C'est seulement en 1865 que Manet fait le voyage d'Espagne, un peu pour se consoler des innombrables avanies que lui a values son tableau d'Olympia. Le grand poète, son ami fidèle, alors réfugié en Belgique et bien près de sa fin prématurée, avait beau lui écrire avec émotion des choses sages et fortes : « Il faut que je vous parle encore de vous, disait Baudelaire dans cette belle lettre que nous relisons aujourd'hui en pleine union de sentiment avec le peintre et avec l'écrivain. Il faut que je m'applique à vous démontrer ce que vous valez. C'est vraiment bête, ce que vous exigez. On se moque de vous ; les plaisanteries vous agacent ; on ne sait pas vous rendre justice, etc., etc. Croyez-vous que vous soyez le premier homme placé dans ce cas? Avez-vous plus de génie que Chateaubriand et que Wagner? On s'est bien moqué d'eux, cependant. Ils n'en sont pas morts... » Rien n'y fit. Manet partit.
L'art de la Douce France a des titres qui peuvent rivaliser avec ceux des nations les plus illustres. Les nombreux monuments romains ou gallo-romains qui subsistent encore entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées montrent combien vite les peuples de l'ancienne Gaule s'étaient adaptés à la civilisation romaine.
Tous les procédés lui sont bons : plume, lavis, mine de plomb, fusain, crayon noir, sanguine, pastel, gouache, aquarelle, grisaille, huile, pointe du graveur. Cependant les aquarelles sont plutôt rares : le métier lui semble sans doute trop sage et la matière trop mince.
Il avait été dans sa jeunesse un porte-drapeau et un chef. Etre capable de commander aux autres, c'est avoir en soi un principe de solitude. Ayant, après des années de misère affreuse atteint, sans changer son coeur, à la fortune et à la gloire, il a terminé sa longue vie d'artiste en solitaire, patriarche muet de la peinture, enfermé au milieu du flux perpétuel des irisations, des modulations, des reflets, dans l'univers immense de son jardin de Giverny.
Un phénomène qui a fait son apparition aux alentours de 1830 se multiplie alors au point de devenir presque la règle des rapports entre l'artiste et le public. Je veux parler de cette incompréhension qui, à distance, nous paraît monstrueuse et, pour ainsi dire, diabolique et dont presque tous les peintres originaux ont eu à souffrir pendant la seconde moitié du XIXe siècle.
L'ère des persécutions commençait. Delacroix en fut, à sa façon, le proto-martyr, martyr d'un supplice non sanglant, mais indéfiniment prolongé et sans pitié renouvelé. Devant la méchanceté et l'invraisemblable stupidité des propos qui couraient alors dans le monde ou s'imprimaient dans les journaux, on ne trouve pas que ce grand homme exagérait lorsque, à un moment où il aurait dû jouir en paix d'une gloire presque sans ombre, il disait à l'un de ses plus ardents et fidèles défenseurs : " Voilà trente ans que je suis livré aux bêtes."
Il n'y a pas de parti pris dans les empâtements de Segonzac, sinon celui d'un fervent et patient désir de serrer toujours de plus près ce que l'artiste croit la vérité, la vérité de son oeuvre. Cette matière épaisse, Segonzac veut qu'on le sache, n'a jamais été pour lui un but, mais un effet presque imprévu de moyens de fortune employés vaille que vaille au service d'une volonté que rien n'arrive à satisfaire. Elle n'est pas faite d'un seul coup, comme c'est le cas chez certains peintres qui opèrent avec fougue et rapidité en brandissant des brosses ou des couteaux lourds de couleur. Segonzac travaille très lentement, et, plus il s'est senti avancer dans son art, moins il a chargé son pinceau.
Un trait curieux à noter chez un jeune homme d'une haute intelligence, qui, ayant tous les dons du peintre, allait bientôt faire preuve d'une si prodigieuse et d'une si extraordinaire fécondité, c'est qu'on ne voit en lui aucune hâte à produire. On croirait qu'il dédaigne tout ce qui risquerait de ne pas être encore l'affirmation de sa personnalité par un chef-d'oeuvre. Il n'est pas pressé : on croirait qu'il a devant lui l'éternité, une éternité à la mesure de l'homme. Il ne devait cependant dépasser l'âge, trop court pour un grand artiste et une grande intelligence. de soixante-trois ans.
Le pays sur lequel il a fait rejaillir à jamais les rayons de sa propre gloire a largement accompli son devoir envers le plus illustre de ses enfants. Les érudits, les critiques, les historiens, les poètes et, par leur soumission à son exemple, les peintres eux-mêmes, ont rivalisé de ferveur pour entretenir le culte de ce grand peintre, doué de supériorités suffisantes pour remplir plusieurs carrières humaines, magnifiquement pourvu de tout ce qui lui eût assuré la victoire en quelque voie qu'il eût poussé son destin de conquérant.
MAURICE DENIS avait à peine vingt ans lors de ses débuts presque simultanés de peintre et d'écrivain, et c'est une maxime formulée en ce temps-là qui peut servir d'épigraphe à toute son oeuvre : « L'art est la sanctification de la nature ! ». Les coryphées de l'impressionnisme exerçaient alors une irrésistible attraction sur les jeunes gens dont les aspirations encore confuses ne pouvaient se satisfaire aux routines d'école. Maurice Denis, si jeune, joua un rôle que l'histoire de l'art ne peut oublier.
A vrai dire, ainsi qu'on l'a vu dans le précédent fascicule, le romantisme, devant la postérité qui ne retient que les grands artistes et les grandes œuvres et oublie tout le reste, c'est un homme, un seul, grand peintre, grand esprit, le seul avec Poussin qui, parmi les meilleurs artistes de notre pays, mérite le nom de grand homme : Eugène Delacroix.