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Critiques de Percival Everett (162)
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Châtiment

Lorsqu'on fait la connaissance de la famille Bryant-Milam, on rit gras et bruyant devant ces rednecks unidimensionnellement crétins et ridicules, à la limite de l'analphabétisme, menés par une matriarche grincheuse et une mégère surnommée Hot Mama Yeller ( « maman chaudasse et braillarde » ).



En quelques pages, on passe de la parodie de romans sudistes au polar lorsqu'un des membres de cette famille est retrouvé étranglé au fil barbelé, en compagnie du cadavre d'un jeune noir non identifié qui tient dans sa paume les testicules du premier. L'enquête est lancée …mais voilà que le corps du noir stocké à la morgue se volatilise …pour réapparaître sur une deuxième scène de crime avec les testicules d'un autre blanc dans les mains. Bienvenue à Money, petite ville rurale du Mississippi.



Des bouquins dénonçant le racisme systémique aux Etats-Unis, y en a pleins, des chefs d'oeuvre mais aussi des lourdauds empesés par leurs bons sentiments. Sur ce thème, je n'en ai lu aucun proposant une réflexion aussi radicale que celui de Percival Everett qui secoue et amalgame plusieurs genres littéraires.



De la satire sociale et du polar, donc, mais mâtinés d'un horrifique comique totalement dingue qui se déploie à mesure que l'enquête avance ou plutôt se cogne à l'irrationnalité des situations avec ces cadavres qui disparaissent et réapparaissent jusqu'à se multiplier. J'ai souvent pensé aux films de Jordan Peele ( Us et Get out ) ou sa série Lovecraft Country qui recourent au surnaturel pour décrire l'expérience afro-américaine du racisme avec un à-propos réjouissant. Cette note d'étrangeté parcourt tout le récit alors qu'il reste à majorité réaliste.



Percival Everett frappe juste là où il aurait pu se vautrer. Son intrigue est menée avec une énergie folle et un humour macabre jubilatoire qui distille une puissante sensation de malaise et des rires embarrassés. Mais on rit franchement face à la charge comique des jeux de mots, du choix des noms et prénoms des personnages, et surtout de certains scènes-farces : une assemblée du Ku-Klux-Klan ( dont les membres pleurent la belle époque des croix enflammées et des gâteaux préparés par les mamans pour l'après fiesta ) ou une réunion à la Maison blanche avec un Trump d'anthologie ).



On rit jusqu'à ce que cela fasse mal. Châtiment est une comédie très noire qui prend au sérieux la gravité de la question du racisme. Percival Everett réexamine avec acuité la notion de culpabilité collective et la façon dont elle s'envenime en l'absence de justice et de sanctions pour les auteurs de crimes racistes, jusqu'à réclamer vengeance ou voir apparaître un fantasme de vengeance sanglant.



Le choix de la ville de Money n'est pas un hasard, c'est là qu'a eu lieu le lynchage le plus tristement célèbre de l'histoire américaine, en 1955 : celui du jeune Emmett Till, quatorze ans. Cette parabole raciale brillante pique ainsi encore plus puissamment les consciences et rappelle le besoin de réparation mémorielle ravivé par les récentes violences policières qui ont donné naissance au mouvement Black Lives Matter..



Et quand surgissent les noms, sous forme de liste sèche, des victimes de lynchage depuis le début du XXème siècle, l'émotion jaillit, inattendue, dans ce roman incendiaire tout le temps surprenant. La résolution polar en devient presque secondaire ( même si je regrette tout de même un peu qu'elle soit moins convaincante que le chemin qui l'a amenée ).



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Le supplice de l'eau

Tout récemment encore des enquêtes étaient menées pour savoir si la méthode de la planche à eau relevait ou non de la torture. Son nom comporte pourtant en soi peu d’équivoque…

Le supplice de l’eau : le sujet est attaché sur une planche inclinée ; la tête, placée plus bas que les pieds, est bâillonnée et de l’eau est peu à peu versée sur le visage. L’eau absorbée par le bâillon empêche le sujet de respirer, occasionne une sensation d’étouffement et la peur panique de l’asphyxie. Les poumons se situant plus hauts que la bouche, l’eau ne peut normalement pas les envahir et empêcherait donc la mort par noyade; c’est du moins ce qu’affirment les adeptes de cette pratique. Cependant, les réflexes de suffocation qui ressemblent à ceux d’une électrocution ne sont pas sans causer de graves et irréversibles traumatismes psychologiques.

Sous le gouvernement de Georges W. Bush, ce simulacre d’exécution a été largement pratiqué dans les geôles de Guantanamo. En toute légalité…



Au fil d’une œuvre extravagante, engagée, cynique et insolite, l’auteur afro-américain Percival Everett n’a cessé de pointer du doigt les abus et le non-sens d’un monde chaotique et pervers.

Ses romans, de « Glyphe » à « Effacement » en passant par « Désert américain » sont de féroces réquisitoires contre l’injustice, le racisme, la barbarie et l’abêtissement culturel dont font montre les Etats-Unis et que l’auteur dézingue à tout va, portant les coups de son indignation comme un boxeur sur le ring au fil de textes-uppercut puissants et provocants.

Il présente « Le supplice de l’eau » comme un « acte d’accusation contre l’ère Bush » et, en réponse à ce qu’il considère comme un procédé coercitif inhumain, il a tenu à légitimer par l’absurde et la déraison l’utilisation de la torture.



Auteur à succès de romans à l’eau de rose qu’il écrit sous un pseudo féminin, Ismaël Kidder est un noir-américain riche, intelligent, cultivé ; un modèle d’intégration et de réussite sociale. Mais son monde s’effondre le jour où Lane, sa petite fille de onze ans, est retrouvé morte, violée et étranglée, son corps abandonné dans un fossé.

Aveuglé par la haine, épris d’un désir de vengeance et de justice rageur, Ismaël se laisse totalement envahir par sa douleur et par la volonté de faire justice soi-même.

Il enlève celui qu’il considère comme le coupable, le séquestre dans le sous-sol de sa maison et là, se transformant en bourreau, pratique jour après jour le supplice de l’eau sur le présumé violeur.



