D'où vient Dracula ? le mythe puise dans les légendes de la vieille Europe, celles-là qui sont compilées, débattues, disséquées par Dom Calmet, érudit bénédictin du XVIIIe siècle qui consacre son grand-oeuvre à l'étude des vampires. Médecin légiste et archéoanthropologue, Philippe Charlier établit enfin l'indispensable édition scientifique d'un ouvrage clé du siècle des Lumières.
Les vampires existent-ils ? Quelle valeur accorder aux récits rapportés de Hongrie, de Moravie, de Silésie ? Comment les traiter du point de vue de la raison et de la religion ? C'est la mission que se fixe Dom Augustin Calmet en étudiant les manifestations de ces non-morts. Publié en 1751, son ouvrage marque un jalon important dans l'élaboration d'un rationalisme chrétien.
Philippe Charlier présente ce texte phare de l'histoire de la pensée et lui adjoint l'appareil scientifique dont il avait besoin. Il rappelle, surtout, combien la modernité ne peut être résumée au passage de l'ombre à la lumière, et combien les anciennes croyances continuent d'exercer leur pouvoir de fascination sur nos imaginaires.
Docteur en médecine (médecine légale), docteur ès-lettres (archéoanthropologie) et docteur ès-sciences (éthique), Philippe Charlier travaille sur les rites autour de la maladie et de la mort. Spécialiste des non-morts, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Rituels et Comment faire l'amour avec un fantôme ? aux Éditions du Cerf.
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Autrement dit, pour déclarer un décès, deux témoins suffisent. Il n'est pas nécessaire de faire médicalement examiner le corps, ce qui ouvre la porte à toutes les irrégularités : l'officier d'état civil ne demande aucune justification médicale ou scientifique de l'état de mort du sujet. Deux membres d'une famille souhaitant se débarrasser d'un parent gênant peuvent ainsi le poudrer à l'aide d'un hokor, puis déclarer faussement mort leur proche, et en faire un zombi sans être inquiétés par qui que ce soit.
Cet article, comme le reste du Code civil haïtien, a été adopté en 1826 ! Si l'on peut comprendre qu'en cette première moitié de XIXème siècle, le nombre de praticiens était suffisamment faible pour qu'on soit obligé de se passer d'eux pour déclarer un décès, il est possible de dire que la situation a vraisemblablement changé en ce début de XXIème siècle. Une spécialité nouvelle est apparue (la médecine légale), d'autres sont venues complétées le champ des possibilités permettant - théoriquement - de diagnostiquer avec certitude un décès : anesthésie, réanimation, toxicologie. Il existe en effet de nombreuses circonstances mettant u individu en état de mort apparente, de telle sorte qu'il puisse être considéré par autrui comme décédé alors que ses fonctions vitales ne sont qu'au ralenti : prise de toxiques (hormis la tétrodotoxine, il faut compter les bêtabloquants - des médicaments qui diminuent la pression artérielle et le rythme cardiaque - et les barbituriques), les troubles métaboliques (hypoglycémie profonde, hypothyroïdie), l'hypothermie,le locked-in syndrome (ou accident vasculaire cérébral au niveau du tronc cérébral, une maladie bien décrite par Jean-Dominique Bauby dans son autobiographie, Le Scaphandre et le Papillon), et les troubles psychiatriques comme la nécromimie où certains patients "jouent à faire le mort".
Chapitre : Des zombis au tribunal
La mode du paranormal et de l'occulte trouve sa source au XIX e siècle, en réaction au rationalisme, au positivisme et au scientisme global. La science -alors en plein développement - tend à expliquer toutes choses, la technologie domine peu à peu la nature, maîtrise la matière et décuple les capacités de l'homme… Mais le spiritisme se nourrit aussi des inquiétudes populaires au sein du monde occidental et des brusques changements politiques qui ont abouti de façon diffuse à des révolutions politiques.
P 66.
Mais, on l'a vu, le vocable zombi peut recouvrir des réalités bien différentes : le "vrai" zombi, fruit de pratiques toxicologiques et de sorcellerie, un zombi qui présenterait un caractère social (avec un changement d’identité plus ou moins volontaire, facilité par ce véritable problème d'identité et de tenues des comptes d'état civil en Haïti), et enfin le zombi à connotation presque psychiatrique (pathomomie, nécromimie, personnalité multiple et notamment d'individu ayant connu la mort).
