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Citations de Philippe Muray (522)


1° décembre 1989, brouillons de l'essai "Book émissaire". Littérature.
La haine de ce siècle envers la littérature a atteint un degré inconnu jusqu'alors, puisque c'est à notre époque que /tout le monde s'est mis à écrire./
Ce phénomène a des conséquences.
L'une d'entre elles est que tout livre qui dépassera la moyenne des possibilités cérébrales des individus actuellement vivants sera considéré comme intolérable, illisible, élitiste dans sa forme autant que révoltant dans son fond.
La littérature devra donc être, à tous égards, consensuelle.
Si par malheur un livre exprime des sentiments ou des opinions qui ne sont pas partagés par le plus grand nombre, ce livre sera rejeté.
Il pourra même être considéré comme immoral, dans la mesure où la masse humaine EST le spectacle, qui lui-même EST la morale.
Si par malheur tel livre est composé dans une forme trop savante ou trop complexe pour interdire à ceux qui le lisent de se dire qu'à la rigueur ils auraient pu l'écrire, il sera rejeté.
Imaginez des amateurs de chorégraphie repoussant impitoyablement toute danseuse qui manifesterait un peu trop de virtuosité technique.
Imaginez ...

p. 257
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Le festivisme m’apparaît comme la nouvelle névrose collective qui dispense chacun […] de se faire une névrose personnelle.
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« Quand on peut entendre la déplaisante romancière Darrieussecq, sur un plateau de télévision, affirmer qu'elle vote "naturellement" à gauche, il est évident que tout s'est renversé, que la désagrégation de toute pensée est arrivée à son terme, et que ce vocable, "gauche", ne désigne plus un ensemble d'idées politiques, ou une fraction de l'opinion, comme naguère, comme du temps de Marx, de Jaurès et de bien d'autres (où être de gauche représentait un véritable travail et un combat de la pensée, non un prétendu fait de nature et en réalité une paresse crasse de l'esprit, mais un effort constant du négatif, et un assaut contre les évidences, précisément, et contre le "naturel"), mais qu'il s'agit désormais du plus vautré des conforts intellectuels, et du plus poisseux des "être-ensemble" qui aient jamais été, transfigurés en position divine et sublime, ou encore d'un de ces termes non marqués d'où le conflit (l'Histoire) s'est évaporé miraculeusement, et dont le contenu n'a même plus besoin d'être argumenté puisqu'il relève du naturel et de l'universel : en ce sens, il correspond parfaitement à un monde qui se passe de réel et qui ne s'en porte que mieux, s'épanouissant dans les délices de Capoue d'une prétendue position politique qui n'est plus qu'une mystique de confort, et un naturisme routinier, présentés comme une exaltante conquête de l'esprit. » (p. 600)
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Un engagé, c'est-à-dire un être de ressentiment, se sentirait coupable, ou du moins responsable, des malheurs qu'il côtoie... Il faudrait qu'il se mobilise et qu'il mobilise... Et tant qu'il resterait des individus capables de se regarder comme innocents du réel, comme non solidaires de la catastrophe, ceux-ci lui apparaîtraient comme des ennemis du peuple. Et tant qu'il n'aurait pas réussi à leur graver dans la conscience le sentiment de la honte vis-à-vis de leur propre bonheur, il ne trouverait aucune paix.

Sur "Le hussard sur le toit" de Jean Giono, p. 162.
