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Critiques de Philippe Sands (113)
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Retour à Lemberg

Ce qui m'a le plus surpris en lisant "Retour à Lemberg" c'est qu'un juriste international avec la stature d'un Philippe Sands puisse être en même temps un aussi excellent narrateur. En effet, le premier chapitre, où il raconte la recherche de son grand-père, se lit comme un suspense. Pourtant ce grand-père, Leon Buchholz (1904-1997), n'est pas James Bond et Lemberg-Lviv-Lwów, a beau être la plus grande ville d'Ukraine occidentale, n'est pas non plus une île de rêves dans les Caraïbes par exemple. Toujours est-il qu'au cours des premières 100 pages, j'ai été cloué à mon fauteuil, n'entendant même pas le concert de miaulements de mes félins qui avaient faim.



En plus, Philippe Sands, né en 1960, a l'art de restituer une réalité et un passé, comme s'il avait été un témoin oculaire. Même s'il appelle parfois un Stefan Zweig et surtout un Joseph Roth à la rescousse.



Pour éviter tout malentendu, il convient de signaler, qu'outre un récit captivant, cet ouvrage est important dans la mesure où l'auteur nous présente 2 juristes exceptionnels, hélas, peu connu du grand public, qui ont pourtant joué un rôle déterminant pour rendre notre monde un peu plus vivable. Raphael Lemkin (1900-1959) a forgé le terme "génocide", tandis que Hersch Lauterpacht a introduit la notion juridique de "crime contre l'humanité".

Deux concepts absolument révolutionnaires. On a beau être sceptique et dire oui mais...regardez tous ces abus des droits de l'homme, ces despotes à la Erdogan, ces fouteurs de guerre comme fiston Bush, ces maîtres de l'arbitraire comme tsar Poutine etc. Cela est bien vrai, mais pour reprendre une belle formule de Philippe Sands lui-même "Doing nothing is not an option", les contributions de Lemkin et Lauterpacht constituent, à mes yeux, des pas de géants.



Ce sont effectivement ces termes juridiques qui ont permis, en 1946, de condamner à Nuremberg une fine équipe de hauts dignitaires nazis et des années plus tard, la création de la cour pénale de La Haye pour crimes de guerre, comme en ex-Yougoslavie. Je me permets, à ce propos, de vous renvoyer à ma critique récente de l'ouvrage de Carla del Ponte "La Traque, les criminels de guerre et moi" Cette Suissesse a été procureur général de ce tribunal de 1999 à 2007. Que les États-Unis n'en font partie est regrettable, mais se comprend aisément, ils ont trop de candidats pour être jugés, tels Henry Kissinger et le bombardement du Cambodge, fiston Bush et l'invasion de l'Irak, son vice-président et businessman Dick Cheney - ex-PDG du Groupe Halliburton qui a rafflé un contrat de 7 milliards de $ en Irak, sans appel d'offre - et son valeureux ministre de la défense Donald Rumsfeld etc. Et ce n'est sûrement pas sous l'intelligente gestion de Trump que cela risque de changer.



Justement à propos de ce trio Bush, Cheney et Rumsfeld, les héros de la "War on Terror" avec tous ses excès, Philippe Sands a publié un autre ouvrage remarquable : "Torture Team: Rumsfeld's Memo and the Betrayel of American Values", que l'on pourrait traduire par : L'Équipe de torture : le mémo de Rumsfeld et la trahison des valeurs américaines. Dans ce livre, l'auteur offre les resultats de sa sérieuse enquête sur les tenants et aboutissants du mémo criminel, signé Rumsfeld du 2-12-2002, qui permettait 18 techniques de tortures sur des prisonniers, interdites par les droits de l'homme, mais appliquées scandaleusement à Guantanamo et Abou Ghraib entre autres.



Ce qui est absolument incroyable c'est qu'aussi bien Lemkin que Lauterpacht soit originaire de la capitale de l'ancienne province orientale de l'Empire austro-hongrois, appelée la Galicie. Endroit où est né son propre grand-père. Ce qui a permis à l'auteur de mener des investigations, de visiter les lieux et de rencontrer bon nombre de témoins intéressants. Je ne vais pas résumer ces épisodes multiples, mais m'arrêter un bref instant à sa rencontre avec Niklas Frank, le fils de l'ami, l'avocat d'Hitler et plus tard son gouverneur-général de la Pologne occupée. Niklas avait 7 ans lorsque son abominable père fut jugé et pendu à Nuremberg en octobre 1946. Il y a 5 ans, j'ai lu l'ouvrage qu'il a publié sur ce père, qui m'a énormément impressionné, car c'est exactement ce que le titre en allemand "Der Vater : Eine Abrechnung" , Mon père : un règlement de comptes, indique, un jugement lucide, sans la moindre concession. À Sands, d'ailleurs, il a déclaré : "Mon père était juriste ; il savait ce qu'il faisait." (p. 25).



Je ne peux que vivement recommander cet ouvrage qui est instructif, captivant, agréablement écrit et richement illustré. Avec un grand bravo pour Philippe Sands, la traductrice Astrid von Busekist et l'éditeur Albin Michel.



