très vite, toute la ville ne parle plus que de cela.

Pierre et Odile, adolescents du cru, décident d'y aller voir de plus prés.

Afin de mieux comprendre ce secret enfoui, " ce trait jeté en travers de la plage comme une rature".

Pour cela, il leur faut se rendre sur la grève, entre la falaise immobile et les eaux en mouvement." Nous fîmes lentement le tour de la merveille. Elle pesait sur la plage de tout son poids, comme si elle avait décidé d'appartenir dorénavant à la terre- ainsi que lui appartenaient ces rochers bas et anguleux, ces maigres plantes si raides, qui derrière nous étaient plaqués sur le schiste, et que la brise était bien à elle.L'animal tout entier nous mettait ainsi à l'épreuve. Car son aspect était celui de la pierre: c'était une hypogée dont le marbre aurait eu des tendresses de fleur."

"C'était un blanc sans lumière, un blanc gelé, entièrement refermé sur lui même,elle était blanche, d'un blanc fade, comme le blanc du lait épanché...ce blanc était bien à elle,tournant le dos à toute gloire, avec une résignation à peine pathétique, vraiment le blanc d'une baleine qui ne faisait pas d'histoires, qui fuyait l'éloquence et défiait terriblement les mots, une baleine d'un naturel trés simple........"en somme, très proche- de nous- une de ces baleines qui font penser:" Dire que nous aurions pu faire une si bonne paire d'amis!."....

Un texte lumineux et inépuisable, à lire et à relire, une écriture dense d'une pureté totale qui force le respect,un bijou de la langue française où chaque mot compte, un texte allégorique qui nous fait nous interroger et réfléchir à propos de nos destins: "

Un texte d'une sensibilité rare dont on désirerait citer chaque élément dans la collection : Les Inépuisables!, publié en 1949,dans la revue Empédocle

On ne peut en dire trop ......









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Baleine, suivi de L'intellectuel dans le ja..

«Nous étions plusieurs à nous être réfugiés là, dans ce petit coin où nous pensions pouvoir être oubliés, et nous restions écroulés sur le velours, dans un luxe bizarre de cristaux et d'appliques, nous protégeant, derrière une tenture à emblèmes -- elle-même détachée de ses embrasses et à peu près effondrée --, d'un excès de fumée et de mauvais disques, espérant l'incident qui nous donnerait la force de nous éloigner, ou attendant peut-être, qu'on nous annonçât une lueur sur la mer.»

Paul Gadenne dès la première phrase de cette courte nouvelle qu’est Baleine nous introduit dans un groupe d’endormis (nous tous peut-être...) qui vivent en vase clos, affalés, se voulant protégés de possibles intrusions extérieures par un confort factice. Le désordre, «la lueur» susceptible de peut-être les réveiller va s’incarner dans une voix, celle de la veuve du «Capitaine» annonçant qu’une baleine, pas n’importe quelle baleine, une baleine blanche «une masse blanche qui brillait comme une carrière de marbre» s’est échouée sur la plage.

Ce cadavre, cette masse de chair animale en les confrontant à la beauté et la décomposition peut-elle suffire à les réveiller de leur torpeur, les faire se lever ?

Seul deux d’entre eux répondront à l’appel de la baleine blanche. Le narrateur, Pierre, et Odile sa compagne vont aller ensemble à sa rencontre.

Ce cadavre de baleine va les confronter à la mort et leur redonner vie. Il va réunir toutes leurs questions, leurs aspirations les plus triviales et les plus nobles ; et toute la vie dans son horreur et sa beauté qui du chaos peut renaître :

«L’animal tout entier nous mettait ainsi à l’épreuve. Car son aspect était celui de la pierre : c’était un hypogée dont le marbre aurait eu des tendresses de fleur.



