Lucie Leroy de la librairie Mollat vous présente son coup de coeur pour Gens du Nord, le nouveau roman de Perrine Leblanc !
« Au coeur du conflit nord-irlandais, la naissance d'un amour délicat qui se lit comme dans un souffle. Un faux roman d'espionnage, fondé sur les silences et les non-dits, un texte pudique qui plonge le lecteur envoûté dans une délicieuse brume
Un bijou ! »
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En 1991, un journaliste français, jaloux de son indépendance, trouve son compte dans les poudrières du monde et les histoires d'amour vécues comme des parenthèses. Attiré par le récit, animé par le besoin d'informer ses lecteurs et séduit par le jeu, il se lie sur le terrain avec des hommes qui renseignent l'État et d'autres qui militent pour la décolonisation en Irlande du Nord. Une jeune journaliste québécoise fascinée par Samuel Gallagher, un écrivain irlandais qui nageait dans les eaux troubles de l'IRA avant d'être exécuté par un groupe paramilitaire près de Belfast, part à la recherche de son sujet. "Gens du Nord", c'est l'histoire d'une rencontre sur l'échiquier de la guerre qui fait exploser les secrets.
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En savoir plus : https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Gens-du-Nord
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Après l’explosion, les portes qui claquent s’assimilent à la violence, les feux d’artifice du Nouvel An sont des détonations, les enfants qui s’amusent dehors, dans la neige, ont la chance de ne pas avoir peur des bombes.
(Gallimard, p.149)
Elle avait la peau des mains sèche, blanche et tavelée. Ses mains étaient celles d’une femme qui a élevé deux enfants, astiqué des canons d’armes semi-automatiques, préparé des bombes de pétrole, frappé sur le bitume avec le couvercle d’une casserole ou d’une poubelle quand elle assistait à une descente de police chez les voisins, caressé son homme et beaucoup prié.
C'est Alexis. Il a le menton en galoche, les yeux ronds et rapprochés comme ceux des Anglais, une grande bouche aux lèvres minces, mangées, qui s'étirent dans un sourire de timide qu'il n'offre pas souvent aux autres. Il vend des fleurs et des plantes. Il offrait des roses à Geneviève, avant sa disparition. il a associé toutes les jeunes filles de Malabourg à une fleur. Geneviève, sa préférée, c'était la rose de Damas.
Nos conditions de vie sont violentes. La pauvreté qui est la nôtre est violente. Vivre avec peu et avec un avenir bouché pour nos enfants est une violence. À ça je réponds, comme l’ont fait mon père et ses frères, par la violence.
(Gallimard, p.133)
Mina n'est pas très prolixe. Elle a les dents mal plantées. Elle sourit peu et rit en pinçant les lèvres. Dans l'inventaire des filles de Malabourg dressé par Alexis, Mina, c'est le pissenlit, la dent-de-lion. En langue morte : dens leonis.
(p.61) Bulldog, c'était le surnom d'un gars de l'IRA bas sur pattes, qui avait l'air de faire la gueule tout le temps, même quand il avait oublié de se saouler. Il était né fâché, il aimait fâché, il mangeait fâché. Dans la guerre longue que les Irlandais du Nord menaient contre les Britanniques, il était en adéquation avec son sang, fâché depuis vingt générations.
Le secret dessine parfois entre les gens un lien plus fort que l'amitié.
Il aurait aimé croire au hasard, mais le hasard se fout toujours de la gueule des gens les plus rationnels.
Le temps avait léché le bois des chaises et l'humidité avait rouillé le fer des pattes de table, mais l'heure bleue, grand peintre, avait passé un pinceau sur les défauts du matériel, changeant même le chat gris foncé du bistrot qui avançait sous les tables en panthère.
C'était une odeur facile, écoeurante à cause du jasmin et de la vanille dont il avait abusé, qui puait le bouquet de mariée et le gâteau de noces bon marché, mais cette puissance sucrée était suffisante pour dissimuler l'odeur de sueur fétide que la dame Ka traînait matin et soir, été comme hiver, et celle de la crasse bien installée dans les plis des aisselles et des biceps mous de cette rousse naturelle passée à la teinture de la vieillesse. Le parfum de crème brûlée au jasmin mélangé à l'odeur rance des aisselles, pommes blettes immangeables, conférait à Madame Ka une odeur personnelle qui plaisait aux hommes: elle sentait le sexe et un peu le sale.