"Extramuros" le nouveau thriller de Philippe NicholsonPhilippe Nicholson nous parle de son dernier livre « Extramuros », publié aux éditions Kero (parution le 9 février 2015). Quand les entreprises auront pris le pouvoir, de quel côté...
Gamin, j'ai souvent pensé que çà se terminerait avec une bombe ou un truc comme çà. Un genre d'holocauste. Avec des cendres. des immeubles effondrés. Des villes rayées de la carte. Des rescapés errant dans les ruines, obligés de se regrouper pour survivre ; des types en proie aux maladies, aux fièvres, à la peur. Cela dépendait de mes rêves, ou plutôt de mes cauchemars.
J'avais cette intuition que ce n'était tout simplement pas possible. Le monde ne pouvait pas continuer à tenir. Pas comme çà, à cette vitesse, avec cette frénésie, ce sentiment de toujours en vouloir plus, toute cette goinfrerie. A force, il allait s'écrouler.
Ce que je n'avais pas prévu, c'était çà , cette pourriture lente, cette gangrène. Il n'y a pas eu de bombe, de clash, de grand éclair. Il y a juste eu cette dégradation insidieuse, contre laquelle on ne peut rien. Le monde engraisse et maigrit en même temps ; il n'y a plus d'électricité, il en a trop ; on y meurt à vingt ans quand, à quelques kilomètres de là, en zones d'affaires, on vit jusqu'à cent vingt.
La boulimie s’accompagne de l’oubli. C’est comme si le cœur et l’esprit des habitants de zones d’affaires oubliaient au fur et à mesure le présent pour ménager de la place aux nouvelles informations, expériences et plaisirs. L’avidité est incompatible avec la mémoire.
Bientôt le monde pourrait n’être plus qu’un désert de métal au milieu duquel surnageront les lacs artificiels des zones d’affaires, un monde sans âme, sans réalité, un par d’attractions cauchemardesques. Les zones sont d’avantage que de simples regroupements disposant de médecins, de flics, d’électricité et d confort à volonté; ce sont des villes vampires; elles sucent le sang de la Terre pour irriguer leurs besoins frénétiques. L’assèchement de la planète a commencé.
Ce sont des villes vampires; elles sucent le sang de la terre pour irriguer leurs besoins frénétiques. L’assachement de la planète a commencé.
Pendant des années, tout le monde à cru impossible le « grand retour en arrière ». Ça ne pourrait pas arriver, il y avait trop d’argent, trop d’enjeu. Pourtant, c’est arrivé. Aujourd’hui il y a deux mondes. Celui des zones et l’autre. Celui de l’électricité, d’Internet, de l’accès à la connaissance et aux soins ; et celui de la misère. L’un se nourrit de l’autre.
Il n’y a plus de héros. Il n’y a plus que des gens qui essayent de s’en sortir (..), des gens qui crèvent de trouille, parce qu’on ne sait jamais ça pourrait etre pire. Des gens qui ne bougent pas; ils attendent que ça passe.
Au-dessus d’elle, les étoiles brillent sans doute, mais elle n’en voit aucune. Elle a une moue désabusée. Elle se souvient que petite elle n’aimait pas s’endormir dans le noir. Son père lui avait installé une veilleuse dans un coin de sa chambre, mais elle n’était jamais tout à fait rassurée. La nuit, elle se relevait pour allumer le couloir de l’appartement. Pourtant, maintenant, elle voudrait parfois que toutes ces lumières s’éteignent. Histoire de pouvoir se reposer ne serait-ce qu’une nuit.
Dalbert sourit.
– Je sais. Mais, c’était plus fort que moi. Je lui en piquais autant que je pouvais. Ça me tuait de voir tous ces livres étalés partou dans votre baraque. Ta mère aussi, d’ailleurs !
Fjord se souvient des engueulades quotidiennes à ce sujet quand il était enfant. Sa mère sortant son père de son bureau et lui montrant les nouveaux tas qui s’amoncelaient un peu partout.
– C’est quoi ça ? lui demandait-elle.
Voulant faire bonne figure, il en prenait un ou deux sous le bras pour les rapporter dans sa pièce. Le reste, il le laissait. Et sa mère oubliait.
Les systèmes politiques actuels ont montré leurs limites. C’est au tour des pays administrés par des clients-actionnaires de voir le jour. La nationalité va devenir un produit comme un autre. On peut choisir l’entreprise dans laquelle on travaille. On peut la choisir en fonction de ses valeurs, des avantages qu’elle propose à ses salariés, de sa stratégie de développement, de son risque de faillite, de la personnalité de son patron. De la même manière, on pourra bientôt choisir le pays dans lequel on veut vivre et la nationalité qui va avec.
... seule la foule est puissante. Seulement, elle est tellement molle, tellement indigente; vous qui êtes dans votre lit, à attendre que l'électricité revienne pour allumer la télé, ou qui regardez les étoiles en rêvant, vous savez de quoi je parle. Si l'on ne vous mettait pas un coup de pied au cul de temps à autre, vous seriez capable de passer votre vie à attendre juste que ça passe.