«Il était vain d’espérer découvrir encore, sous ces taches suspectes, sous ses nuancements délicats, la dépouille d’une idée. La plus vile rejoignait ici la plus noble entreprise. L’esprit fondait en eau. Un immense, un unique scintillement se préparait, un silence unique, --celui des pôles.»



« Tout ce qu’on aurait pu dire de la baleine, tout ce que la science ou l’histoire auraient pu nous apprendre, ne nous aurait rien appris. Car la seule chose que nous voulions savoir, c’était ce secret enfoui, ce mot de la création qu’elle représentait.»



Ecriture dense, d’une grande pureté où chaque mot compte et qui nous fait nous interroger, contempler des abîmes et atteindre des sommets où en quelques pages les contraires s'unissent. Un petit texte inépuisable.



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La plage de Scheveningen

L'ombre portée de Caïn



Dans “La plage de Scheveningen” de Paul Gadenne, je ne puis oublier les personnages de clair-obscur que sont Irène et Guillaume : ces deux êtres esseulés qui cherchent une langue commune pour ne pas choir dans la nuit de la parole.



Au-dessus de cet ouvrage plane l'ombre portée de la figure de Caïn, au travers du personnage de Hersent (double littéraire de Robert Brasillach). Irène et Guillaume sont en quête d'une impossible réponse concernant l'action de collaboration du personnage de Hersent (Brasillach), et ne peuvent pour autant hurler avec la meute. Ils savent trop à quel point il n'est pas de chose plus difficile que de condamner un homme.



La vision de Paul Gadenne n'est pas tant pessimiste que terriblement lucide (au sens étymologique de ce mot : “brillant”, et de ce fait éclairant sur la nature humaine). Gadenne creuse au sein des relations entre les êtres : il donne à voir l'infranchissable tranchée qui nous sépare tous les uns des autres.



Son livre entier est une sorte de “plaidoirie” : le personnage de Guillaume recherche Irène parce qu'il estime qu'elle l'a mal jugé ; Guillaume et Irène s'interrogent sur la légitimité de la justice française à condamner à mort le personnage de Hersent (Brasillach) ; sans parler du magistral monologue de Caïn à la fin du livre où les mots semblent littéralement vomir une bile noire sur le blanc du papier. D'ailleurs, ce n'est pas innocemment que Paul Gadenne a placé en exergue au seuil de son livre, cette phrase que Caïn dit à Dieu dans la Genèse : « Quiconque me trouvera, me tuera. » La justice des hommes ne convainc pas Paul Gadenne.



Caïn (autrement dit l'homme) ne peut accepter ceci : à savoir que « le vent souffle où il veut ».

Et si l'offrande de son bûcher n'est pas dûment reconnue, alors il n'aura de cesse d'avoir brûlé tous ses frères humains dans le noir brasier de sa folie destructrice.

Peut-être n'avons-nous inventé notre faible représentation humaine du Créateur de toutes choses que pour nous chercher en fait une excuse au mal que nous faisons : une manière de nous exempter de nos propres fautes. Orgueilleux que nous sommes, nous avons soif de détruire ce que nous n'avons pu créer de nos propres mains.

Depuis la Nuit des Temps, nous ne cessons de perpétuer « le Temps de la Nuit », comme pour mieux voiler la lumière vivante du soleil, éclabousser de sang son ardent visage de sel.



Paul Gadenne / Guillaume Arnoult ne veut pas juger un homme, même s'il ne soutient pas son action. C'est cette prise de position qui est la plus troublante et la plus noble au sein d'une époque où l'on condamnait à tour de bras, coupables et innocents mélangés. Gadenne écrira d'ailleurs une lettre à Robert Brasillach… qu'il ne lui enverra jamais.



Ce livre de Paul Gadenne est au fond comme un douloureux écho aux mots prononcés par le Fils de l'Homme sur sa croix de douleurs. Car notre lot commun est de ne jamais vraiment savoir pleinement ce que nous faisons ni même pourquoi nous le faisons. Et qui pourra bien nous pardonner cela ? Dans ce procès métaphysique, nous sommes juge et partie.