Percival Everett nous fait entrer de plain-pied dans la conscience éperdue de son personnage. Une folie froide, lucide, aussi tranchante qu’une lame affutée. Si la conscience est émoussée, l’esprit reste d’une clairvoyance et d’une intelligence qui pétrifient et font froid dans le dos, Ismaël tentant de trouver du sens à ses actes par le biais de raisonnements politiques, d’élucubrations philosophiques ou linguistiques qu’il aborde avec une impassibilité glaçante et volontairement dérangeante.

Le roman dépourvu de linéarité, s’égrène ainsi par fragments, au gré des éclisses d’une pensée de plus en plus effritée, mêlant considérations personnelles, souvenirs, théories platoniciennes, dissertations sur la philosophie quantique, insertions de notes ou de croquis…



Le supplice de l’eau, c’est aussi ce que l’on ressent devant ce texte éclaté, face à ce débordement de pensées insensées. A l’impression d’oppression et de suffocation, s’ajoute celle de se noyer dans les affres d’une conscience qui s’égare et d’être submergé par un trop-plein de délire langagier.

Livre laissé puis repris, délaissé, retrouvé…la force du sujet, la maîtrise du style, l’inventivité de la construction font qu’on refuse de l’abandonner mais cela ne va pas sans effort ni persévérance. Dieu, quel tourment !

Des lettres qui dérapent en glissade dyslexique, des mots jouant sur les tonalités et leur similitudes, des paragraphes entiers de juxtapositions ou de caricatures de la langue : « danse prisme quai lavis, je mi-voix démant, malgré mon sadisant camphor, camp-fort extrême, coz de temps d’inconfjord.. ». Trop, c’est trop ! On en viendrait presque à regretter quelques bonnes petites scènes de torture !

Déconstruire la langue, la restructurer, désorganiser la syntaxe, l’expérimenter…certes cela fait preuve d’originalité et Percival Everett a la carrure, le charisme et l’érudition pour mener à bien son propos. Mais trop de singularité tue la singularité ; même si d’aucuns trouveront le procédé génial, l’auteur a pêché ici par excès d’excentricité.



Et pourtant…Pourtant lorsque Ismaël se laisse aller à la douleur et exprime sans détour sa détresse, sa souffrance, la perte de ses idéaux et de toutes les significations avec lesquels l’univers personnel se construit, ni le ton distancié, ni la fureur intérieure, ni les délires philosophiques, ontologiques ou métaphysiques, ni les effets de style ne peuvent occulter le sentiment poignant et le bouleversement que l’on ressent devant certaines pages empreintes d’une émotion et d’une intensité magnifiques.

Pour ces pages superbes, profondes, déchirantes et dures, on continue malgré tout et on lit jusqu’au bout.



Livre violent sur la violence, fiction pour le moins perturbante, « Le supplice de l’eau » pourra déconcerter ceux qui font leurs premiers pas dans l’univers littéraire - au demeurant intéressant - de l’auteur américain. Aussi, sous peine de frôler l’asphyxie, l’on conseillera plutôt de découvrir Percival Everett par le biais de ses autres romans.

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Tout ce bleu

Kevin Pace, un artiste peintre reconnu de cinquante six ans, travaille sur un tableau dont il ne veut rien dévoiler, interdisant l'accès de son atelier à sa femme Linda, ou à Avril, sa fille adolescente. En pleine réflexion sur sa vie actuelle et sur ce que lui a secrètement confié sa fille, c'est la couleur bleue qui occupe son esprit et le malmène. Ses réflexions le plongent dans une instrospection, faisant remonter à la surface deux périodes charnières de sa vie...La première, en fin d'études, quand il a accompagné son meilleur ami Richard, à la demande ce dernier, au Salvador au tout début de guerre civile, après la disparition du frère de Richard. Une deuxième série de souvenirs concerne son séjour à Paris, à l'invitation de son galeriste, c'était il y a dix ans et Kevin avait vécu, sur quelques jours, une grande histoire d'amour avec une jeune artiste aquarelliste française, Victoire.



Introspection, atermoiements, regrets et interrogations constituent l'état d'esprit de Kevin Pace et c'est surtout un face à face avec lui-même et avec les choix qu'il a fait quand il sortait, après ces études avec Linda, avec laquelle il se rassure de vivre une relation harmonieuse, mais ce bleu, symbole de loyauté et de confiance, remet en cause cette union avec le coup de canif au contrat, qui s'est avéré plus qu'un écart, - se révélant comme une vraie histoire d'amour - et il y a ce secret qu'il garde sur le voyage au Salvador et des assassinats dont il a été témoin et quelque fois acteur. Alors comment utiliser le bleu si cette couleur remet en cause ses propres certitudes, celles sur laquelle il s'est construit ?

Un roman à plusieurs niveaux pour cerner cet artiste à qui tout semblait réussir mais qui, à l'évocation du passé, va voir le vernis de sa vie tranquille, craquer. Percival Everett livre une variation sur la construction sentimentale et artistique d'un homme au milieu de sa vie, une prise de conscience lucide, quelquefois amère qui va lui permettre d'affronter le réel et le présent.

Tout ce bleu est roman plus classique que les autres romans de Percival Everett, qui m'a intéressée sans vraiment me séduire et qui m'a laissée sur ma fin, même si j'ai retrouvé son agilité intellectuelle.
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Tout ce bleu

Un très fort sympathique cadeau de Noël d'un ami libraire-musicien,

pour un auteur que j'affectionne, découvert en 2008, alors que j'avais

choisi pour un D.U de Documentation & Médiation culturelle, de

réaliser un dossier sur la littérature afro-américaine , juste avant l'élection

d'Obama...