Lorsqu'on est un peu découragé par tout ce qui se passe de sinistre et malsain sur notre planète, il peut être réconfortant de penser à des vrais héros comme Lemkin et Lauterpacht, à une Carla del Ponte qui s'est courageusement engagée et aux hommes de grande valeur, tel Philippe Sands, qui continuent imperturbablement leur lutte pour un monde meilleur.
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Retour à Lemberg

Brillant, d’après moi, c’est l’adjectif qui convient à cet ouvrage qui n’est ni un roman ni un essai. Brillant parce qu’il parvient à fixer l’attention d’un large public sur deux concepts de droit qui, pour les non initiés, représente une performance d’auteur, brillant l’idée de mêler son histoire personnelle à l’histoire collective de la Shoah et à l’évolution du droit et d’une grande consistance intellectuelle de par son contenu.



Je connaissais, comme la plupart d’entre nous, les termes « génocide » et « crime contre l’humanité » mais j’ignorais totalement la genèse de ces deux expressions et de leurs auteurs, Raphaël Lemkin et Hersch Lauterpacht.

Tout dans ce livre interpelle : notamment les circonstances qui ont amené Philippe Sands, avocat franco britannique de renommée internationale, professeur d’Université, à enquêter sur le procès de Nuremberg et sur l’origine de notre système de droit international.



L’observation que j’ai du monde qui m’entoure m’a amenée à penser que le hasard n’existe pas et j’aime cette phrase « Lorsque l’élève est prêt le maître se lève ». Je m’explique :



Philippe Sands reçoit une invitation de l’Université de droit de la ville de Lviv en Ukraine. Cette ville portait le nom de Lemberg sous l’empire austro-hongrois, Lwow lorsqu’elle fut incorporée à la Pologne après la première guerre mondiale, sous les soviétiques au début de la seconde guerre mondiale, elle devint Lvov, puis redevint Lemberg sous l’occupation allemande pour devenir une ville ukrainienne Lviv - (j'ai d'ailleurs mis en ligne une citation sur l'histoire d'un banc qui n'a jamais changé de place mais plusieurs fois de nationalités)!



Curieusement, Philippe Sands découvre que cette ville de Lviv n’est autre que Lemberg d’où est originaire son grand père maternel, Léon Buchholz. Pour échapper aux nazis. Léon s’est enfui et comme tous les rescapés de la Shoah, il n’a jamais fait le récit de son histoire d’avant son arrivée en France. Quoi de plus naturel pour Philippe Sands que de vouloir profiter de ce voyage pour en savoir plus sur ses origines. Et fait tout aussi extraordinaire, lui, avocat très investi dans le droit international, il découvre que l’université de droit de Lviv à donner naissance à deux grands juristes qui ont marqué à jamais le droit international : Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin. Comment résister à un tel clin d’œil du destin. Delà s’ensuit une enquête sur le passé de cette ville, déchirée, malmenée, par les guerres, la découverte d’une communauté de vie entre les familles Buchholz, Lemkin et Lauterpacht jusqu’au procès de Nuremberg et aux débats d’idées qu’ont suscité la naissance des concepts « Génocide » et « Crime contre l’humanité » : débats qui sont toujours d’actualité.



C’est passionnant. Je connais bien l’excitation qui peut saisir une personne en quête de ses racines. La généalogie est palpitante, quand on y met le doigt, on y laisse la main puis le bras. J’avoue avoir envié Philippe Sands d’avoir pu se rendre sur place. Voir les lieux, les sentir, les ressentir, imaginer ses aïeux s’animer sous ses yeux, c’est une part de soi-même qui prend vie, c’est enfin sortir de l’abstrait, du flou, du lointain.



A la communauté de destin des familles Buchholz, Lemkin, Lauterpacht, vient s’ajouter le portrait du « Boucher de Pologne » Hans Frank, gouverneur de Pologne, dont le fils, Nicklas Frank est devenu l’ami de Philippe Sands, et qui a écrit un best-seller très controversé sur son père dans lequel, il règle ses comptes et que je comprends (c’est le même sang qui coule dans ses veines) ! A cet effet, j’ai trouvé un reportage sur « The Times of Israël » intitulé « Quand un fils ne peut admettre les crimes de son père ». En revanche, Horst von Wachter, fils d’Otto Von Wachter, gouverneur nazi de Galice, cherche par tous les moyens à réhabiliter son père malgré les preuves irréfutables.



La partie du livre consacrée au procès de Nuremberg m’a particulièrement captivée même si certains passages, notamment le témoignage de Samuel Rajzman, sont difficiles. Je me suis trouvée à applaudir mentalement le procureur en chef américain Robert Jackson, ou le procureur britannique Shawcross ou Maxwell Fyfe.



J’ai une affection pour Raphaël Lemkin qui s’est tellement démené, au détriment de sa santé, pour faire reconnaitre son concept. Il se promenait avec une valise contenant tous les décrets nazis afin d’apporter la preuve du « génocide ». Il a fait un travail titanesque et page 233 du livre, Sands relate toutes les mesures relevées par Lemkin dans dix sept pays occupés afin d’éliminer les juifs, les tsiganes, les handicapés (les homosexuels hélas étaient passés sous silence !).