À présent, j'aimerais livrer aux lecteurs de ces lignes, un passage du roman, dans lequel Guillaume / Gadenne et Hersent / Brasillach s'entretiennent avec passion de questions métaphysiques, non loin d'un cimetière :

« – Tu m'excuseras, dit Arnoult, mais même si tu me prouvais en ce moment que l'homme est seul… Oui, néant pour néant, je préfère le néant complet… Si je ne puis compter sur une pensée juste, aimante, connaissant la raison intime de mes faits et gestes, en somme sur la mémoire de Dieu, eh bien, je préfère ne compter sur rien, j'abandonne à l'instant toute prétention, je ne veux pas être autre chose qu'une poussière à la surface d'une poussière, – cette poussière d'astres que du moins j'aurai passionnément aimée. Si ces hommes devant nous n'ont pu compter au moment de mourir sur la mémoire de Dieu, ces noms et ces dates sur leurs tombes sont de trop, ils nous mentent, ils troublent inutilement notre néant. Et ces tombes elles-mêmes sont de trop ! Si le monde continue à être ce qu'il est, Hersent, nous n'aurons plus besoin de cimetières, plus besoin d'aligner des tombes. Nous referons des charniers. (…)
– Solitude pour solitude, reprit-il devant le silence d'Hersent, celle de l'humanité entière prise dans le cours de son histoire ne vaut pas mieux que celle d'un homme pris en particulier. Accepterais-tu de passer ta vie dans une prison ? de passer ta vie sans témoin ?... Sans l'espoir d'un témoin, d'un regard sur toi, tu meurs ; et tous les gestes, les pensées de ce prisonnier qu'est chacun de nous ne vont qu'à invoquer, à susciter un témoin hors des murs entre lesquels nous vivons, et quelquefois hors de notre époque. Sans quoi on ne s'apercevrait même plus qu'on est en prison, hein, et il n'y aurait pas de différence entre la vie et la mort. le bourreau qui viendrait nous appeler au petit matin, qu'est-ce qu'il changerait à notre sort ? Rien. Absolument rien. Une fourmi écrasée, voilà ce que ce serait. Quelque chose de si accablant, de si inexistant qu'il n'y aurait même pas de quoi crier. Si l'humanité sait qu'elle vit sans témoin, elle est à elle-même sa prison. Nous sommes tous prisonniers, Hersent, dans ta perspective. Si Dieu n'existe pas, comprends donc, il faut le faire exister. » Paul Gadenne (in “La plage de Scheveningen”, p. 176-178)



Thibault Marconnet

03/08/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Les Hauts-Quartiers

Il en faut du souffle pour venir à bout de cette dernière oeuvre , publiée16 ans après la mort de l'auteur .

Surtout qu'il ne s'y passe rien , amateurs d'aventures passez votre chemin .

A moins que vous ne fassiez partis de ceux qui vivent et considèrent la vie , même de peu , même dans ce qu'elle a de plus ordinaire et trivial , comme une véritable aventure .

C'est de cela dont il s'agit .

Mais comme l'ordinaire n'est rien moins qu'ordinaire et que celui qui prend le temps et le recul nécessaire pour l'appréhender sous ses différentes strates sera récompensé ou puni de sa perspicacité , Paul Gadenne nous offre un roman foisonnant , riches en réflexions fondamentales , de ces réflexions qui affligent autant qu'elles peuvent nourrir la ferveur de l'homme en quête de sens .

Nous suivrons Didier Aubert dans son parcours de vie bref , intense et douloureux qui se terminera comme la passion du Christ .Ou presque .

Didier Aubert , en quête lui aussi . la quête de l'effacement , de l'oubli et de la transcendance . Nourri par des lectures de Maitre Eckhart , Kierkegaard, Peguy et j'en passe , il n'a d'autres but que d'écrire un traité sur la vie des Saints .

