Les ajoncs épanouis forment une interminable courbe dorée. Ils épousent les sinuosités de la côte, dentelle noire aussi élégante qu'acérée qui se détache sur le fond bleu et gris formé par la mer. Dispersés sur les vallons, quelques moutons, quelques chevaux pittoresques paissent nonchalamment à l'ombre des verts bouleaux agités par le vent. C'est une nature sauvage, menaçante et fière.
La douleur déforme ses pensées, abolit ses pleurs, renforce sa détermination. Elle ne sera plus jamais une victime.
" Quand elle a suffisamment marché, s’assurant d’être seule à des dizaines de mètres à la ronde, elle hurle. Elle hurle comme une louve au désespoir.
Je ne veux pas que ça recommence.
Plus jamais ça. Plus jamais les crises. Plus jamais les insomnies. Plus jamais les médicaments, l’hospitalisation, les visites du spécialiste. Plus jamais le ballet bien rôdé des psychologues. Plus jamais les regards apitoyés. Plus jamais de : « Vous avez essayé la méditation/le yoga/la pensée positive mademoiselle ? ». Plus jamais le sommeil forcé. Plus jamais cet immense isolement, ce sentiment d’être seule parmi la foule, d’étouffer au milieu de ses semblables. Depuis sa rencontre avec Cédric, elle n’a plus jamais été seule."
« Cédric n’est pas plus présent dans ses messages ni dans l’historique de ses conversations téléphoniques. Tandis, qu’elle observe, interdite, l’écran de son portable, Sophie réfléchit :
Et s’ils avaient raison ? Et si c’était moi qui délirais ? Et si c’était une rechute ? C’est insensé. Je n’ai jamais souffert de pareils troubles. Cela n’atteignait pas ce genre de proportions. Je suis en forme, reposée. Une grande hallucination ? Mais je n’ai jamais rien fini de tel ! Alors comment expliquer que Cédric se soit évaporé ? Et ses affaires ? Et ses papiers ? Et, surtout, les photos sur mon téléphone? Serait ce possible que... mais non. Je suis guéris depuis des années. »
Je continuerai à vivre comme cela, folle dans un monde de sains, malade dans un monde de bien-portants.