Toute la lecture de cet ouvrage reste dans un style fluide, vivant, passionnant. Ce livre a été désigné « meilleur livre de l’année 2017 » dans la catégorie « non fiction – livre narratif de l’année » lors des British Book Awards.

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La filière



« Une histoire d’amour et de nazi »



Dès les premières pages, j’ai ressenti comme un trouble profond, personnel voire un malaise diffus. Pénétrer l’intimité d’un haut dignitaire nazi, responsable de meurtres de masse et de déportations était, pour moi, une première. Je découvrais un Otto amoureux, non dénué de sentiments : curieuse sensation. Que de contrastes chez ce père de famille, qui pouvait parfaitement, sans état d’âme, conduire le massacre de Bochnia en Pologne tout en conservant une attitude nonchalante au milieu de ses officiers.



Je regarde la photographie de la couverture du livre, Otto et Charlotte avec les enfants, Horst et Liselotte. Comment deviner que cet homme fut un soutien précoce d’Hitler, qu’il participa au coup d’état où fut assassiné le chancelier Dollfuss. Rien ne peut le distinguer de vous et moi si ce n’est l’uniforme. Otto est le portrait parfait du bel aryen. Il aime les femmes qui le lui rendent bien. La rencontre avec Charlotte est décisive. Elle lui offre « Mein Kampf » en mars 1931 où elle écrit sur la page de garde « Dans le combat et l’amour jusqu’à la fin ». Elle rejoint le parti nazi en mai 1931. Ce livre est incroyablement surprenant, on découvre en même temps une passion amoureuse entre deux êtres qui adhèrent aux lois de Nuremberg et aux théories « bidon » de la race aryenne.



Constat déstabilisant : les nazis sont donc à notre image, ils peuvent partager des émotions aux nôtres pareilles. Parce qu’elle aura aimé son Otto, Charlotte, elle aura tout accepté pour lui, tout enduré mais sans jamais renoncer à leur engagement. Femme nazie convaincue, elle est prête à tout pour lui. Elle aura les mêmes problèmes que n’importe quelle femme ou amante : les maternités, l’éducation des enfants, un mari volage, la jalousie et la peur de le perdre. Et quel engagement ! Pas un seul instant, ce couple ne remet en question les décisions du Führer. L’un comme l’autre acceptent aveuglément la méthode Himmler. Lui participe sans état d'âme à la « Judenaktion » qu'elle approuve, ce qui veut dire l’assassinat de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes tout en continuant de s’écrire des poèmes, des lettres d’amour. C’est ce qui m’aura le plus troublée dans cette lecture captivante. Comment une mère qui aime et protège ses enfants, une femme amoureuse qui connait donc ce sentiment vif qui incline à vouloir du bien, peut-elle adhérer au nazisme !



Philippe Sands soulève, également, le problème du poids de cet héritage pour les enfants et les petits enfants. Il met en évidence soit le déni, soit la douleur, soit un antisémitisme virulent de toute une famille jusqu’à aujourd’hui mais c’est toujours avec intelligence et subtilité.



J’ai découvert Philippe Sands avec « Retour à Lemberg » où dans un fascinant récit, il relate les circonstances par lesquelles, il a pu lever le voile sur l’histoire ignorée de son grand-père, Léon Buchholz, assassiné à Lemberg avec toute sa famille.



Commence pour lui une quête incessante qui le mène sur la terre de ses origines d’où émergent deux dignitaires nazis Hans Frank, gouverneur de Pologne et Otto Von Wächter, Gouverneur de Cracovie pour devenir ensuite gouverneur du district de Galicie, territoire dont Lemberg faisait partie. A partir de cet instant, Philippe Sands a rendez-vous avec son histoire et l’Histoire. Il contacte Niklas Frank, le fils de Hans Frank, qui lui présente Horst Von Wächter, le fils d’Otto.



La question des origines est une quête qui ne vous laisse pas beaucoup de répit. Plus tu avances, plus tu veux savoir. C’est une quête qui vous absorbe corps et âme d’autant plus quand elle est sur fond de Shoah. Philippe Sands est, à ce titre, impressionnant de ténacité. Il faut reconnaitre qu’en sa qualité d’avocat franco-britannique de grande renommée, il a pu aussi s’appuyer sur une équipe de chercheurs. Il a le sens du détail, il analyse les preuves, il cherche à étayer les faits, rien ne lui échappe dans cette avalanche de faits historiques.



Dans « La Filière », le projecteur est braqué sur Otto Von Watcher. Après avoir relaté les débuts d’Otto Von Wätcher et de son épouse, leur environnement familial, leur engagement politique, Philippe Sands nous apprend que ce nazi, recherché pour « meurtres de masse » disparait le 8 mai 1945 pour réapparaître quatre ans et demi plus tard dans un hôpital de Rome, « Le Santo Spirito », gravement malade, à l’article de la mort.



Et c’est là que le récit devient addictif, un véritable thriller. Que s’est-il passé entre 1945 et 1949 ? Otto est-il bien décédé à l’hôpital ? Qui est cette femme prussienne qui venait lui rendre visite ? Comment est-il mort, de maladie, suicidé ou assassiné ?