Difficile comme tâche lorsque on est désespérément homme et soumis à toutes les souffrances terrestres . Et il a son lot dans le domaine : tuberculeux , pauvre et exposé à l'opprobre qui sévit toujours plus dès lors qu'on a la malchance de vivre dans les "hauts-quartiers " .

De là Paul Gadenne nous offre quelques portraits représentatifs de cette société post-guerre où la bourgeoisie n'en finit plus de s'embourgeoiser . Au détriment du menu peuple bien sûr , il ne saurait en être autrement .Sous la bénédiction de notre Sainte Eglise priez pour nous . Et comme les accointances du pouvoir politique et du pouvoir religieux ne se sont jamais si bien portées , en ces périodes post traumatisme , où les fondations du système social se trouvent fortement ébranlées par toute l'horreur des années de guerres et ses atrocités , la canaillerie (ou bourgeoisie , c'est bonnet blanc et blanc bonnet chez Gadenne ) s'encanaille à qui mieux à mieux ,

Paul Gadenne ne fait pas de quartiers : Les personnages sont scrupuleusement analysés pour en faire sortir toute la noirceur et la perversité . Tous les mêmes , dans les hauts-quartiers au delà de leur apparence souvent trompeuses hélas pour notre Didier qui , quoique en quête d'effacement , nous offre le paradoxe de l'homme en proie à ses désirs de renoncement et/ou d'élevation et ceux plus primaires de l'homme en quête d'amour , d'affection et de tendresse .

Affection et tendresse qu'il croisera , sans pouvoir les saisir , la quête d'absolu ne peut pas s'embarrasser bien longtemps de tout ce que cela implique d',engagement et d'enracinement terrestre . L'occasion de rencontrer l'amour et ses méandres à travers des personnages excessivement complexes ou simples dont on ne parviendra jamais à saisir le fond malgré les interminables pages d'analyse psychologique !

Finalement notre homme de l'effacement a bien des difficultés à atteindre son but , tant ses sentiments exacerbés le ramène à la vie, enchaîné par ce corps souffreteux mais violemment vivant , révolté , plein de sève et d'exaltation . Il est bien loin le chemin de la sainteté et c'est tant mieux car sa révolte douloureuse , son regard sans indulgence sur l'humanité , son audace libertaire pied de nez à tout pouvoir coercitif constitue l'essence même de cette oeuvre : Finalement l'insolence et la liberté de penser dans un monde d'hypocrisie , n'est-ce pas le début de la sainteté ?

Alors ...

Déjà prometteur avec Le jour que voici , une oeuvre de jeunesse hélas quasiment introuvable aujourd'hui ( merci la BDP ! ).

Enchanteur avec La baleine , court récit métaphorique offrant multiples interprétations ,

Ténébreux et exigeant , hanté déjà par la culpabilité et la noirceur de l'humanité dans La Plage de Scheveningen

Paul Gadenne nous offre une dernière oeuvre encore différente , plus dense , plus douloureuse encore , dans un style d'une élégance rare qui n'est pas s'en rappeler l'écriture Proustienne , toutes proportion gardées , Dostoïevskienne dans ses obsessions .

En ces temps de folie et de fuite avant , voilà une lecture qui nous force à nous poser et à regarder sans complaisance le triste état de notre humanité .

On peut se demander pourquoi un format si dense , alors que ,emputé de quelques centaines de pages ,il aurait probablement trouvé plus de lectorat . Je ne peux m'empêcher d'y voir une forme expiatoire , pour celui qui fustigeait l'église et ses travers et qui pourtant était fortement empreint de tradition judéo-chrétienne . Façon aussi de mettre à l'honneur la notion de mérite : abruptement je dirais ....qu'il faut quand même se les farcir ces 600 ou 700 pages !
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Siloé

Voilà une première oeuvre de jeunesse de celui qui deviendra un immense écrivain , témoin douloureux de son temps .