"Est-ce mon chef-d'oeuvre ? Peut-être. Sans doute pas. J'ignore ce que ce mot veut dire. La notion de chef-d'oeuvre a quelque chose à voir avec l'éternité, à tout jamais, paraît-il. Je refuse d'avoir commerce avec ce genre de concepts, non par position philosophique, mais par goût. Peut-être bien que l'éternité d'un chef-d'oeuvre lui permet d'exister hors du temps (...) Mon -chef-d'oeuvre-, apparemment, est l'objet d'une préoccupation intense

de la part de grand nombre de gens. Ce n'est pas agréable de savoir qu'on est plus intéressant mort que vif, mais ce n'est pas non plus si désagréable que ça. "(p. 15)



Un auteur que j'apprécie, mais j'ai eu un peu de mal avec ce dernier ouvrage traduit; repris et abandonné plusieurs fois depuis plus d'un mois... A quoi cela tient: une sorte de désordre ou d'impression de "décousu" dans la narration...un récit éclaté alternant entre la vie personnelle, amoureuse, amicale du narrateur (que l'on devine proche de l'auteur) et son chemin difficile, existentiel vis à vis de sa "peinture"; récit éclaté entre le lointain passé, les années 70, et le présent immédiat !!



Je m'y "remets"... et souhaite qu'un déclic se fasse....afin que je pénètre réellement dans le texte...



"Tu sais, dis-je, je n'aime plus les musées.

-Comment ça se fait ?

-C'est là que l'art vient mourir. "(...) (p. 130)



Ce qui a retenu le plus mon attention sont les digressions sur l'Art, réflexions, sur l'Art par un artiste, qui aborde un très abondant nombre de questionnements sur la valeur, les fonctions, consolations ou réponses possibles de la création artistique....! Perceval Everett offre aussi ses ressentis, ses admirations pour les artistes qui l'éclairent : Monet, Lhote, Metzinger, Léonard de Vinci...et l'interrogent sur son propre parcours , celui-ci, lui restant mystérieux...



"Apparemment, Monet en vieillissant perdit confiance en ses dernières oeuvres et voulut les brûler. Quelle patience d'avoir attendu la vieillesse pour éprouver ce sentiment. Que de différences entre son problème et le mien. Lui se battait pour arriver à rendre par la peinture la clarté de l'eau et l'herbe ondoyant sous la surface. Moi, je me battais pour essayer de comprendre pourquoi diable je peignais. "(p. 49)



Une lecture avec de nombreux points passionnants....me laissant toutefois perplexe, et sur une impression globale partagée... mais comme dirait une charmante camarade babéliote... ce n'est que mon humble avis, donc...subjectif, nécessairement !!

Une relecture, plus tard, m'offrira sans doute un autre regard et une perception plus large, plus dynamique ! ?



Je termine ce modeste ressenti par une phrase qui a tout spécialement retenu mon attention...au vu de son large questionnement existentiel quant à la création et au geste artistique....



"Ce tableau était censé m'aider à comprendre quelque chose, à entrer en relation avec le monde que je n'aimais guère, mais tandis que je considérais mon dilemme, le tableau ne me suggéra rien du tout. "(p. 172)
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Blessés

Blessés est un roman qui, sans fioriture, s'inscrit dans ce que la littérature américaine fait de mieux.



On est dans l'Ouest américain, pays de ranchers, de désert rouge et d'hivers où froid signifie encore quelque chose. John Hunt, éleveur de chevaux noir, vit avec son vieil oncle Gus dans un ranch isolé. Il a quitté les regroupements humains pour les solitudes. La mort brutale de sa femme l'a profondément meurtrie mais avec les années, une certaine sérénité s'est installée, faite de travail, de chamailleries avec Gus, ... Hélas la haine et la violence ne sont jamais loin et ravagent les meilleures volontés.



Avec Blessés, Percival Everett dénonce les haines qui parcourent l'espèce humaine : racisme, homophobie, et il en existe tant d'autres. L'auteur le fait avec une force subtile, sans grands discours. Il raconte juste la vie ordinaire de gens ordinaires où ça dérape et conduit à des tragédies.



Ce roman, je l'ai lu d'une traite tant je me suis retrouvée envoûtée par les paysages à l'âpreté sublime. Et comment expliquer mon ressenti face aux personnages principaux : John, Gus et Morgan? Je ne sais si ce sont eux qui ont laissé leurs marques en moi ou si c'est moi qui ai abandonné une part de moi-même entre les pages. Voilà un trio absolument magnifiques de tendresse et d'affection sans grandiloquence, de tolérance et de courage. Voilà de belles personnes, de belles âmes, comme il en existe en dehors de la fiction aussi fort heureusement. Ils connaissent la nature humaine, et notamment sa part la plus médiocre et mauvaise.

Il y a un échange qui m'a particulièrement marquée, entre la vendeuse de produits animaliers et John. Celle-ci remarque que les gens maintenant sont comme des animaux. Et John de rétorquer que c'est faux : les gens sont des gens, c'est bien ça le problème. Ça pourrait résumer la teneur du roman.



Blessés m'a procuré une lecture intense, aux émotions palpables et diverses. Pas de manichéisme simpliste ici mais une vision de l'être humain dans sa beauté, sa vulnérabilité ou son horreur.

En anglais, le romans'intitule Wounded. Il y a ambiguïté quant à sa traduction puisque les participes passés adjectifs dans cette langue ne portent pas de marque de genre. Alors : Blessé? Blessée? Blessés? Blessées? Peut-être est-ce la conscience de notrehumanité en chacun de nous qui est blessée par les haines, la violence, les mesquineries et les bassesses.

Je ne referme pas le livre sans avoir la gorge serrée de devoir quitter le ranch de John et ses formidables résidents, à deux, trois et quatre pattes.



PS: je crois qu'il vaut mieux lire ce livre en se passant de la quatrième de couverture qui en raconte beaucoup trop. Retenez, chers éditeurs, la leçon d'Alfred Hitchcock : "Il vaut mieux suggérer que montrer". Ce qui était valable pour le cinéma de qualité l'est tout autant pour les résumés intelligents.
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Blessés

En lisant l’avis enthousiaste d’une bloggeuse (Sandrine pour ne pas la citer), j’ai donc emprunté ce court roman paru chez Actes sud il y a déjà quelques années. Et vu mon amour du Natural writing, je ne comprends pas comment j’ai pu passer à côté. Bref tout ça pour vous dire que Blessés mérite vraiment qu’on s’y attarde. Aux amoureux de grands espaces américains (ici le Wyoming) et de personnages attachants blessés par la vie, Percival Everett est fait pour vous.