Horst, le fils d’Otto, soutien Philippe Sands dans ses recherches. L’ambition de Horst diffère de celle de Philippe. L’un cherche à innocenter ses parents et les laver de l’opprobre, alors que Philippe cherche à reconstituer le parcours de l’assassin de sa famille. Horst perçoit son père différemment. Il garde le souvenir des propos de sa mère qui n’a eu de cesse de clamer que son père était un homme bien, humain. C’est dans cet objectif qu’Horst demande à Philippe que ce dernier le tienne au courant de ses investigations.



La famille Von Wätcher est passée au crible grâce aux archives de Charlotte. Elle a conservé méticuleusement tous les agendas, les courriers, ses cahiers intimes, les photographies qu’elle a légué à Horst. Tous ces documents vont être scannés et transférés à l’équipe de Philippe aux fins d’un documentaire en 2015 « What Our Fathers Did. A Nazi Legacy » sur lequel, la troupe travaillera cinq ans. Ces archives sont conservées au « United States Holocaust Memorial Museum ».



Dans son parcours, l’auteur rencontrera Gérald Steinacher, auteur de « nazis en fuite » (merci Pecosa) ainsi que David Cornwell plus connu sous le nom de John Le Carré, jeune second lieutenant, faisant partie d’une équipe de sécurité de terrain dans la zone russe qui débriefait les personnes déplacées. Il sera aussi en contact avec le Centre Simon Wiesenthal. Rien ne sera laissé au hasard jusqu’à la fin de cette quête surprenante, passionnante, émouvante, riche en rebondissements mais qui permettra à Philippe, enfin, de connaître son histoire. Les sources et les documents sont énoncés en fin de livre et c’est impressionnant.



« Les enfants ne sont pas épargnés ; le passé fait son œuvre. De retour chez elle à Vienne, Magdalena, qui venait de parcourir les lieux de mémoire des Wächter en Autriche avait choisi d’affronter ce passé. Contre la volonté de son père (Horst), elle publia un bref message sur les réseaux sociaux :

Mon grand-père était un meurtrier de masse ».



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La filière

Un des livres les plus impressionnants que j'aurais lus en 2017 est incontestablement "Retour à Lemberg" par le même juriste franco-britannique mondialement apprécié Philippe Sands. Dans cet ouvrage, où il était parti à Lemberg, l'actuelle ville de Lviv en Ukraine, à la recherche de son grand-père Leon Buccholz et sa famille juive disparue lors de la dernière guerre mondiale, il a eu le grand mérite de nous présenter 2 bienfaiteurs : les juristes Raphael Lemkin (1900-1959) et Hersch Lauterpacht (1897-1960), qui ont forgé respectivement les termes "génocide" et "crimes contre l'humanité".



Pour "La filière" Philippe Sands est reparti à l'Est et à Lemberg-Lwów-Lviv à la recherche de la réalité concernant un personnage qui se trouve à l'opposé de Lauterpacht et Lemkin : le gouverneur SS de Cracovie en Pologne, puis de la Galicie, dont Lemberg était la capitale, le Standartenführer (général) et baron Otto (von) Wächter, né à Vienne en 1901 et mort à Rome en 1949.



Ce fils de général de l'armée des Habsbourg de la double monarchie austro-hongroise a rejoint très jeune les nazis et la gestapo. L'auteur a épluché consciencieusement toutes sortes d'archives (publiques et privées) pour retracer l'acheminement de ce petit ambitieux.



Philippe Sands nous raconte également la vie de son épouse Charlotte ("Lotte") Bleckmann (1908-1985) et leurs 6 enfants Otto junior, Liselotte, Traute, Horst, Heidegrund et Sieglinde, nés entre 1933 et 1944. Charlotte a toujours aimé son Otto, bien qu'il était volage et qu'elle ait traversé maints épisodes de jalousie plus ou moins intenses.



Sur la photo de couverture on voit le couple, lui en grand uniforme Feldgrau, elle avec un sourire timide et leurs gosses Traute et Horst. La photo a été prise peu avant la défaite allemande en 1944 près du lac de Zell-am-See en Autriche.



Otto Wächter a donc connu une carrière nazie fulgurante et a pu bénéficier de l'appui des hauts gradés nazis, tels Heinrich Himmler, Odilo Globočnik (gouverneur de Vienne), Ernst Kaltenbrunner (successeur de Reinhard Heydrich à la sécurité du Reich) etc. Il était, par ailleurs, lié d'amitié avec Baldur von Schirach, chef des jeunesses hitlériennes, et Arthur Seyss-Inquart, chancelier d'Autriche et pendant la guerre gouverneur des Pays-Bas. Petite anecdote : ce dernier énergumène était le parrain de baptême du petit Horst Wächter en 1939.



Le chef immédiat de Wächter était Hans Frank, gouverneur général de la Pologne, qui a été pendu à l'issue du fameux procès des criminels de guerre à Nuremberg en 1946.



Otto Wächter lui, formellement condamné comme criminel de guerre pour les ordres qu'il a signés relatif à la persécution et déportation des Juifs vers les camps de la mort, a réussi à échapper à la justice en prenant la fuite, d'où le titre original "The Ratline" (ou la ligne des rats).