Très vite je retrouve cette prose poétique fougueuse , qui m'avait emportée dans son sillage avec Les hauts-quartiers , Baleine , La plage de Scheveningen!



Crayon en mains , je m'engouffre dans cette veine littéraire avec une avidité difficilement contenue . Le livre est gros , chouette alors , j'ai de la réserve donc .



Et c'est sur les pas de Simon que je vais remonter un long chemin initiatique qui , ô délice pour la montagnarde en sommeil que je suis , me conduira dans les Alpes .

Un sanatorium en pleine montagne où Simon restera un cycle , un an , le UN dans sa grande unité .

Parce que la grande Sorbonne et ses perspectives semblent anéanties suite à la tuberculose qu'on vient de lui diagnostiquer ,

Parce que c'est un être en quête de sens et qu'il sent une part manquante dans son chemin tracé jusqu'ici dans la voie intellectuelle : Une centaine de pages d'ailleurs en guise de prologue peuvent décourager les lecteurs les moins motivés ...Paul Gadenne nous dresse une satire décapante du milieu universitaire de l'époque ....Cette description minutieuse et sans fin est à la mesure de l'ennui poussiéreux et oppressant de cette intelligentsia en dehors des réalités .

Simon trouvera enfin La voie , Le sentier caché , Le chemin , L'unité au contact de mère Nature dans sa forme la plus puissante en écho à sa soif d'absolu . Mais parce que l'être humain a besoin de passer par l'affect et la relation avec l'Autre , c'est par Ariane ( On ne s'étonnera pas du prénom ) , Minnie ,Jérôme et les autres que sa transformation intérieure se fera ....

Ariane , figure presque irrélle et évanescente au départ et qui prendra corps au fil du temps , peut-être trop ....Car celle ci ne peut que rester une transcendance aux yeux de Simon qui préfère son absence à sa présence à ses côtés .(si si je vous assure . )

Minnie , l'incarnation du mal et de la tentation , du grand péché qui , par sa présence , saura renforcer sa détermination sur le chemin opposé , vers le plus haut de cieux ....(là encore je vous assure )



Citation :

«C’est qu’il existe parmi les fautes des fautes qui occupent une place à part; qui, au lieu d’obscurcir la conscience, l’éclairent et jettent sur le cœur une clarté d’évidence dont peut profiter la conduite. Simon ne pouvait plus en douter : Minnie appelait Ariane, comme la maladie appelle la santé, comme le doute appelle la certitude, comme la nuit appelle le jour.»



Mais aussi Jérome , le grand témoin silencieux , son pinceau à la main . Peut-être le plus bavard pourtant dans la profondeur de son silence , il suffit de savoir entendre Le silence ...semble nous dire Paul Gadenne .

Entendre , voir , sentir , c'est par les sens que Simon poursuit son long chemin initiatique . Dialoguant désormais avec les forces vives de cette nature , tout au long de ses promenades en compagnie d'Ariane , presque irréelle et se fondant avec la blancheur de ce décor pur et cristallin , une sorte d'entité en dehors de la vie qui guidera Simon jusqu'à la guérison ...De l'âme .



Bon , il est bien évident que nous pensons tous à La montagne magique ( tiens il faudrait que je le reprenne . En voilà un qui m'est tombé des mains au bout de 100 pages ) .

Mais je n'ai pas été du tout surprise d'apprendre qu'il était un grand admirateur de Giono ! Son écriture d'emblée m'a permise d'établir cet étrange parallèle à priori. Dans cette idéalisation de la nature , ce souffle mystique lyrique impressionnant , cette imagination tentaculaire ouvrant les portes à une vision quasi onirique .





A part que .....

Crayon en mains ....j'ai fini par m'essouffler ! Et chouette alors il ne reste plus que 100 pages .