John Hunt est un dresseur de chevaux afro-américain qui a fui la grande ville pour rejoindre son vieil oncle Gus dans son ranch niché au cœur des montagnes. Vivant dans une sorte d’autarcie bienheureuse au cœur de la nature, ces deux célibataires se sont accommodé des défauts de l’autre pour vivre de manière harmonieuse.



Tout irait pour le mieux si un jeune homosexuel n’avait été retrouvé assassiné, tout accusant le jeune et simplet commis du ranch de John d’être le responsable. Premier dérangement pour notre dresseur de chevaux qui s’en passerait bien. Le deuxième dérangement survient quelques jours plus tard alors que des insultes racistes sont proférées à l’encontre de son voisin Indien (traité de « nègre rouge », comme c’est charmant). L’ambiance n’est donc plus au beau fixe au paradis des chevaux et des espaces sauvages. Et oui, les vieux réflexes racistes et homophones refont surface au sein de la petite communauté du coin peu habituée au changement et à l’autre de manière générale. Enfin, l’arrivée inopinée du fils homosexuel d’un de ses plus vieux amis, jeune militant bien décidé à manifester contre le climat homophobe de cette région de péquenauds, n’arrange pas les affaires de John Hunt.



Blessés m’a embarquée. Déjà conquise par la beauté des paysages ouest américains que Percival Everett décrit merveilleusement (le Wyoming fait dorénavant partie de ma to do list), il ne m’en fallait pas plus pour adhérer. Loin de la caricature, l’auteur nous immerge au sein de cette communauté réduite, attachante fratrie d’hommes et de femmes blessés par la vie. Rongé par la mort de sa femme, John hésite à se reconstruire ; à l’aune des événements dramatiques qui secouent son quotidien, il est amené à remettre en question ses choix de vie. Doit-il fuir la recherche d’un nouveau bonheur aux côtés d’une femme qui l’aimerait, par fidélité au souvenir de sa défunte épouse ? Doit-il nier sa différence alors que tout le lui rappelle sans arrêt ? Vivre en autarcie loin des hommes est-il la solution ?



Thèmes du deuil, de la différence, retour aux sources, culpabilité et rédemption, tous ces éléments sont habilement et merveilleusement agencés pour nous livrer un roman sensible. Une belle réussite indéniablement.

Blessés de Percival Everett, collection Babel
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Châtiment

♫ Money, get away ♪ (1) Oui, la petite ville de Money, Mississippi, ne donne pas envie d’être visitée. Nous sommes dans le Sud profond, celui des rednecks, des pequenauds, des ploucs, des bouseux et des racistes bas de plafond, dont certains portent encore la cagoule blanche…



Que se passe-t-il à Money ? Deux hommes blancs se sont fait assassiner (rien d’original), on a massacré leur visage, enroulé du fil barbelé autour et on leur a coupé les couilles (ah, on ajoute de l’originalité).



Là où le truc devient fou, c’est qu’on a retrouvé, sur chaque scène de crime, le corps d’un homme Noir, visage tuméfié aussi, mort de chez mort, et que ce mort a disparu ensuite, puis réapparu, puis disparu, et est encore réapparu… Serait-ce un zombie, un mort-vivant ? Ou alors, David Copperfield est en ville et a eu envie de diversifier ses tours ? Les magiciens sont parfois taquins…



Ce qui surprend, dans ce roman noir de chez noir, c’est le ton, l’écriture et l’ambiance. L’auteur joue dans le registre de l’humour (noir et ironique), à la limite du burlesque (sans franchir la ligne rouge) et ces ambiances, au lieu d’être plombées, sont amusantes. J’ai souvent souri avec les dialogues, avec les adjoints débiles du shérif, sorte de mélange de Laurel, Hardy et d’Averell Dalton (le "quand est-ce qu’on mange ?" en moins), ainsi que les noms de certains personnages (les jeux de mots !).



Ce roman, qui a le goût d’un bonbon acidulé, m’a donné l’impression de se passer dans l’Amérique de 1950 (les mauvaises langues diront 1850), tant cette petite ville de Money avait l’air d’être restée coincée dans cette époque où le racisme suintait de partout et où les lynchages avaient toujours lieu. Alors, quand un protagoniste parlait de son smartphone ou d’Internet, j’étais à deux doigts de crier à l’anachronisme. Non, non, nous étions bien dans les années 2016 (le moumouté est sur le trône). En tout cas, la consanguinité n’a pas eu trop d’effet sur la population…



Un roman noir à l’humour grinçant, où l’auteur dénonce une Amérique raciste, suprémaciste, où le KKK est toujours présent, où les gens sont prêts à revoter pour le mec aux cheveux orages, celui qui n’a que des phrases haineuses (ou sexiste, ou débiles au possible) qui lui sortent de la bouche (le discours de Trump, dans le roman, semble être surréaliste, mais est terriblement réaliste)…



Et puis, il y a des personnages lumineux, comme Mamma Z, qui a réuni des archives sur toutes les personnes lynchées depuis 1913 (son année de naissance), sans oublier son arrière-petite-fille, Gertrude, que j’ai apprécié, ainsi que les deux agents du MBI (Mississippi Bureau of Investigations), qui ont apporté une touche d’humour et de légèreté dans ce récit qui avait tout pour être glauque et oppressant.



Un roman policier totalement fou, où vous n’aurez pas toutes les réponses pour les premiers crimes (les modus operandi), mais entre nous, ce n’est pas important.



Le final du roman lorgnera du côté du fantastique, du surnaturel, même, mais uniquement pour illustrer la métaphore que les américains blancs (WASP) sont toujours hantés par les morts, victimes du racisme, de la ségrégation, de la haine, lynchés ou asphyxiés… Leur conscience les tourmente, ils veulent les faire taire, mais on ne réduit pas les morts au silence.