Pour ne pas gêner lectrices et lecteurs, je préfère m'abstenir de commentaires sur la fuite et la mort d'Otto, ainsi que l'existence pénible de Charlottte avec tout son ménage après la fin de la guerre.



Comme j'ai eu l'occasion de le remarquer dans mon billet du 3 octobre 2017, Philippe Sands a beau être un éminent juriste, il est aussi un raconteur-né. Ce talent étonnant d'exposer des faits historiques comme des événements d'un thriller, se voit amplement confirmé dans ce récit.



Écrire un ouvrage de 493 pages à propos d'un héros abject sans que cela ennuie même une seconde, cela relève de l'art !

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Retour à Lemberg

L’auteur, avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme, a mis six ans à écrire ce livre et cela se sent.

Il a fait un travail de recherche très poussé, exploitant tour à tour toutes les pistes qui s ouvraient à lui.



Tout est parti d’une conférence qu’il devait donner à Lviv (actuellement en Ukraine, connue tour à tour sous les noms de Lemberg, Lwòw, Lvov, Lemberg à nouveau, puis Lviv) en 2010 sur les notions de génocide et de crimes contre l’humanité.

La préparant, il découvre que Raphaël Lemkin et Hersch Lauterpacht, les deux premiers à utiliser ces termes ont étudié dans cette ville, dont était originaire son grand-père, Léon Buchholz.

A Lviv, personne ne semble connaître ce fait. Une étudiante lui fait remarquer que ce serait dû à ce qu’ils étaient juifs et elle lui suggère de s’intéresser à son grand-père.

Il ne savait rien de l’histoire de celui-ci, Il l’a connu alors qu’il était établi à Paris, savait qu’il était né à Lemberg et avait étudié à Vienne mais rien d’autre : celui-ci ne racontait rien de sa jeunesse, rien de sa famille, rien de la ville où il avait vécu. « C’est compliqué, ce n’est pas important » disait-il en réponse aux questions.



Le livre retrace d’abord l’histoire de la ville de Lviv.



Le livre s’attache ensuite aux découvertes que fait Philippe Sands sur la vie de son grand-père, sur son séjour à Lemberg. Les premiers éléments proviennent de vieilles mallettes bourrées de papiers et de photos de Léon que détenait la mère de l’auteur. Au départ de ces quelques bribes du passé, Philippe Sands va s’efforcer de reconstituer l’histoire de Leon Buchhholz par des visites aux archives de Lviv, par des visites des lieux où il avait habité, ainsi que des visites à Zólkiew d’où était originaire la mère de Léon. Il reconstitue ainsi toute la famille de son grand-père. Celui-ci part à Vienne au début de la première guerre, il y exploite un commerce de liqueurs, il fera encore un dernier séjour à Lemberg en 1923.

Hitler prend le pouvoir en Allemagne, et en 1938 envahit l’Autriche. Léon obtient le droit de quitter le pays.

L’auteur reconstitue le sort de la famille de Léon, hormis son épouse et sa fille qui le rejoindront à Paris, tout le monde sera exterminé.



Philippe Sands reconstitue ensuite l’histoire de Hersch Lauterpach puis de Raphaël Lemkin dont les familles seront également décimées. Il s’attache à leurs travaux juridiques aboutissant pour Lauterpach à la création de la notion de cime contre l’humanité. Et pour Lemkin, à la notion de génocide.

Ces deux notions seront au cœur des débats lors du procès de Nuremberg.



Un chapitre important est consacré à Hans Frank, gouverneur général de la Pologne occupée et à son implication personnelle dans l’application de la solution finale.



Le livre s’attache ensuite au procès de Nuremberg et au jugement aboutissant à la pendaison de Hans Frank.



Le petit aperçu que je donne ici du livre est totalement insuffisant, chaque chapitre est en effet dense et comprend de nombreuses pages. Le livre en compte près de 600.

Je crains que mon résumé puisse faire apparaître ce livre ardu et sec, ce que je ne voudrais pas que vous pensiez !

Le livre se lit avec intérêt et ne se lache pas.

L’auteur nous fait participer à ses recherches et cela donne au livre un suspense certain.

J’ai véritablement été captivé par ce récit riche à de nombreux points de vue : j’ai subjugué par la recherche méticuleuse de l’auteur parfois au départ d’indices paraissant au départ ne pouvant mener nulle part; j’ai beaucoup appris sur la ville de Lemberg, sur la distinction faite en droit entre les crimes contre l’humanité et le génocide, selon que l’on se place au niveau de l’individu ou au niveau d’un groupe.



Je le répète : Retour à Lemberg fut pour moi un livre important, et qui s’est lu avec facilité et grand plaisir.

Lisez-le !

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La filière

Second ouvrage lu de Philippe Sands, avec autant d’intérêt. Une biographie d’Otto von Wätcher, évoquant sa vie de dignitaire hitlérien , de gouverneur de Cracovie puis du district de Galicie, un nazi convaincu ordonnant sans état d’âme des meurtres de masse, puis sa vie de banni , profitant quand même de l’appui du Vatican et de tout un réseau pour mener, certes, une vie discrète mais sans véritable réclusion.

