Finalement quoi, une écriture de Philippe Madral.
Par bonheur, il me reste mes livres pour compagnons, et c'est sans doute aussi bien, car la fatigue de l'âge vous fait éprouver de plus en plus de lassitude à l'usage de la conversation.
- Éclairez donc de vos lumières notre Surintendant, La Reynie. Il croit toujours dans l'infinie bonté de l'homme. Je ne sais quels auteurs il a bien pu lire pour cela, ni s'il s'agit d'un défaut ou d'une qualité.
Malgré mon dégoût pour de telles pratiques, je n'hésiterais plus à leur appliquer la question. Ils voulaient une guerre, ils l'auraient. J'étais aussi capable qu'eux de créer l'enfer sur terre.
En traversant avec moi le couloir de la prison pour se rendre à la salle de la question, elle jeta un coup d'œil vers une fenêtre munie simplement de barreaux et derrière laquelle on voyait tomber quelques flocons de neige, et déclara :
- J'ai de la chance, aujourd'hui. Leur bûcher me réchauffera.
Je n'étais malheureusement pas toujours le maître des procédures que j'initiais, et j'avais parfois la faiblesse de préférer continuer de vivre plutôt que dire le fond de ma pensée et finir sur la roue comme hérétique. Aussi préférai-je rester prudent sur le chapitre religieux et n'agir qu'en secret pour mes convictions, affectant devant les autorités ecclésiastiques un respect pour les choses sacrées et une pratique religieuse à peu près régulière. Ce n'était pas très glorieux, je l'avoue, mais il me fallait admettre que je n'étais pas de la race des héros ni des désespérés.
[Nicolas de la Reynie rapportant les propos tenus par La Voisin, au sujet de ses clientes féminines :]
- Vous ne les laissez exercer aucune profession, sauf les plus serviles. Vous les acculez à des maternités qu'elles ne souhaitent souvent pas. Vous forcez impunément celles qui vous plaisent. Vous contrôlez leurs faits et leurs pensées. Vous les enfermez à double tour, comme des esclaves domestiques, quand elles deviennent vos femmes. Vous vous accordez sur elles un droit tacite de vie ou de mort, en les frappant à votre aise si vous en êtes jaloux ou pour des raisons futiles. Et je pourrais continuer cette énumération...
Je restai coi, un peu effrayé de constater que je partageais les idées d'un tel monstre, même si nous n'étions pas du même avis quant aux moyens d'y remédier.
(...) il est des femmes qui subissent un tel calvaire avec leurs pères, leurs frères ou leurs époux, qu’on ne peut guère s’étonner qu’elles essaient de s’en défendre par le moyen du crime, puisqu’elles n’en ont pas d’autre pour rompre leurs liens familiaux ou matrimoniaux.
Chapitre 21
Si l'enfer existait, pensais-je, il était dans les hommes, et seulement en eux.

Ajoutons à ces désastres extérieurs un autre, plus intérieur : la destruction de la paix religieuse avec la révocation de l’édit de Nantes qu’avait pourtant si sagement promulgué Henri IV, les monstrueuses dragonnades exercées à l’encontre des protestants, et l’affreuse bigoterie que la dernière femme du roi, Mme de Maintenon, fait à présent peser sur la cour de Versailles et sur tout le pays. Pour n’évoquer que ces dragonnades qu’elle aura contribué à provoquer, mon opinion est que notre roi eût pu les empêcher, s’il n’avait été sous la férule de cette femme. Je la considère comme une fanatique catholique sous ses dehors de sainteté, prétendant toujours qu’une conversion n’était bonne que si elle n’était pas faite sous la contrainte, mais ne faisant rien pour empêcher cette contrainte et les horreurs qui en résultaient. Quel dommage que notre grand Molière n’ait pas vécu plus longtemps ! Il aurait sans doute pu la prendre pour modèle et écrire un nouveau Tartuffe, féminin celui-là ! Car le silence de la prière n’est-il pas parfois bien pire que le bruit des bottes des soldats ?
Chapitre 39
En voilà une bien curieuse justice, qui brisait les os des gens pour leur faire dire des choses qu'elle cachait ensuite, et laissait libres les gens de qualité responsables de leurs crimes ! Je n'étais pas loin d'éprouver le même sentiment qu'elle. Ces sorcières avaient décidément plus de courage que les criminels qui venaient leur commanditer de quoi satisfaire leurs méfaits.