A vouloir trop embrasser , mal étreint . Les thèmes sont ceux qui appartiennent à l'essentiel , nous sommes dans un incessant questionnement philosophique , sans relâche . Chaque phrase remet en cause la précédente . Le grande doute et la remise en question de chaque acte ou pensée .Et tout cela dans une ferveur mystique qui donne envie . Ou qui éloigne .

Péché de jeunesse ? Probablement ..... Mais je crois que ça restera malgré tout une de ses grandes caractéristiques : il s'emballe , s'enflamme ....Euh ....s'étale ? Oui ! Certes avec un indéniable talent , son écriture le range parmi les plus grands , ceux qui appartiennent aux "Classiques " .

Mais est-il sévère de percevoir une certaine forme de complaisance dans ce long roman en prose poétique qui , à vouloir trop exalter , finit par nous lasser .

Bon . A part ça ?

Lisez Paul Gadenne . Parce que quand même je l'adore .
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Baleine

Une baleine s’est échouée sur une plage, quelque part en France.



Voici l’unique évènement de cette nouvelle de Paul Gadenne. Autour de lui, l’auteur nous emmène, par le biais de ses deux personnages, dans les méandres des émotions, des sentiments, des impulsions et des valeurs que peut susciter la mort d’une icône de la mer .



Je ne suis pas familière des nouvelles. J’ai beaucoup de mal à me satisfaire de leur lecture souvent trop brève qui me donne tout juste le temps d’entrevoir les personnages ou l’intrigue et me laisse frustrée sur le dernier mot de la dernière page. Ce ne fut pas le cas de « Baleine ». Un bijou de la langue française où toute l’ampleur et la force des mots, de la grammaire, de la syntaxe, de la ponctuation sont au service de l’écriture splendide.



Un cheminement précis, progressif qui évolue comme un crescendo avec son train d’émotions.



On se retrouve échoué pour de bon sur la plage de notre réalité avec notre indifférence chronique face aux banalités de notre monde qui sont autant de briques indispensables à son édifice.



Une nouvelle à découvrir, à lire et à relire…


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L'avenue

Publié en 1949, L'Avenue est le quatrième roman de Paul Gadenne et pourrait être lu comme une variation, cette fois lumineuse à la différence du crépusculaire et maléfique Vent noir, sur le thème de l'impossible Reprise qui toute sa vie hanta le grand Kierkegaard (et Gadenne, n'en doutons pas), thématique profondément existentielle que nous avons déjà évoquée dans la Zone.

Cette Reprise ne peut se produire, logiquement, qu'une fois la séparation consommée qui, dans notre roman, a lieu dès les toutes premières lignes,dans une belle scène de cohue et de foule française en déroute sous le feu allemand : le sculpteur Antoine Bourgoin est séparé de sa femme, sans qu'il n'en éprouve beaucoup de tracas ni de peine.
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La plage de Scheveningen

La Libération – Guillaume Arnoult est de retour à Paris pour retrouver son amour d’avant guerre Irène. Ils décident, le temps d’un week-end, de retourner au plus près d’un moment mémoire de leur ancienne relation : la fameuse plage de Scheveningen peinte par Van Gogh ou Salomon de Ruisdael. En parallèle se déroule le jugement de Hersent, un ancien camarade de lycée, devenu un célèbre journaliste collaborationniste. Par bribes vont remonter des souvenirs, des obsessions, des blessures qui vont alimenter une réflexion aussi bien sur la relation amoureuse que la relation de Guillaume envers Hersent dont l’écho mutuel ramène à la surface des sujets comme la trahison, le courage, la force, le destin …

Outre la richesse des idées émises qui sont loin des poncifs souvent émis, j’ai surtout apprécié le style de Gadenne précis dans les descriptions des sentiments mêlés aux paysages. Un auteur dont je compte parcourir d’autres œuvres …

