En ce début de décembre 1918, la pluie ne cessait de tomber, fine et froide, et s'associait aux fortes rafales de l'aquilon, pour dépouiller les grands arbres de leurs dernières feuilles. La grisaille affadissante du ciel se mariait avec le brouillard stagnant sur la plaine pour fermer l'horizon. Insensible à la récente annonce de l'armistice qui réjouissait les hommes, la campagne à l'abandon , enlaidie de fermes délabrées et de terres de cultures envahies de hautes herbes noircies, respectait scrupuleusement le rythme des saisons et s'endormait à l'annonce du proche hiver.
Le samedi en fin de matinée, Odette pétrissait un gros pain flamand au raisin. La pâte jaune et cireuse lui collait aux doigts et dégageait une odeur acide de levure. Elle la laissait reposer deux ou trois jours sous un linge épais, avant de l'enfourner à four très chaud. Bientôt, des parfums complexes et alléchants de pain chaud et de pâtisserie gagnaient toute la maison, attirant comme des mouches tous les enfants, grands et petits. Ila aimaient assister à la sortie du four de la grosse miche dodue et bien dorée qui laissait encore échapper quelques vapeurs. Odette, suivie de toute une ribambelle de gamins, portait haut le gros pain rond qu'elle déposait religieusement sur la table, au milieu des confitures, du chocolat et de la motte de beurre. Puis, elle saisissait le grand couteau et commençait à découper d'épaisses tranches longues dont la mie, d'une beau jaune d'or parsemé de raisins secs, était cernée d'une croûte ferme et croquante. Les enfants se jetaient sur les morceaux encore trop chauds qu'ils faisaient circuler d'une main à l'autre et qu'ils posaient à même la table devant eux, avant de les enduire d'une épaisse couche de confiture. Souvent, M. et Mme Sagaert partageaient avec leurs enfants ce goûter du samedi et testaient, en avalant une tranche, de la bonne exécution de la recette, avant de féliciter chaudement Odette pour l'équilibre parfait obtenu.
Taupier depuis toujours, Claude connaissait tous les fermiers de la région. Il jouissait auprès d'eux d'une réputation de fin piégeur et passait pour le seul à pouvoir, sinon éradiquer, tout du moins limiter les populations de ces nuisibles fouisseurs. Il leur était un auxiliaire précieux, les débarrassant des taupinières qui abîmaient les feux et les lames des faucheuses qu'il fallait raffiler plus souvent.
Le lourd fardeau c'est d'exister sans vivre