Pete Fromm

En acceptant de venir ici, j’avais dans la tête une vague idée de liberté : n’obéir à personne, ne faire que ce que je voulais. Il me semblait maintenant avoir négligé le fait tout simple que, même si je pouvais faire tout ce qui me chantait, et à n’importe quel moment, il n’y avait rien à faire.

Les semaines passèrent, les mois. La glace se forma sur la rivière, la neige s'empila de plus en plus haut. Et plus haut encore. Les températures chutèrent. Zéro. Moins dix. Moins vingt. Moins quarante.Chaque jour, mon unique tâche était de faire circuler l'eau dans le bassin, mais chaque soir la cascade située au bout gelait, bloquait l'eau et menaçait de tout changer en glace, en me laissant deux millions de petits cubes de saumon. Donc chaque matin, je fendais la cascade glacée à coup de hache, je libérais l'eau prisonnière, je la faisais circuler et maintenais les oeufs en vie. Un jour normal, cette tâche prenait en moyenne cinq minutes. Le reste de la journée, de chaque journée, vingt_trois heures et cinquante_cinq minutes, était du temps libre.

Je me traîne hors du lit, trouve un sweat-shirt et descends l'escalier à l'aveuglette, la nuit fraîche sur mes jambes nues, un string n'étant peut-être pas la tenue la plus appropriée pour préparer des sandwichs à deux heures du matin.

Tous ces inconnus ne voient que les tics, le fauteuil, le pauvre homme en sueur derrière, préposé aux poignées. Mais lorsque ma respiration flanche, qu'il me faut trouver une chose à laquelle me raccrocher pour me convaincre que nous aurons toujours la force d'avancer, , je retourne à mon point d'ancrage: le lendemain de notre nuit ensemble. Aujourd'hui encore, quand je me rappelle combien j'étais éblouie, combien j'osais à peine y croire, j'en ai le souffle court. D'ailleurs, je ne suis toujours pas sûre de le croire, que nous survivrons même à cela. Mais ce matin là, nous étions tous les deux si forts que le Wyoming n'était qu'une toile de fond, et nos pensées ne s'étendaient pas plus loin que la friction des pagaies contre nos paumes, le grondement de la rivière sous nos pieds. Les fauteuils roulants-et les pauvres types coincés dedans- nous étaient aussi étrangers que des extra-terrestres.

- Je ne pense pas que la Nouvelle -Zélande soit si terrible que ça , finit-il par dire.
- C'est bourré de Hobbits.

Déposer Midge à la garderie, c'est un peu comme être pendu et équarri. Il tremble en s'éloignant, transpercé par ses cris. La femme lui assure que c'est normal, tout à fait naturel, mais Taz ne peut imaginer chose moins naturelle au monde.

Pour autant, cette même neige qui poussait les écureuils à s'enterrer faisait aussi sortir des montagnes, là où les chasseurs l'avaient acculé, le gros gibier. Un matin, en ouvrant le rabat de la porte d'entrée de ma tente, je me trouvai nez à nez avec une harde d'environ soixante cerfs en train de souffler de l'air chaud sur la prairie. Ils m'avaient repéré les premiers, et ce jour-là, portant mon lourd fusil, je découvris la capacité du gros gibier à disparaître. Nouvel épisode humiliant.

Nous atteignîmes une vaste clairière occupée en partie par les tentes des chasseurs de cerfs. Le garde coupa le moteur. Nous étions à Indian Creek.

Là-haut, la neige ensevelissait tout et quand le vent tombait, le silence devenait à nul autre pareil. Peut-être l'avenir ressemblait-il à cela, le silence seulement brisé par des moments qu'il n'aurait jamais cru devoir espérer un jour.

— Putain, l’ignorance a ses avantages. J’en reprendrais bien un verre. Servez-m’en un double.

" - Chez nous, l'amour n'est pas une chose qu'on fait semblant de ne pas voir dans l'espoir que ça disparaisse."

J'étais seul, au coeur même de la solitude.

- On peut repartir de zéro, Luce. On peut tout faire, aller n'importe où. On peut être qui on veut.

Quand la route fut dégagée, la voiture redémarra et je laissai derrière moi Boone, mon printemps et mes saumons. J'étais venu ici pour avoir une histoire à raconter, mais il se passa un certain temps avant que je ne trouve quelque chose à dire.

Le vocabulaire de mon père regorge de mots que l'on n'utilise pas en temps ordinaire. Récemment, il m'a dit qu'il trouvait bien dommage que le mot scélérat soit tombé en désuétude. "Avec le gouvernement actuel, c'est à coup sûr un mot que l'on devrait entendre plus souvent."

J'ai repensé à ta question, pourquoi on n'avait aucune photo aux murs, dit-il en tendant la main vers la clef de contact. La réponse, c'est que je n'en ai pas besoin. Tout ce que je veux, je l'ai sous les yeux. Chaque jour. Je n'ai pas besoin d'aller chercher plus loin.

Je crois qu'ils essayaient de ne pas s'attacher à moi, comme des soldats aguerris avec une jeune recrue qui, de toute façon, ne leur survivra pas.

- Tiens. En voilà un qui est intéressant.
Je suis son regard, prête pour une nouvelle mise à mort, mais ce type-là ne s'avance pas vers nous, il n'endosse pas son costume de coq, ventre rentré, torse bombé. Appuyé contre un mur, il discute avec un autre mec. Et Allie ne plaisante pas quand elle dit qu'il est intéressant, elle a l'œil. Sans aller jusqu'au mannequin pour sous-vêtements ou quoi que ce soit dans le genre. En ce sens, il est un peu comme Troy, bien bâti, mais pas comme s'il avait passé des heures à la gym ou devant le miroir. Beaux malgré eux, sans l'avoir fait exprès.

Heureuse n'est pas le terme exact. Veinarde peut-être, mais les mots sont si durs à capter. Aimée. Voilà ce qui s'en approche le plus.

La bêtise, comme l’immaturité, est sans limites.