Quoi que puissent en penser les bien-pensants, c'est-à-dire les non-pensants, un laquais est là, de plein droit, dans le sanctuaire du coeur qui n'oublie pas, à égalité avec les grandes dames sur qui il n'aurait jamais osé levé les yeux. Et, n'en déplaise à la marxisation indiscrète dont Stendhal a parfois souffert, cette présence n'a rien à voir avec la promotion du prolétariat, mais avec quelque chose de décisif qui ne relève nullement des classes sociales : la qualité de l'être. Et cette qualité, on la rencontre partout.
A la fois totalement voyageur et écrivain absolu, Flaubert n'a aucune estime pour les récits de voyage, qui lui semblent trahir à la fois le voyage et l'écriture.

Ne disons rien des incarnations de Charlus au cinéma qui, quels que soient par ailleurs les mérites des comédiens (Alain Delon chez Volker Schlöndorff, John Malkovitch chez Paul Ruiz, Didier Sandre dans le téléfilm de Nina Companeez), étaient voués à décevoir, non seulement parce qu'une heureuse fatalité propre à la littérature condamne les mêmes mots à suggérer chez les lecteurs des images différentes, mais aussi parce que les notations proustiennes sur le corps du personnage sont si riches et si précises qu'il est sans doute impossible de les reproduire toutes à la lettre dans le corps d'un interprète, quel qu'il soit. Et c'est fort bien ainsi, puisqu'au lieu de proposer une tautologie servile, le cinéma, avec ses moyens propres, laisse le dernier mot, le plus libre et le plus irresponsable, au texte qui l'a sécrété. On en arrive presque à se réjouir que Visconti (qui avait songé à Marlon Brando pour Charlus) ou Losey n'aient jamais pu mettre à exécution leurs projets d'un film tiré d'À la recherche du temps perdu.
Hiéroglyphes, p. 32 - 33
Honte à vous, qui avez marginalisé Robert de Saint-Loup ! On voit bien que personne, pour vous éviter de prendre froid, ne vous a jamais apporté une fourrure en dansant
Partir, revenir pourquoi ? pour qui ? Flaubert est écartelé entre ce qu'il ressent comme un besoin vital, à satisfaire à tout prix sous peine de crever sur place, et le pressentiment, ou plutôt la certitude au futur antérieur que cet assouvissement sans lequel il serait asphyxié ne lui apportera pas ce qu'il en espère.
Pastichant la fière devise des Rohan ("Roi ne puis, Prince ne daigne, Rohan je suis"), Roland Barthes disait que celle de l'artiste pourrait être : "Fou ne puis, sain ne daigne, névrosé je suis"*.
C'est celle de Charlus.
Le chevalier à la név(rose), p. 71
* Le Plaisir du texte, Seuil, 1973, p. 13
Dans les entrailles du silence peuvent couver de beaux avènements, mais tout autant avorter des projets incapables de jamais s'incarner.
Il y a un siècle, à peu près jour pour jour, la postérité commençait pour Barbey d'Aurevilly sous le signe du litige, et le plus physique : le pugilat entre Bloy et Péladan autour du cadavre. Encore s'agissait-t-il là d'une querelle entre "amis" du défunt, chacun soucieux de le revendiquer pour sien.
Dix ans avant de découvrir la terre des pharaons, elle est déjà là qui l’attend, vibrante d’une incommensurable énergie dont le secret s’est perdu. .
Sans cesse chahuté entre orgasme et débandade, ce n’est pas pour lui une figure de rhétorique que ce combat corps à corps avec la langue : humilié par les adjectifs, outragé par les relatifs, il est « en travail » au sens obstétrique et se vide de mots comme on accouche.