Chapitre : Des zombis au tribunal
"Cet ouvrage est aussi le résultat de multiples rencontres et innombrables échanges fructueux. La recherche scientifique est et se doit d'être objective ; justement, ces recherches ne sont pas le résultat d'un travail solitaire dans un laboratoire, mais celui d'une équipe pluridisciplinaire qui implique un sain et nécessaire dialogue entre les différents intervenants. Certaines des études décrites ci-après ont pu réunir jusqu'à une trentaine de chercheurs, dont quelque uns n'étaient jamais intervenus en médecine légale." (P. 14)

Pas de journée sans que des églises chrétiennes n'accumulent les prêches antivaudou. Certaines simulent des cas de possession où la victime déclare "avoir un loa dans la tête", "être le diable", "être Lucifer", et autres folklores caricaturaux qui, pour Erol Josué, assujettissent le peuple et continuent de "zombifier la société", établissant une forme de néocolonialisme dont témoignent les églises qui poussent "comme du maïs" sur l’île. C'est ainsi qu'un des sites majeurs de l'histoire du vaudou en Haïti (mais aussi de l'histoire même de la nation) a été touché de plein fouet par cette crise conscience : un arbre des esclaves avait été élevé à Bois-Caïman le jour de la cérémonie du 14 août 1791 ; c'est au cours de cette cérémonie magico-religieuse que des esclaves réunis autour de la mambo Cécile Fatiman ont bu le sang d'un cochon noir égorgé pour se rendre invulnérables face aux balles des colonisateurs. Cette cérémonie est à l'origine de la flambée insurrectionnelle qui a abouti à la création de l'Etat haïtien, établissant du même coup le vaudou comme religion protectrice de la révolution du peuple tout entier. Or, cet arbre extrêmement symbolique a été coupé il y a quelques années par des fanatiques chrétiens sous prétexte qu'il "hébergeait le diable", puis des églises ont été construites sur le site même pour le décontaminer.
Chapitre : Dans le péristyle d'Erol
"Les textes anciens indiquent peut-être la voie à suivre, mais pas la voie suivie au quotidien." (P.115)
"En attendant que la situation se débloque, la tête du "bon roi Henri (IV)" repose depuis bientôt trois ans dans le coffre fort d'une banque parisienne. Un bien triste sépulcre." (P. 197)
"Mon ami, je t'ai envoyé quérir pour me venger de mon mari qui m'a battue. Mon ami, il faudrait que tu le tues et mettes à mort, car aussi bien je n'aurai jamais bien avec lui. Il dit aussi qu'il me tuera.
- Mademoiselle, ne vous en souciez plus, car je le tuerai bien.
- Mon ami, tu me feras un grand plaisir"
(Dialogue rapporté lors du témoignage d'une femme de chambre dans une affaire criminelle datant de 1532.)

On le voit, les études sérieuses sur les cas de zombi sont rares. Certains universitaires nord-américains, assez facétieux, se sont servis de ce mot comme d'une figure de style pour étudier sur le plan neurologique les altérations liées à l'état de faible conscience ou de mort cérébrale. En 1997, la publication dans le Lancet - journal médical de réputation mondiale - d'un article portant sur trois cas de zombis examinés médicalement par un psychiatre anglais et son homologue haïtien (Charles Douyon) a fait l'effet d'une bombe dans le milieu scientifique. Après des investigations de terrain, des examens cliniques et complémentaires (scanner et confrontation génétique avec les autres membres de la famille, par exemple), les praticiens ont pu clore trois dossiers sélectionnés avec des diagnostics divers : schizophrénie catatonique (pour la patiente "FI") correspondant très vraisemblablement à Francina Ileus vue plus haut) ; lésions cérébrales postanoxique avec épilepsie séquellaire ; usurpation d'identité.
Chapitre : D'autres zombis... morts ou vifs
"Quel sera l'avenir de cette discipline, l'archéo-anthropologie? Peut-être et surtout une interdisciplinarité, c'est à dire, une collaboration intense et fructueuse avec d'autres champs d'application et d'autres disciplines scientifiques et humanistes : médecins légistes, historiens, archéologues, anthropologues, ethnologues. (...) Les échanges entre disciplines universitaires ne sont pas dispersion mais émulation, progrès. Ils sont la clé de l'objectivité et de l'excellence scientifique, de la "manifestation de la vérité", comme on dit au tribunal." (P. 224)