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Les Hauts-Quartiers

C'est l'histoire d'un malade, d'un pauvre tuberculeux dans une ville de Province, qui tente tant bien que mal de rédiger des travaux sur la vie mystique, mais le spirituel n'est pas possible dans ce monde de la Barbarie : la hache du jardinier, les ragots des vieilles filles, l'hypocrisie des curés, l'immondice des marchands, le scandale de l'Argent, tous ces horribles bruits traquent et attaquent cet écrivain religieux qui a perdu la foi parmi les "croyants"... Tout est gâché, il laisse partir les femmes qu'il aime, et on s'indigne contre ce personnage qui refuse le bonheur, on ne comprend pas pourquoi il reste dans sa stérile souffrance solitaire, mais progressivement on saisit de quoi il s'agit au fond : c'est l'humilité, l'humilité christique de celui qui cherche le bas des bas-fonds, qui veut vouloir la pauvreté la plus abject, pire, le mépris de tous, et peut-être avant tous des femmes, et il finit par réussir, avec cette sorte d'ouvrière violée qui vient le voir pour qu'il devienne son mari et donne un nom à son enfant, il accepte cette fille et enfin parvient à se hisser à sa bassesse, et ils finissent "suicidés" sur ce qu'on pourrait appeler leur lit de noce, chastement embrassés dans la mort qui vient tout réconcilier. Après tout, peu importe les bêtises qu'en diront les journaux de la bourgeoisie cléricale, ce qui compte ce sont ces coeurs qui sont enfin parvenus à aimer, jusqu'au fond, jusqu'à la fin de tout amour, jusqu'à la mort. Et si la sainteté n'est plus possible dans ce monde où le Christ a été renversé par les bien-pensants, elle est atteinte par l'abandon, pur et généreux, de sa vie à l'autre, de la mort volontaire de son ego grâce à l'absolue Charité - "la seule découverte faite dans ce monde depuis deux mille ans".
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L'invitation chez les Stirl

Si ce n'est pas une oeuvre majeure de Paul Gadenne et que celle-ci comporte bien des maladresses , il n'en reste pas moins que ce court roman , que je qualifierais plutôt de longue nouvelle , possède un charme particulier lié à ce qu'il déclenche dans le lecteur une frustration ....Frustration de ne pouvoir catégoriser ce récit et d'en définir les contours pour passer à une analyse fine , tranchante et décortiquée comme on aime à le faire , pour ensuite reposer le volume sur son rayonnage avec la satisfaction d'avoir avancer et de pouvoir garder en soi une idée précise de la lecture .

Pour L'invitation chez les Stirl , il faudra oublier sa volonté de maitrise et de classement , et accepter de n'en rien dégager de franc .

C'est une sensation de flottement , de nébulosité , de brumes qui s'insinue en nous à la lecture de cette invitation ! On suit les cogitations tortueuses d'Olivier , invité donc chez ce couple d'amis inquiétant dans une maison à l'image de ses propriétaires ; les volets grinces , les palmiers prennent forme humaine presque , la menace s'insinue partout , dans cette vaste demeure en délabrement coupée du reste du monde en apparence . Une curieuse relation s'établit entre les hôtes et leur invité , particulièrement entre Olivier l'invité et la séduisante et terrifiante petite Mme Stirl . Bien évidemment on peut y voir un exemple du triangle amoureux dans toute sa complexité mais Paul Gadenne surcharge le récit d'une approche fantastique elle-même alourdie par un tâtonnement psychologique sans fondement . Mouvance , errance dans l'obscurité d'un objectif d'écrivain inabouti : Je le déconseillerai pour une première lecture de cet écrivain car cet ouvrage n'est en rien représentatif de l'ensemble de son oeuvre .

Et pourtant , en dépit de tout ce que je viens de souligner , j'ai aimé ce roman qui n'est pas sans me rappeler , le tour d'écrou d'henry James ,dans cette atmosphère d'étrangeté et de perversité effrayante des personnages .



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Le vent noir

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