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1. À quelque mois de là, paraissaient plusieurs livres sur Guy Debord, ainsi que le premier volume de sa correspondance. L'enthousiasme des plus grasses canailles de notre époque en faveur de Debord devrait être raisonnablement le début de la démolition de celui-ci. Il est temps d'entamer la critique méthodique de ce penseur ; et de dire pour commencer que, contrairement à ce qui se radote depuis si longtemps, l'époque n'a pas connu d'ami plus fidèle que le théoricien du spectaculaire intégré. On peut même avancer que l'ère hyperfestive, laquelle n'a plus rien à voir avec la société du spectacle, avait besoin de cet idéologue pour avancer masquée. Que des citoyens de la post-histoire aient commencé à canoniser l'ancien situationniste n' a rien de surprenant. Dans le premier volume de sa Correspondance, on voit justement Debord, en 1960, affairé à la réalisation d'un projet de manifestation artistique qui devait se tenir dans le Stedelijk Museum d'Amsterdam. Il s'agissait d'organiser l'espace du musée comme un labyrinthe ; et, surtout, d'y installer des portes. La nécessité de ces portes ne sautant pas aux yeux de certains autres situationnistes, Debord le leur explique inlassablement : "Les portes, telles que nous les avons fixées à Bruxelles, sont totalement nécessaires pour créer la possibilité de s'égarer, de revenir sur ses pas, de choisir des chemins différents", écrit-il à l'un. Il faut que "soient gardées toutes les portes telles que nous les avons fixées ensemble à Bruxelles", répète-t-il à l'autre. Ces précieuses portes initiatiques, qui finalement ne seront pas réalisées à Amsterdam en 1960, deviennent donc en 1999 la trouvaille essentielle du ministre de la Culture pour les festivités de l'an 2000 ; et aussi un indice parmi d'autres que, si les années soixante ou soixante-dix ont pu être rebelles à Debord, la nouvelle période ne l'est plus du tout. Contrairement à ce qui se raconte pour préserver l'abusive légende d'un penseur dangereux, l'âge posthistorique et hyperfestif lit Debord ; et il le lit très bien ; et, surtout, il l'accomplit. On en voit le résultat chaque jour, à travers le désastre de la "communication totale", le cauchemar du "dialogue" enfin rétabli entre les individus, le culte de l'horrible "contact, les malfaisances en expansion de l' "interactivité", la dictature du proximisme, l'éloge des "tribus", la dissolution programmée de toutes les "frontières symboliques" et de toutes les différenciations" ; et, bien entendu, la généralisation du festif comme vie quotidienne enfin augmentée. Partout le debordisme triomphe, jusque dans le rêve, exprimé aussi en 1960 par Debord lui-même, de dépasser le théatre en "mettant des acteurs dans la rue" ; et partout la vie, de ce fait, est devenue impossible. Homo festivus est le fils naturel de Debord et du Web. Nous subissons ce que le futur auteur de La Société du spéctacle appelait également de ses voeux en 1960 : " La fin de la séparation spécialisée entre "producteur de la culture" et le reste des gens vivants (donc, aussi, entre un "domaine culturel" plus ou moins moderniste, et le reste de la vie)." Le debordisme est au pouvoir ; mais ceux qui en portent les couleurs doivent toujours feindre aussi que l'idole dont ils se réclament est encore dans l'opposition. Mais elle n'est que dans leur opposition ; qui est, comme tout ce qu'ils touchent, un autre nom pour servitude (octobre 1999)
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Quand je dis que Céline a dû surmonter cette hystérie de la meute enflée de sa grossesse de crimes pour en arriver au stade de la symbolisation qui lui a permis simplement de commencer à écrire, il ne s’agit bien sûr pas du symbolique qui assure le contrat social, celui-là est évidemment maîtrisé et contrôlé par la déesse nourricière ; il s’agit d’une langue d’au-delà des maladies collectives.
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[…] c’est tout de même dans un face-à-face avec la langue, et avec elle seule, qu’il termine son aventure. Il est tout étonné, tout désemparé et vidé, de n’avoir plus ses sens autour de lui, d’avoir subi une défaite sémantique radicale, d’avoir assisté à la déroute de sa combinatoire sémantique ; et pas seulement l’antisémitisme, sens super-positif à ses yeux, mais aussi bien d’autres positivités à l’intérieur de l’antisémitisme : l’urbanisme utopique, la femme comme avenir de l’homme, la danseuse comme avenir de la femme, les ballets et les légendes médiévales comme avenir de l’art, l’école rénovée, bref, tout son mauvais goût positiviste, gothique et poétique.
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Bernanos disait que la seule vue du papier lui harassait l’âme ; Balzac ne fit de la littérature que parce qu’il était trop nul en affaires ; Céline promettait, contre une rente à vie, de ne plus jamais écrire une ligne. Un grand écrivain est quelqu’un qui chaque jour envisage, assez gaiement et courtoisement, de ne plus être écrivain.