Un roman noir au casting impeccable, dont on ne sait si le récit, sérieux, est masqué sous du burlesque ou alors, si c’est du burlesque utilisé pour cacher le côté sérieux et violent de ce récit. En tout cas, c’était bien réalisé, bien mis en scène, sans jamais dépasser la ligne rouge ou devenir moralisateur.



La noirceur, parfois, il faut la masquer sous l’humour (caustique), elle ne passera que mieux et marquera encore plus les esprits. Moi, j’ai été marquée par ce roman.



(1) Money des Pink Floyd


Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Châtiment

Si cette histoire n'est pas LE futur scénario de Quentin Tarantino, vraiment, c'est que je n'ai rien compris.

L'histoire: Il y a plus de soixante ans, un gamin Noir a été lynché pour avoir parlé à une gamine blanche. Si en France l'histoire était encore peu connue jusqu'à lors, le nom d'Emmett Till va servir d'étendard à la cause de défense des droits de ceux qui dénoncent le racisme aux États-Unis ou qui en sont les victimes.

Percival Everett, lui, va s'en servir comme point d'orgue d'un fabuleux thriller, dramatique et - chose incroyable - désopilant en même temps, du pur Tarantino je vous dis.

En quelques phrases: dans un bled bien perdu et bien sudiste, un homme (blanc) est découvert égorgé et castré, avec le cadavre d'un homme noir à ses côtés, tenant dans les mains les testicules manquants. Passé les premières interrogations de l'enquête, il se trouve que le cadavre de l'homme noir disparait pour réapparaitre un peu plus tard dans une même composition glaçante, avec un autre homme blanc castré.

Le shérif ne maitrise pas la situation, le KKK se reforme et le FBI envoie deux de ses agents (Noirs) résoudre le mystère. L'enquête s'alourdit encore quand plusieurs autres meurtres du même acabit ont lieu.

À la fois rythmée et soutenue, avec un casting impeccable, cette histoire un poil fantastique a tout pour plaire: sur un relent historique de racisme dégueulasse, une drôle (dans tous les sens du terme) d'enquête, dont les personnages et les répliques apportent de la légèreté quand d'autres auteurs se seraient contentés de noirceur ou de leçon de morale.

Un très excellent polar somme toute.
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Désert américain

Le cauchemar vivant de George Romero. Je me réveille d’un coup et découvre en face de moi ce que les scientifiques appellent un zombie. Me serais-je tromper d’endroit ? Le retour des morts vivants a sonné comme dans une bonne vieille série B qui passe à des heures indues de la nuit avant le film érotico-porno d’une chaine câblée. Le gars, un pauvre type, a eu la tête sectionnée, totalement arrachée. Un étudiant à la morgue aussi consciencieux que je pouvais l’être en T.P. de Biochimie le recoud simplement sur le reste de son corps et voilà que le pauvre type se relève de son cercueil et dit « bonjour » à la paroisse éplorée. Je schématise à peine. Je referme le bouquin pour vérifier que je ne me suis pas trompé. Éditions Babel. Alors là, c’est du sérieux, c’est quand même chez eux que j’épuise le catalogue Auster parmi tant d'autres noms reconnus… Je laisse de côté la face de zombie qui est devant moi pour me consacrer au pauvre type. Ce gars, la quarantaine, au volant de la voiture de monsieur-tout-le-monde, part… pour se suicider. Sauf qu’il n’en aura jamais le temps et qu’un camion le percute et le décapite… Suicide raté, résurrection réussie.



Un vrai paumé, un vrai raté, en somme pour qui le suicide devenait une évidence, tant sa vie lui paraissait insipide, sans intérêt, tant ses proches n’éprouvaient plus de grands sentiments ; lui-même ayant simplement perdu l’envie…



Mais bien au-delà de ce phénomène comico-burlesque de la tête arrachée puis recousue, Percival Everett n’épargnera pas de son histoire une virulente critique de sa société « religieuse », de ses travers et ses excès, tout comme ceux des scientifiques ou du pouvoir. Car, dans ce « Désert Américain », on y croise de tout et il s’en passe des choses que l’on nous cache. Un fanatique religieux se faisant appeler Big Daddy avec sa secte de gobeurs qui a enlevé des jeunes enfants, une unité scientifique dévouée au clonage humain qui ont réussi à cloné plusieurs « Jésus », des hélicoptères noirs survolant le désert pour entretenir notre paranoïa façonnée par des années de Big Brother is watching you. Et ce pauvre type qui retrouve le goût de la vie, la force de la vie… après sa mort.



A quel moment finit la vie et débute la mort. Voilà la profonde interrogation que l’auteur met en scène tout au long de son histoire déroutante et débridée. Car, autour de ce zombie, on s’interroge beaucoup sur le sens de cette résurrection, sur le rôle de Dieu le Créateur et sur ce qui pourrait se passer une fois que tous les signes physiques indiquent l’état de « mort ». Et si George Romero avait raison ? Et si un matin, lorsque vous vous regardez devant la glace de la salle de bain, sous une lumière jaunâtre et blafarde, sur un carrelage bleu turquoise et froid, vous apercevez une énorme cicatrise qui fait tout le tour de votre cou, il y aura de grande chance pour que cela soit les traces de votre récente décapitation. Le bon point, c’est que même en plein désert, vous n’aurez pas soif, ni même envie de pisser. Le mauvais point, c’est que vous êtes mort !
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Châtiment



Me voilà à nouveau dans le Mississippi pour un roman burlesque et caustique qui défie les genres.

Percival Everett a l'habitude de jouer avec le grotesque et l’absurde pour dépeindre une société américaine prisonnière d'un passé peu glorieux et coincée par ses contradictions.

Autour du racisme, sujet récurrent de ses romans, il mêle Tarantino et les frères Coen pour livrer une enquête jubilatoire où des détectives Noirs doivent résoudre des meurtres plutôt gore de Blancs racistes.



Je retrouve ici les rednecks rencontrés chez Kingsolver et Michael Farris Smith, à nouveau représentés dans une caricature grotesque, ( Donald Trump comme chef de file) et surtout comme association malfaisante de racistes nostalgiques du KKK.

