La poésie, pensum pour neurasthéniques, pince-fesse pour esthètes mondains, tartine d’ennui pour écoliers ? Tellement pas.
Du champ libre pour les mots, sortis du rail du langage corseté-endimanché et s’ébrouant tout nus au soleil. Liberté pour celui qui les lit aussi, comprendre une chose ou son contraire, glisser les pieds dans la glaise moelleuse d’un souvenir ou se griser d’un prompt désir.
A l’endroit, à l’envers, ça marche par les 2 bouts .
Et jamais on ne lit tout à fait le même poème, la faute aux vagues, ou aux yeux crémeux des ânes. Un coup de nuage splendide dans le cornet, on s’arrête tétanisé par une délicieuse émotion carnivore qui nous prend par surprise.
J’ai mis les voiles en poésie à 20 ans, perdue dans un boulot de merde dans une saison à la montagne (loin de ma mer aaah !), découverte des hiérarchies sociales des plus minables, et soudain, assise dans le soleil et dans la neige, au milieu de rien, le poèmes d’Yves Bonnefoy me gorgeant de sens, de beauté, de réconfort. Une énorme bouffée de plaisir, une grosse goulée du cidre désaltérant de ses mots. Oasis dans la neige, gratitude éternelle.
Et dans une vie comme celle de Paul Valet, à qui on a tout volé, quels autres mots que ceux de la poésie pour colmater la détresse, exhumer des bribes de sens, être tenté par une fragile beauté, une dernière tendresse.
Il serait un personnage de roman, on l’accuserait d’en faire trop : né en Russie en 1905, jeune pianiste virtuose ; les biens de sa famille extorqués par les bolcheviques, ; exil en Pologne, puis en France, où il devient médecin, puis résistant pendant la seconde guerre mondiale, au terme de laquelle il apprendra la mort de ses parents et de sa sœur à Auschwitz.
Un homme qui a tout traversé, qui peut alors se défaire de tous ses personnages et devenir totalement poreux, laisser vibrer à travers lui roseaux noirs vertes rainettes, à genoux dans les marais d’une vie rendue à son essentiel. Devenir crinière aux vents sans âge, loin des orgues de l’Histoire.
Ce thème qui revient souvent dans ses textes : se délester de soi en se faisant doubler par l’immensité.
« Je suis loin de moi quand j’écris ».
« Il y a cette part en moi qui n’est pas à moi ».
C’est beau, c’est fort ; on a l’impression en le lisant de s’être fait greffer 2 poumons supplémentaires, comme avec la musique ou la mer. On accoste en kayak sur des îles oubliées. C’est la poésie.
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Je ne connaissais même pas de nom ce poète. Enfin, parlons plutôt de pseudonyme...Sur sa tombe, en 1987, son fils fait écrire:" Dr Georges Schwartz, Seguin pour la résistance, Paul Valet pour la poésie".
Une vie hors du commun: né Grzegorz Szwarc d'un père ukrainien et d'une mère polonaise, connaissant l'exil depuis l'enfance, il se distingue d'abord comme jeune pianiste prodige, puis installé en France comme peintre de talent, poète, médecin ayant été un des précurseurs de l'homéopathie. Et grand résistant durant la seconde guerre mondiale, qui apprendra que sa famille a été gazée dans un camp de concentration. Et on comprend alors que le mot" mort" soit très présent dans ses textes.
Une poésie hors du commun aussi: des distiques très souvent, aux mots lapidaires, antinomiques, mêlant rage, colère mais aussi élans de vie, exaltation, nostalgie. Ses poèmes ne peuvent laisser indifférent, ils claquent, dérangent, et en même temps exultent d'un lyrisme sauvage.
" Dans ma volière cérébrale
Dorment des mots de proie"
On peut ne pas aimer du tout, j'avoue avoir complètement adhéré à cette poésie singulière, entre aphorismes à la Oscar Wilde, avec ce goût comme lui du paradoxe, du jeu sur les mots et quête identitaire, angoisse métaphysique.
" Les horloges
sonnent à leurs heures perdues
Dans le grand abîme de ma tête "
A ne pas lire d'une traite, selon moi, on serait vite débordé par ce torrent de mots ! Mais à découvrir, c'est sûr!
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Il y a à première lecture des vers de Valet un pessimisme évident qui prend sa source dans son vécu mais aussi dans sa lecture du monde.
Il y a aussi cet art du distique, forme sobre sinon tranchante particulièrement adaptée aux paradoxes pour lesquels, le poète a une prédilection évidente.
Le seul fait de vivre semble déjà paradoxal dans sa pensée. L'abandon est déjà présent avant l'essai. Nous sommes proches de la pensée de Cioran et, dans un autre style, de Blanchot… la concision en plus.
La concision n'est pas le vide mais une geste où le vide peut se répandre entre les lignes: un vide porteur donc de l'écriture.
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Toute en aphorismes, à la fois drôle et doucement cynique, assenant des évidences dont on ne souvenait plus, telle est la poésie de Paul Valet.
Temps, saisons, création, vie quotidienne, identité, on y trouve son content, cela fait du bien, cela se mange comme un fruit.
Que dire de cette poésie hors-norme comme toute « bonne » poésie. On ne dira jamais si bien que le poète lui-même :
« La naissances et la mort
Deux portes siamoises. »
« Un cercle vicieux
Est un cercle parfait. »
« S’installer dans le malheur
Comme chez soi. »
« Qui sème le mouton
Récolte l’assommeur. »
« Les murs écroulés
Ont perdu leurs oreilles. »
Je tourne le livre au hasard des pages, et à tous les coups l’on gagne, on tombe sur la phrase qui tue…
Belle découverte de cette année.
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Lire Paul Valet, c’est un peu comme plonger dans ses viscères. On retrouve dans ses écrits, l’affinité qu’il a pu nouer avoir avec son ami Cioran.
Dans le chaos né la création. Des vers courts, percutants.
Des pensées.
Une partie narrant un lieu atmosphérique où l’écriture nous cloue au lit avec le narrateur.
On ne lis pas, on vit cet écrit.
Auteur qui mériterait plus de reconnaissance, à (re)découvrir.
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