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[…] (celui qui relèverait toutes les occurrences du mot « dérangeant » dans les pages dites « livres » du Monde ne perdrait pas son temps) […].
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Même si elle ne sait manifestement pas lire, notre époque n’ignore pas que la littérature est son ennemie.
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Il n’y a qu’un seul idéal de pensée progressiste. Dont l’autre nom si difficile à faire admettre, le seul et unique autre nom, est l’occultisme.
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Il est intéressant aussi de se souvenir que c’est à la même époque qu’on se met en tête d’inventer le concept de musée. A l’occasion de la fête du 10 août 1793. Le Louvre, ancienne résidence des rois, devient cimetière à œuvres d’art. A cette occasion également, la Convention décrète l’ouverture du musée des Monuments français où va s’entasser ce qu’on a volé dans les églises.
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14 décembre 1993.
Etre de droite ne peut être que profondément, définitivement, irrémédiablement négatif. A la limite, toute positivité est de gauche. Etre de droite, c'est être structuré comme un rejet, comme une horreur du goudron pleurnichant de la gauche, donc de tout ce qui peut /positiver/. La haine des valeurs de gauche est déjà, en soi, une occupation à plein temps, un programme pour toute la vie. D'ailleurs, c'est quand les hommes de droite font des programmes qu'ils se mettent automatiquement à ressembler à des gens de gauche. On ne peut pas en sortir. Toutes les catégories par lesquelles ils se définissent appartiennent à la gauche. Accepter de se définir, sur ce plan-là, c'est déjà utiliser le vocabulaire de l'ennemi. La droite de pouvoir a toujours été bien trop chrétienne pour ne pas être solidariste, fraternitaire, philanthrope et sécurité sociale, donc de gauche. Aujourd'hui, où tous les gens de gauche sont devenus les marguilliers de la Paroisse médiatique et globale, la fusion est opérée entre la droite et la gauche. Le monde comme télé a connu son unification en tant que bureau de bienfaisance.
pp. 664-665
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« Entre la droite et la gauche, il y a la différence qu'il y a entre ce qu'on dit de moi et ce que je dis de moi. L'homme de droite, en général, est dit de droite. On le parle. On l'accuse. On le définit. Être de droite, c'est être dans une attitude passive, une situation de défini. Masochisme. L'homme de gauche, en revanche, se dit de gauche. C'est de lui-même que vient sa propre définition. Quand il le dit, il manifeste en même temps une immense satisfaction de son être. Il faut entendre ce qu'il dit de lui-même comme un soupir de satisfaction. »

Philippe Muray, Ultima necat II, Les Belles Lettres, p. 15.
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[…] on peut considérer Comte-Sponville, avec son Petit traité des grandes vertus, comme celui qui se charge de penser magistralement cette insurrection des bénitiers romanesques, ce triomphe de la bonne parole caoutchouteuse, cet impérialisme sucré de la vision « United colors », et qui lui bricole sa théorie faite de moralisme artisanal, de fondamentalisme doux, de fanatisme exquis de la Transparence. La bondieuserie manquait de bras, elle en a trouvé.
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Nous nous battrons. Nous nous battrons pour tout, pour les mots qui n'ont plus de sens et pour la vie qui va avec. Nous nous battrons pour l'ordre mondial caritatif et les endroits où ça bouge bien. Nous nous battrons pour la vie jeune et les arts alternatifs. Nous lutterons pour nos tour-opérateurs, pour nos compagnies aériennes, pour nos chaînes hôtelières, pour nos prestataires de service, pour nos pages Web et pour nos forfaits à prix coûtant.
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21 novembre 1981. Flaubert dans sa lettre au conseil municipal de Rouen :
"Conservateurs qui ne conservez rien, il serait temps de marcher dans une autre voie, et puisqu'on parle de régénération, de décentralisation, changez d'esprit ! ayez à la fin quelque initiative !