La petite ville de Money dans le Mississippi est ainsi décrite : " C'est un repaire de pequenauds débiles qui sont restés bloqués au XIXe S d'avant guerre et offrent la preuve vivante que la consanguinité ne conduit pas à l'extinction."

Ainsi tous ceux qui ne sont pas blancs sont accusés de tous les maux comme ces "Wetbacks latinos qui raflent tous les boulots".



Mais Percival Everett fait semblant de jouer le jeu de la discrimination et des clichés et  prend un plaisir certain à tourner toute cette histoire en dérision et à égratigner les stéréotypes.

Le roman est construit à partir d'une histoire vraie, celle de l’assassinat d’Emmett Till, un jeune garçon noir battu à mort et lynché en 1955 parce qu'il aurait sifflé une jeune femme blanche.



On découvre au début du roman une famille blanche pauvre et dysfonctionnelle dans laquelle une vieille femme, Mamie C, déclare regretter avoir accusé à tort un gamin noir. Peu après, les fils de la famille sont retrouvés étranglés par des fils barbelés, énucléés et

émasculés auprès du cadavre d'un jeune homme noir qui réapparaît sur d'autres scènes de crimes.



Ces crimes gore qui éclaboussent ce patelin de péquenauds racistes vont sérieusement inquiéter la population blanche menée par le chef local du Ku Klux Klan qui cumule les fonctions de médecin légiste et de révérend.

Percival Everett se moque allègrement de la nostalgie d'une certaine culture sudiste.

"Pis y avait beaucoup plus de croix enflammées, des pique-niques en famille et des matchs de foot et tout ça, dit Donald. Je me rappelle que j'ai mangé du gâteau à côté de cette croix toute rouge. J'adorais le gâteau de ma mère."



Par ailleurs, l'arrivée des enquêteurs noirs, deux hommes puis une femme du FBI, va bouleverser les représentations de la population, habituée à voir le pouvoir et l'autorité détenus par des Blancs. Leur capital sympathie va même s'amplifier à mesure que leurs blagues parfois simplistes vont entrer en concurrence avec leur courtoisie et leur perspicacité.



L'émotion saura pourtant trouver sa place dans cette comédie percutante. L'un des personnages du roman, Mama Z, a constitué des archives colossales de tous les crimes de lynchage commis depuis le meurtre de son propre père. Sept mille six personnes noires sont répertoriées, et l'énumération de leurs noms les rend "réels de nouveau, et plus seulement des statistiques " comme le souhaite celui qui écrit leurs noms.



Peu à peu une déferlante de meurtres de Blancs va toucher tout le pays jusqu’à la Maison-Blanche (avec la mise en scène corrosive d'un Trump d'une absolue mauvaise foi ), et faire ainsi basculer le polar dans une zone étonnante entre le cauchemar et la fable satirique. Car des hordes de zombies noirs et asiatiques se répandent dans le pays.

De manière totalement inattendue, l'auteur va utiliser le surnaturel pour décrire le racisme comme pour confronter les américains à ces fantômes qui hantent leurs consciences.



A quelques mois de l'élection américaine, ce livre qui ne ressemble à aucun autre, pose des questions essentielles sur le besoin de réparation et la reconnaissance des violences policières envers les afro-américains.



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Blessés

John est un homme noir venu en Arizona tutoyer les grands espaces afin d’assouvir son besoin de liberté. Cow-boy des temps modernes, il a un ranch où il dresse des chevaux.



L’histoire commence le jour où il apprend qu’un crime homophobe a été commis sur un jeune garçon retrouvé la gorge tranchée. Suite à cet événement, l’un de ses employés sera mis derrière les barreaux alors qu’il clame son innocence.



Le début du livre est sur une pente policière. Même si l’on est dans le grand ouest où il règne une atmosphère de far niente, on aimerait bien savoir qui est le vilain, et tout le monde dès lors nous semble suspect. Un certain suspense plane tout au long du livre mais il changera de teneur au cours des chapitres.



John pense sans cesse à sa femme, Silvia, décédée quelques années plus tôt, lors d’une chute de cheval. Un accident dont il se sent coupable. Son oncle Gus avec qui il cohabite, est son repère, son point de réconfort, et depuis peu, sa voisine Morgan s’est mis en tête de le courtiser.



Dans les jours qui suivent, des voisins ranchers défilent chez lui, pour signaler des actes de vandalisme qui troublent leurs fermes et pâturages. Ensuite, un ancien ami qu’il avait presqu’oublié, lui téléphone pour lui recommander son fils David qui passera séjourner dans le coin.



C’est beaucoup de changements en peu de temps dans l’univers de John.

Dans la suite, ce roman prendra un tour plus intimiste et cela va parler du relationnel homosexuel.



Ce plaidoyer non-discriminatoire, où il est très facile de se plonger, est une lecture éloquente, par instants charnelle, où des personnages blessés pour diverses raisons, sont aux prises avec leurs manifestes ambiguïtés et se débattent avec des sentiments auxquels ils doivent donner un nom, le plus bravement possible, en bons cow-boys.

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Désert américain

Théodore Larue, professeur d’université, marié, deux enfants, roule avec la pensée de se suicider lorsqu’il est percuté de plein fouet par un camion. Décapité sous le choc, sa tête roule dans le bas fossé. Les employés des pompes funèbres le recousent approximativement, mais le jour des obsèques, en pleine messe, il se lève de son cercueil, aussi vivant que vous et moi.

Bouleversement dans la famille, dans les médias.

Commence alors un long parcours compliqué pour ce ni mort ni vivant, mais pourtant les deux à la fois.

Je ne sais plus comment ce livre s’est trouvé dans ma PAL, mais je n’avais pas spécialement envie de le lire.

Or, j’ai passé un excellent moment.

C’est bien écrit et l’histoire ne manque pas d’originalité.

Malgré cette situation difficile, j’ai souri plus d’une fois, ça ne manque pas d’humour.

Les excès américains tant religieux que sectaires, que scientifiques sont dénoncés clairement.

Ted ne trouve un sens à sa vie qu’une fois mort.

Où commence la mort ? où se termine la vie ?

Sous couvert d’une comédie loufoque, l’auteur pousse à la réflexion sur la vie et la mort.