Un récit qui s’appuie sur une abondante documentation, notamment la correspondance échangée entre les époux Wätcher, Otto et Charlotte, mise à disposition de l’auteur par un de ses fils, Horst, sur des voyages in situ pour mieux apprécier l’atmosphère, à la recherche du moindre indice permettant de mettre en exergue la véritable personnalité de ce personnage et le rôle qu’il tint effectivement.

Si certains Nazis furent arrêtés, jugés, condamnés, emprisonnés ou exécutés, lui, comme tant d’autres parvinrent à se soustraire à la justice des hommes, lui n’échappa pas à son destin.

De page en page et jusqu’à la dernière, de nombreux rebondissements, faisant ainsi, de cette réalité historique un puissant thriller.



Ajout, le 07/07/2021 :

Sur France Culture Enquête menée comme un thriller, « La Filière » raconte une histoire d’amour et d’espionnage, de secrets, de cavales et de doubles vies. L’histoire d’une famille de nazis… la famille Wächter.







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Retour à Lemberg

Ce livre, écrit par un juriste, est à la fois un roman, un essai (juridico-historique) et des biographies. A ce titre, c’est surprenant. L’idée de ce livre a germé pendant que Philipp Sands préparait une conférence de droit international. Celle-ci devait se dérouler à Lemberg/Lvov/Lwow/Lviv, qui se trouvait être le lieu d’origine de son grand-père qu’il avait bien connu mais sur lequel il savait très peu de chose. Il découvre aussi que le père de la notion de Crime contre l’humanité et celui de la notion de Génocide ont tous deux commencés leurs études de droit dans cette même ville. Il se lance alors dans la quête de ses origines, mais fait aussi des recherches sur la biographie d’Hersch Lauterpacht et sur celle de Raphael Lemkin. Impossible de ne pas nous conter au passage toute l’histoire mouvementée de cette région jusqu’au moment de l’invasion par les Nazis. Et Philipp Sands se révèle un formidable conteur. A ces récits s’ajoute le portrait de celui qui orchestra la disparition des proches de ces trois personnages, Hans Frank, Gouverneur général de Pologne jusqu’à la défaite.

L’écriture est fluide, mais cela reste une lecture exigeante, en raison des concepts juridiques abordés. Mais c’est passionnant de toucher à la naissance de nouveaux droits, quoique un peu complexe par moments.

Bien sûr, le procès de Nuremberg est présent d’un bout à l’autre, ainsi que quelques autres personnages découverts par l’auteur dans sa quête familiale. Le récit est accompagné de notes abondantes, dignes d’un travail universitaire, et surtout de cartes et de photos qui rendent le récit encore plus vivant.

Ce n’est pas une lecture facile, par moment, mon intérêt s’est émoussé, il faut dire que le droit ne fait pas partie de mes centres d’intérêt, et que, aussi passionnantes que soient la vie, le parcours et les idées de Lauterpacht et de Lemkin, on ne peut pas dire que leurs personnalités soient attachantes.

Un livre certainement plus passionnant pour un historien du droit, mais qui fait remarquablement bien le lien entre le droit et la vie bien réelle des gens.
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Retour à Lemberg

Que nous ayons des droits en tant qu'individus et que ces droits ne puissent être bafoués par le gouvernement du pays où nous vivons, nous paraît aujourd'hui allant de soi. C'est l'inverse qui ne l'est pas et nous fait nous insurger, aujourd'hui, contre certains pays où dirigeants au vu de l'actualité du monde : Qui ne s'est pas inquiété pour le sort d'Asli Erdogan, citoyenne turque ? Qui ne s'est pas demandé de quelles armes juridiques la communauté internationale pouvait disposer pour régler certains conflits dans le monde impactant dramatiquement les civils, et quelles étaient leurs réelles portées ?



Et pourtant, ces droits et les revendications qui en découlent sont encore bien récents et fragiles.



Il y a encore quelques décennies, prévalait partout dans le monde l'entière souveraineté de l'État : libre d'emprisonner, tuer, discriminer ses membres, sans avoir aucun compte à rendre… Beaucoup de pays considèrent encore de nos jours que leur souveraineté est au-dessus de tout, et autant aimeraient que le droit international ne sorte pas du monde des idées.



"Avons-nous perdu le sens de l'histoire ? Les États veulent-ils vraiment "reprendre le contrôle" ? Une telle reprise du contrôle entraînerait-elle le retour du droit de traiter les citoyens, ou les étrangers, comme il leur plaît, sans qu'ils soient contraints par le droit international ou obligés par la fidélité aux engagements donnés ?"



