Tout en l'embrassant, elle s'assied sur lui avec volupté, un genou après l'autre, une cuisse puis une autre, laissant son bassin faire des mouvements délicats mais affirmés qui donnent à ce baiser une connotation des plus suaves, qui rend explicite ce point : il n'y a, pour ces deux êtres, pas d'amour sans faire l'amour. Ils vivent un amour incarné, un grand appétit l'un pour l'autre, pour leur corps mutuel, pour toutes ses formes et ses sécrétions, un élan de l'âme pour la chair, une soif de jouir et une faim d'aimer.
Personne... sauf Anna, qui avait un goût pour l'excentricité et une volonté de se démarquer de toutes ces femmes dont le discours amoureux est formaté par un arbitraire glacial, celui des codes hermétiques du langage commun, de manière à se comprendre tous d'intuition (si elle appelle son compagnon son "chéri", cela signifie que leur histoire est antérieure à quatre ans de vie commune ; si elle appelle son amoureux mon "mec", cela implique que leur relation a la fraîcheur du baptême ; si elle l'appelle son "copain", cela indique qu'ils ont moins de vingt et un ans ; si elle l'appelle son "mari", cela veut simplement dire qu'ils sont passés devant le maire et qu'ils sont à présent installés dans une communauté de biens). Or, il n'y avait rien de "commun" entre ces épouses qui nomment leurs maris des "époux", et Anna, cette extrémiste de l'amour, pensait son union sous un caractère quasi divin - si ce n'est clairement mystique - et, lorsqu'elle avait envie d'appeler Jackson son "mari", souhaitait dire par là qu'elle s'unissait à lui jusque dans les limbes.
Cela avait commencé ainsi : par des "je t'embrasse mon amour" qui manquaient en conclusion de leurs entretiens téléphoniques, par des appels de moins en moins fréquents quand il était absent, par des textos à caractère pornographique auxquels il n'avait jamais le temps de répondre - car il travaillait dur -, par un agacement qui était le sien quand Anna ne se rendait pas compte que s'il rentrait tard c'était pour lui offrir une meilleure vie, par le sentiment qu'il avait de ne pas avoir de reconnaissance, par des dîners qu'elle préparait et qu'elle repoussait à manger seule, selon lui par caprice. Il n'avait jamais eu cette idée auparavant, mais dorénavant Anna lui apparaissait capricieuse. Car enfin quoi, il travaillait pour elle !
"Dis-moi que tu m'aimes, mon amour de toujours.
- Je t'aime.
- Dis-le encore.
- Je t'aime mon amour. Je t'aime plus que tout.
- Jure-le moi.
- Je promets de t'aimer toute ma vie et plus encore, mon Aphrodite.
- Moi aussi... il n'y a pas de vie sans toi, mon amour."
Atteinte d'un rouge ravage, plus rien n'existe que sa colère et son corps bouillonne de décharges pulsionnelles qui lui demandent, sans qu'elle ne s'en rende compte, une énergie folle car herculéenne. Si Jackson était là, elle l'aurait frappé, la chose ne souffre d'aucun doute. Frappé parce qu'elle n'aurait pas été capable de cette mesure, de cette détermination et de cette canalisation qu'il faut à une femme pour gifler (seulement) un homme. La folie de son amour pour lui la rend dangereuse mais elle ne le sait pas encore. La libido doit forcément trouver un moyen pour s'exprimer, quand bien même il serait vicié.
Lorsqu'elle lui dit qu'il n'y a pas de vie possible sans lui, elle mesure chacun de se mots, lui faisant comprendre que la vie s'arrêterait net pour elle si jamais il n'était plus là. [...] Une seule vie, un seul amour. Elle le sait, il n'y a de vie que parce qu'elle est aimée de lui. Il n'y a de chaleur que dans le périmètre de son regard. Le froid et le néant se situent là où les yeux de son époux ne se posent pas. Son attraction à son endroit est des plus totales et des plus tyranniques. En d'autres termes, elle en est la subordonnée.
- Ne me refais plus ça mon amour.
- Ne me donne plus envie de partir, alors.
- Ne dis pas ça, c'est terrible ce que tu dis.
Jackson a le sentiment qu'il lui demande à mots couverts de devenir raisonnable. En verbalisant cela à la manière d'une dénégation, il lui confie son besoin de rester auprès d'elle. Anna a le sentiment qu'il avoue le désir latent de quitter le domicile conjugal ; l'aveu d'un désamour. Il y a un malentendu.
Le corps d'Anna venait de subir l'assaut d'un tsunami intérieur, une déferlante de chaleur qui parcourait le tout de son corps, qui rendait moite le bout de ses doigts et inondait son cœur d'une passion qui avait la saveur de l'éternité.
Ils s'aiment comme ils s'abîment : avec une intensité écarlate, de celle qui calcine.
Elle accompagne l'arsenic de ses paroles avec un de ces rires qui donnent des démangeaisons Urticantes, à en changer la couleur de l'épiderme. Sa bouche doit être à l'origine de nombreuses toxidermies.