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Manuel de dressage - Truite de fond

Percival Everett, un nom qui m'attire depuis longtemps mais un auteur que je n'avais pas encore lu. C'est chose faite avec cette toute nouvelle édition en français de deux de ses recueils de poésie.

Le titre et le thème m'ont suffisamment intrigués pour cela. "Manuel de dressage". Attention, rangez votre sensibilité au placard et sortez votre humour noir, il s'agit du dressage d'esclaves. Humains, oui.

Everett dit s'inspirer du manuel (je crois malheureusement qu'il a vraiment existé) du colonel Hap Thompson (réel, lui), vétéran de la guerre de Sécession pour composer cette poésie parodique.

Chaque poème aborde un des principes du dressage de son esclave, le tout annoté à la main par un apprenti maître partisan fervent du colonel.

Ca aurait pu être du Desproges, en un peu moins hilarant; j'ai quand même souri jaune tellement c'est affreux, affreux et si vraisemblable, quel humour! Tout y est abordé, la beauté physique, la santé, l'endurance, la docilité, la productivité, la crainte de l'esclave, et la manière de le rendre servile, obéissant en le fouettant régulièrement ou en le noyant à moitié, en le faisant courir des cercles dans un sens puis dans un autre, etc...

J'ai trouvé cette parodie fascinante, et libératrice.

La deuxième partie est plus intime, sombre aussi, s'interroge sur la relation au corps et ce qui le compose, flirte avec l'idée de la mort, voit l'ombre du suicide se profiler par une nuit d'insomnie et sans doute de souffrance.

Je n'ai pas été entièrement convaincue par le style, mais certains de ses poèmes ont résonné en moi.

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Blessés

John Hunt, après de brillantes études en histoire de l'art a finalement décidé de vivre dans un ranch et de dresser les chevaux. Il trouve une sorte de paix intérieure dans cette vie proche de la nature. Il se reconstruit après la mort tragique de sa femme, commence à retrouver l'amour auprès d'une séduisante voisine. Mais les choses ne sont pas simples dans la campagnes profonde américaine, car John est noir, et un certain nombres d'individus font régner la violence, sur les bêtes et les hommes, ceux qu'ils jugent inférieurs et indignes de vivre, Noirs, Indiens ou homosexuels, comme David, le fils d'un ami de John venu l'aider dans son travail au ranch.



C'est le deuxième livre de Percival Everett que je lis, le premier ayant été Effacement. C'est incontestablement un auteur de grand talent, il a une belle écriture fluide et poétique, qui rend à merveille les beautés de la nature, le lien de John avec les chevaux, le rythme de travaux quotidiens au ranch. Je suis plus réservée quand à la construction du récit. Cette campagne profonde américaine raciste et violente, on l'a déjà vu très souvent chez les écrivains américains. Et je trouve que Percival Everett n'apporte rien de particulièrement nouveau ni original. Les assassins sont des sortes de silhouettes, on ne comprend pas vraiment ce qui arrive, et la fin est à mon avis trop rapide. De même son histoire d'amour avec Morgan est peu convaincante, il se laisse faire, à aucun moment ne transparaît chez lui quelque chose qui serait un sentiment, enfin moi je n'ai rien ressenti de cet ordre.



Je ne veux pas avoir l'air trop négative non plus, c'est un livre que j'ai lu sans aucun déplaisir, très rapidement, grâce en particulier à la belle écriture de Percival Everett. Mais j'ai eu la sensation d'être en face d'un brouillon de quelqu'un de très doué, plus qu'en face d'une oeuvre aboutie, peut être en face de quelque chose qui serait un excellent scénario de film. Il faut dire que j'avais beaucoup aimé Effacement, qui à mon sens est un livre infiniment plus ambitieux et réussi, et que j'attendais peut être trop.
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Blessés

Ce roman nous marque dans le sens où, pour fuir la haine des hommes, si ce n'est de la haine raciste entre noirs et blancs, ça serait une haine contre les homos, Jhon Hunt choisit de se donner à la nature et aux animaux. Amoureux des chevaux, il communique avec eux comme s'ils avaient un vide à combler dans sa vie. Il y a aussi une grotte solitaire qui est un refuge pour lui dans ses moments de nostalgie. Mais quand va venir David dans son ranch, la vie paisible de Jhon Hunt va être bouleverser, et même sa capacité à tolérer les autres va ébranler la tranquillité de sa conscience. Un roman très humaniste, donc très paisible à lire malgré certaines cruauté envers les homosexuels.

L'écriture n'est pas aussi envoutante, ni aussi antipathique, mais elle procure simplement un plaisir pondéré...
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Châtiment

La découverte du cadavre émasculé d’un homme blanc auprès du corps sans vie d’un noir copieusement tabassé jette l’effroi dans la communauté blanche et historiquement raciste de la petite ville de Money, Mississippi. Mais quand le corps du noir disparait dès le lendemain de la morgue pour être abandonné près d’une seconde victime elle aussi émasculé, l’émotion est à son comble. Face à l’incompétence du shérif local et de ses adjoints demeurés, l’état envoie sur place deux enquêteurs, fins limiers, certes, mais noirs ce qui ne favorise pas leur intégration. Le rapprochement avec le lynchage honteux, en 1955, d’Emmett Till, quatorze ans, un jeune noir accusé de manque de respect envers une blanche (*) permet à l’enquête de progresser mais les assassinats de blancs explosent dans plusieurs états selon le même modus operandi….

Le racisme latent de quelques états du sud des Etats-Unis demeure un problème grave mais ici l’auteur a choisi l’ironie féroce et l’humour second degré à base de dialogues savoureux et de situations délirantes pour dénoncer les errances des forces conservatrices américaines.

(*) Cet atroce mais authentique fait divers est largement développé dans « L’affaire Emmett Till » de Jean-Marie Pottier paru récemment chez 10/18 dans la collection True Crime.