La noblesse française s'est perdue pour avoir eu, pendant deux siècles, les sentiments d'une valetaille. La fin de la bourgeoisie commence, parce qu'elle a ceux de la populace. Je ne vois pas qu'elle lise d'autres journaux, qu'elle se régale d'une musique différente, qu'elle ait des plaisirs plus relevés. Chez l'un comme chez l'autre, c'est le même amour de l'argent, le même respect du fait accompli, le même besoin d'idoles pour les détruire, la même haine de toute supériorité, le même esprit de dénigrement, la même crasse ignorance...
Vous, pratiques ? Allons donc ! Vous ne savez tenir ni une plume, ni un fusil ! Vous vous laissez dépouiller, emprisonner et égorger par des forçats. Vous n'avez même plus l'instinct de la brute, qui est de se défendre ; et, quand il s'agit non seulement de votre peau, mais de votre bourse, laquelle devrait vous être plus chère, l'énergie vous manque pour aller déposer un morceau de papier dans une boîte ! Avec tous vos capitaux et votre sagesse, vous ne pouvez faire une association équivalente à l'Internationale.
Tout votre effort intellectuel consiste à trembler devant l'avenir.
Imaginez autre chose ! Hâtez-vous ! ou bien la France s'abîmera de plus en plus entre une démagogie hideuse et une bourgeoisie stupide."
p. 154
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21 mars 1988.
Une des raisons de l'échec total de mon livre est probablement qu'un /point de vue d'homme/ sur les relations entre hommes et femmes n'est plus envisageable. Je ne veux même pas dire qu'il est antipathique ... : il n'est plus audible. C'est devenu une langue étrangère. Ou le point de vue de Sirius. Les hommes eux-mêmes parlent désormais la langue-femme, qui n'est rien d'autre que la langue-masse /justifiée, légitimée/ par le sens d'une Histoire dont l'avenir est les femmes. Tout le goût de l'époque, toute l'esthétique du temps vit sous la loi implacable de ce nouveau pompiérisme : sensiblerie, romances, bonnes intentions, photos de petits chats dans des paniers de calendriers. Tout le reste, malsain.
p. 392
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13 février 1991.
"Et s'il s'agit de taire ici certaines choses, je ne tairai pourtant pas ma propre morale, qui me dit : vis caché, afin que tu /puisses/ vivre pour toi ! Vis dans l'/ignorance/ de ce qui semble le plus important à ton siècle ! Mets entre aujourd'hui et toi-même au moins l'épaisseur de trois siècles !" Nietzsche.
Mets entre aujourd'hui et toi l'épaisseur de trois siècles ... Exactement ce que personne, dans le petit personnel intellectuel d'aujourd'hui, ne pourrait réaliser. Personne, dans le semi-prolétariat commentant et romançant de maintenant... Pourquoi ? Origines lumpen de la plupart, ancêtres anonymes, croyances mal liquidées aux ruptures, aux avant-gardes, au nettoyage par le vide des révolutions, à la justice sociale, etc.
Comment, dans ces conditions, intégrer les siècles ?..
Mets entre aujourd'hui et toi l'épaisseur d'au moins trois siècles...
Et plus encore : /deviens les siècles pour parler de ce qui semble le plus important à ton siècle .../
p. 427
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1° décembre 1989, brouillons de l'essai "Book émissaire" : le "lectorat".
Il arrive que des polémistes locaux, exaspérés de constater leur peu d'influence, se plaignent de l'inculture crasse du public. Pauvre public étouffé par son nombre même ! Comment identifierait-il, dans les produits de synthèse qu'on propose à son admiration sous le nom "d'auteurs", les robots adaptés qu'ils sont, alors que lui-même vient tout juste d'accéder à la dignité enviée de "lectorat", concept également inconnu jusqu'ici en littérature, et qu'il n'est donc pas davantage à même de distinguer entre un écrivain d'autrefois et un auteur de maintenant ...
Comment de faux lecteurs sauraient-ils identifier les faux livres et les faux écrivains qu'ils consomment ?
Comment ces malheureux qui s'équivalent pourraient-ils, à propos d'autres malheureux qui s'équivalent tout autant qu'eux, se livrer à cette opération primordiale, condition de possibilité de toute amorce de pensée, qui consiste à /faire des différences/ ?

p. 244
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