C'est cette transition et cette lutte pour inscrire dans le droit international, la notion de crime contre l'humanité, et de façon plus difficile encore, celle de génocide, que nous raconte Philippe Sands, juriste spécialisé dans les droits de l'Homme. Là où Retour à Lemberg est original, c'est que cette trame est soutenue par le récit haletant qu'il nous fait des parcours individuels des membres de sa famille (juifs et donc soumis aux lois raciales nazies) et de la ville de Lviv, berceau de ses origines. Il nous embarque littéralement dans cette (en)quête qui va durer plus de six ans. Six années où son chemin va croiser et mettre en perspective les destins passés ou présents de gens aussi divers que Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin (créateurs des notions de crime contre l'humanité et de génocide), Niklas Frank (fils du gouverneur-général de la Pologne occupée qui fut un ami et fidèle d'Hitler), les accusés et témoins du procès de Nuremberg en passant par l'histoire de ses grands-parents et de sa mère, sans oublier Miss Tilney.



"Ce qui nous hante apparemment, ce ne sont pas seulement les morts, ou les vides que laissent en nous les secrets des autres, ce sont aussi leurs histoires."



De nombreuses photographies illustrent son propos et Philippe Sands nomme, date, cite, inscrivant sans relâche les événements qui font, non seulement sens, mais nous touchent profondément car l'écrire, c'est en laisser trace, ne pas permettre qu'ils s'effacent et que nous les oublions. Et le lire, c'est aussi comprendre pourquoi il n'est jamais vain de connaître nos devoirs et se battre pour nos droits, afin de ne pas un jour avoir à se battre pour nos vies...
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Retour à Lemberg

Philippe Sands, né en 1960, franco-britannique , juriste international de renom, spécialisé dans la défense des droits de l'homme, intervient, notamment, auprès de la Cour internationale de Justice, de la Cour de justice des Communautés européennes…, Il s'est, notamment, investi dans les dossiers concernant l'ex-Yougoslavie, le Rwanda, le Congo, la Libye, l'Afghanistan, la Tchétchénie, l'Iran, la Syrie …

Compte tenu de son renom, il fut convié, il y a quelques années, à donner une conférence à l'université de droit de Lviv, en Ukraine. Cette ville a porté le nom de Lemberg, quand elle était autrichienne, Lvov, en polonais, Lwow, en russe. (Une ville hautement symbolique des différentes dominations et tourments qui s'en suivirent qu'elle connut tout au long des siècles)

Cette invitation va lui donner l'occasion de plonger dans le passé occulte de sa famille et de découvrir les liens étroits existant entre sa famille maternelle et plus particulièrement son grand-père Léon Buchholz, natif de Lemberg, Hersch Lauterpacht (1897-1960), professeur de droit international, originaire de Zolkiew, près de Lemberg, Raphael Lemki (1900-1959), procureur et avocat, résidant à Lemberg à partir de 1921, et Hans Frank 1900-1946), ministre du IIIème Reich, avocat préféré du chancelier. Alors qu'il est Gouverneur général de Pologne, c'est dans cette ville, alors qu'il est de passage, qu'il annonce , la mise en place de « la solution finale ».

La destinée de ces personnages s'imbrique étrangement et étroitement, et Sands va mener une longue enquête minutieuse, pour tenter de découvrir un peu plus de la vie cachée de son aïeul mais aussi de ce sombre passé où Buchholtz, comme Lauterpacht et Lemki ont perdu une grande partie de leur famille .

Son grand-père ne lui avait rien révélé de son histoire, mais petit à petit Sands va aussi découvrir et comprendre pourquoi il a choisi, peut être inconsciemment, de s'investir professionnellement dans le droit , de défendre les opprimés de la Terre.

Au cours de ses investigations, il fera la connaissance du fils du « bourreau de la Pologne » , Niklas Frank , qui avait sept ans au moment de l'exécution de son père, après le procès de Nuremberg. C'est une lecture bouleversante, un témoignage exceptionnel où se mêle l'Histoire et le Droit et qui permet de mieux appréhender les notions de « crime contre l'humanité » et « génocide ».



Le 28/09/17, La Grande Librairie a convié Philippe Sands.

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Retour à Lemberg

Un récit intime, une enquête familiale, plusieurs biographies, une tentative d'explication de la genèse des concepts de crime contre l'humanité et de génocide, une description du procès de Nuremberg, Retour à Lemberg est tout cela : Un mélange de genres parfaitement réussi. Comme j'ai aimé ce livre intelligent et bien mené !



L'auteur est avocat, spécialisé en droit pénal international et enseignant à Cambridge. Un voyage à Lwow, ville en Ukraine occidentale, autrefois appelée Lemberg, est à l'origine de son récit. Il découvre que Lemberg est non seulement le berceau de sa famille maternelle mais aussi celui de Lauterpacht, éminent professeur ayant inventé le concept de crime contre l'humanité et celui de Lemkin, inventeur de la notion de génocide. C'est également depuis cette ville que Hans Franck, avocat et haut dignitaire nazi, régnait sur toute la Galicie.



Et c'est l'occasion de nous narrer l'histoire de sa famille et de l'arrivée de ses grands-parents juifs à Paris en 1939/1941, fuyant la terreur nazie. Car il y a des zones d'ombre que Philippe Sands va chercher à éclairer et il nous emporte dans une véritable enquête intime.



Et c'est l'occasion de nous raconter la vie de Lauterpacht et de Lemkin, également juifs, qui seront pratiquement les seuls survivants de leur grande famille, comme les aïeuls de l'auteur. Car cette région d'Ukraine abritait de grandes communautés juives, certaines très pieuses et d'autres plus intellectuelles et peu pratiquantes, avec pour seul point commun, une fin dans l'horreur et souvent un dernier voyage à Treblinka.



