Aux plus beaux jours de l'impressionnisme, alors que Claude Monet, Sisley, Pissarro et tant d'autres installaient leur chevalet en plein air et traduisaient dans leurs tableaux la douceur et la lumière sur les champs, un peintre, tout en se réclamant de leurs théories, se calfeutrait dans l'ombre de la ville, à Montmartre, et, de cet observatoire, étudiait les passants : non pas la lumière qui les éclairait, mais leurs traits et surtout ceux qui révélaient leur caractère.
Ce peintre paraît, en ces jours, une anomalie. Il est vrai qu'il ne pouvait courir les champs à la recherche du motif : ses jambes atrophiées ne le lui permettaient pas.
De ses déceptions, il conçoit l'horreur de la campagne et le mépris du paysage. Il ne s'intéresse qu'aux êtres animés.
Sa vocation de peintre était évidente. Dès son enfance il couvrait de dessins les marges, les blancs de ses cahiers. Déjà même, à trois ans, il montrait sa préoccupation : après un baptême, comme sa famille se rendait à la sacristie pour les signatures : « Je veux signer aussi, dit-il. — Mais tu ne sais pas écrire. — Eh bien, je dessinerai un boeuf. »
Aussi ne dut on pas s'étonner lorsqu'il décida de se consacrer entièrement à son Art.
Les gestes sont les manifestations d une force intérieure qui cherche à se dépenser. Le geste de la main qui tient un crayon est grave : combien livre-t-il de la nature intime du dessinateur ! Watteau trace la courbe harmonieuse d'une joue, d'une taille, d'un mollet : tendresse et mélancolie. L'écrivain essaie de se raconter. Il lui faut trois cents pages. Un simple trait de crayon, et nous connaissons l 'auteur.
Il a eu les conseils d'un ami de son père, du peintre animalier Princeteau. Avec lui, à Paris, il ira souvent au cirque et au Jardin des Plantes, observer et dessiner. Il avait vu son père modeler des statuettes de chevaux et de chiens. Son oncle Charles de Toulouse-Lautrec, qui fut son confident et son correspondant, s'adonnait, lui aussi, à l'Art et faisait de la peinture.
Une observation incessante. Un travail opiniâtre.
Lautrec infirme agissait par son crayon. Dessiner était son sport, son geste.