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Pas Sidney Poitier

Le jeune Pas Sidney Poitier doit son nom à sa ressemblance avec l'acteur et surtout au caractère bien trempé de sa mère, qui après vingt-quatre mois de grossesse, l'a mise au monde...Après sa mort et ayant hérité d'une immense fortune, il est pris en charge par le fantasque Ted Turner et sa femme Jane Fonda. Pas vraiment doué pour les études, il intègre néanmoins Morehouse college, prestigieuse école à Atlanta, après avoir subi moult assauts sexuels d'une des ses profs quand il n'était qu'écolier. Il y fréquente les héritiers de la bonne société ,intégrant une fratrie et se liant avec la jeunesse dorée afro-américaine. Des aventures et rencontres extravagantes vont jalonner son parcours, et beaucoup d'entre elles d'ailleurs présentent de nombreuses similarités avec la filmographie de Sydney Poitier.



Une déception après la lecture de ce roman de Percival Everett, un auteur dont j'avais apprécié deux autres romans. Séduite et intriguée par la quatrième de couverture, j'ai assez vite déchanté par l'accumulation d'aventures plus surréalistes les unes que les autres, trop peut-être car le tout m'a vite perdu, quand je reprenais la lecture, je ne me souvenais plus des derniers passages, et avais du mal à reprendre le fil de ma lecture...

Même si l'intérêt était de revisiter, en les poussant à l'extrême, les films de Sydney Poitier, acteur consensuel et apprécié des américains pour y dénoncer racisme et bienpensance de la sociéte américaine , j'ai trouvé l'enchaînement des aventures de Pas Sidney Poitier trop abracadabrantes

et cet aspect a nui à la dénonciation de ce racisme. Certes c'est très bien écrit, intelligent, mais plus d'une fois j'ai été tentée d'abandonner, j'ai d'ailleurs lu les 70 dernières pages en diagonale, lassée de tous ces retournements de situations surréalistes et peu crédibles, mettant au deuxième plan l'analyse de la société américaine.

Je suis passée à côté de ce personnage et de ce roman mais pas de

Percival Everett écrivain que je vais continuer à lire.
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Manuel de dressage - Truite de fond

Expérience extrêmement mitigée que la découverte de Percival Everett par l'intermédiaire des deux recueils que propose ce volume des éditions Points Poésie.



D'abord, avec Manuel de Dressage, qui imagine le manuel qu'aurait pu écrire un maître pour bien éduquer ses esclaves noirs - ce qui semble avoir existé, en plus -, manuel qui plus est annoté par un autre maître, celui qui aurait acheté le manuel, pour valider ou non les règles transmises, j'ai été percutée de plein fouet par le poète, par son ironie mordante, qui dénonce ainsi avec justesse non seulement l'esclavagisme des premiers temps états-uniens, mais aussi le racisme qui est toujours bien en vigueur.



Ensuite, avec Truite de fond, je me suis laissée entraîner par la musicalité et la beauté de certains poèmes - du moins dans leur version traduite -, mais je suis restée complètement hermétique à leur abstraction. Or, pour moi, fond et forme, en poésie, ne peuvent qu'aller ensemble.



Je retenterai l'expérience avec d'autres recueils, dans tous les cas, en version originale cette fois.
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Tout ce bleu

Bon roman sur l'histoire d'un couple, mais sans plus.



Perceval Everett nous avait habitué à des livres engagés, sur la question des noirs, des femmes, des homosexuels... Rien de tout cela ici. Un livre plus banal, ai-je envie de dire. Pas forcément mauvais, mais qui n'a pas cette touche supplémentaire qui me plaisait chez cet auteur.
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Désert américain

Comme beaucoup d’auteurs américains, ce n’est pas l’écriture qui attire et retient l’attention chez Everett mais le récit, un récit porté par un regard corrosif sur la société américaine, un récit très efficace.



Avec ce qui pourrait apparaître pour une fable fantastique, le roman nous plonge dans la vie rocambolesque de Ted Larue, un Jésus Christ des temps modernes. Un homme accidentellement tué puis ressuscité bien malgré lui suscite une hystérie collective mêlant pêle-mêle ferveur chez les uns, terreur chez les autres.

Passé à une vie qui n’en est pas, il va se retrouver confronté à tous les excès d’une Amérique en manque de repères qui s’est corsetée dans une morale puritaine.

Tantôt adulé comme le Messie tantôt craint comme le Démon, Ted vit diverses aventures comme autant de prises de conscience sur le sens de la vie. Des prises de conscience qui lui attribuent des qualités qu’une vie ordinaire dans la banlieue de Los Angeles n’aurait pu lui permettre d’y accéder…

Bien sûr avec un tel destin, le héros ne pouvait se contenter de vivre une vie paisible de fantôme ou de « supravivant » pour l’éternité. S’il refuse sans cesse d’être assimilé au Christ, il se voit néanmoins lumineusement investi d’une mission dans le désert : comme tout ressuscité il se doit de sauver l’humanité, d’une moins une partie.



Avec une écriture sans fioriture et des dialogues mordants, ce roman s’avère diablement efficace : on se laisse embarquer dans ce récit complètement loufoque, absurde avec quelques sourires. On observe de manière cocasse une société pleine de névroses. Bien qu’on discerne très vite une parabole de la rédemption, l’auteur parvient à garder une certaine fraicheur ; le récit demeure imprévisible, du moins pour une majeure partie de cette fable.

Car, il n’en demeure pas moins que le récit apparaît mystérieusement inégal. La pointe d’acidité n’empêche pas l’auteur de ponctuer le récit de certains poncifs facilement identifiables dans les fictions américaines : une construction de la trame en quête de héros, un homme à la vie totalement banale et insipide transformé en un homme meilleur… peut être à interpréter comme une volonté de l’auteur de les dénoncer tant les dernières péripéties de la fin du roman sont farfelues et grotesques. Ce qui conviendrait parfaitement avec la dénonciation des excès de la société américaine tels que nous, européens, aimons lire.

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Je suis un écrivain, un diplomate et homme politique camerounais, né le 14 septembre 1929 à Ngoulemakong, près de Ebolowa (Cameroun) et mort le 10 juin 2010 à Yaoundé à l'âge de 80 ans. Je suis l'auteur des livres : Une vie de boy et Le vieux nègre et la médaille, publiés en 1956.

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