Il nous raconte aussi son amitié, si improbable et émouvante, avec le plus jeune fils de Hans Franck, née à l'occasion de son enquête, et la vie de ce père honni par le fils. Cet homme responsable de la liquidation du ghetto de Varsovie, et à la tête de la région qui a vu les pires camps d'extermination qui finira pendu à Nuremberg.



Et enfin, il nous explique le déroulement du procès de Nuremberg et le caractère révolutionnaire des notions de crime contre l'humanité et de génocide. Car jusqu'alors, les états étaient souverains et leurs dirigeants pouvaient commettre les pires exactions sans jamais être inquiétés. C'est ce qui se passa avec le génocide arménien.



Cette présentation pourrait laisser penser qu'il s'agit d'un livre assez aride mais l'auteur a un sens de la narration tel, qu'on se passionne du début à la fin. Et il a l'art de mêler l'intime à l'universel, des faits précis à des concepts plus abstraits.



Je terminerai sur une citation lors du procès : « Les crimes internationaux étaient commis par des hommes et non des entités abstraites. Ce n‘est qu'en punissant des individus qui ont commis ces crimes, dirent les Juges, que les règles de droit international pourraient être appliquées. Les individus ont des devoirs envers la communauté internationale qui priment leur devoir d'obéissance envers l'état dont ils sont ressortissants. »



Elle reste d'une terrible actualité



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Retour à Lemberg

Une tragédie ukrainienne

Le livre prend place à Lemberg, nom allemand de la ville ukrainienne de Lviv, également appelée Lwow en Polonais. Elle a portée au cours de l'histoire d'autres noms, témoignant de la grande complexité d'une histoire particulièrement tragique, et le caractère dramatique nous frappe tout particulièrement en ce moment.

Ces derniers temps, c'est l'une des lectures qui m'a le plus marqué. On a ici tout à la fois une chronique familiale tragique, de longs passages de biographie historique, l'histoire de la genèse des notions de crime contre l'humanité et de génocide, un livre d'enquête. Un livre tout à fait hybride en somme. C'est absolument captivant de bout en bout et l'on apprend énormément de choses sur des personnalités majeures de notre histoire.

Un livre remarquable pour qui s'intéresse au destin tragique de cette Europe orientale, puisque l'on est ici aux confins de l'Autriche-Hongrie, de la Pologne et de l'Ukraine.

Le livre fait puissamment réfléchir et montre la logique dans une certaine mesure antagoniste des notions de crime contre l'humanité et de génocide.
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Retour à Lemberg

Lemberg, ville polonaise qui selon la situation géopolitique s'est également appelée Lviv et Lwow, est pour Philippe Sands le point de départ de trois personnages importants.



Son grand-père tout d'abord, Leon Buchhloz, qui a fuit Lemberg où il avait passé son enfance avant de fuir pour échapper à l'Holocauste qui décima sa famille. De lui, il garde un souvenir flou fait de silences. Il ne sait rien au fond de son histoire, de sa tragédie.



Ce point de départ familial l'entrainera en tant que juriste, à s'intéresser à deux autres personnages importants ayant cette ville en commun :

Hersch Lauterpacht, juriste qui a introduit la notion de "crime contre l'humanité" au procès de Nuremberg.

Et Raphael Lemkin, qui lui s'est attaché à introduire à cette même occasion le néologisme de "génocide".

Toute la subtilité de l'un œuvrant pour la défense de l'individu et de l'autre, du groupe, nous est contée dans leurs nuances et parfois leur paradoxe.

Leur combat pour introduire ces importantes notions et traduire en justice les responsables de barbaries encore inédites permettront quelques années plus tard l'institution de la Cour pénale internationale. Elle sanctionnera les États coupables de crimes qui avant cela pouvaient disposer librement de leur population, y compris en termes de droit de vie et de mort.



Un quatrième personnage, figurant lui au rang des accusés, n'est autre que Hanz Frank, Gouverneur général de Pologne et Ministre de la Justice pour le Reich ayant promulgué les lois de Nuremberg. Parmi les millions de Juifs victimes de ces lois, les familles Lauterpacht, Lemkin et Buchholz.



C'est donc dans une quête familiale et historique que ce document nous emmène; document foisonnant et exigeant ayant nécessité un travail de fourmi qui tantôt passionne, tantôt perd un peu le-a lecteur-rice dans une multitudes de détails et de noms.



J'ai beaucoup aimé le travail à la fois personnel et historique, ainsi que les photographies qui donnent à l'ensemble un caractère humain et "réel".

En revanche, j'aurais davantage apprécié que l'auteur se concentre moins sur la biographie de Lauterpacht et Lemkin et s'attarde plus sur le procès de Nuremberg, car c'est ce qui m'avait décidée à acquérir le livre.



Quoi qu'il en soit, un documentaire riche d'apprentissages et intéressant.



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Retour à Lemberg

Comme il est dit sur la couverture du livre par John le Carré , Retour à Lemberg est un livre monumental.

Quelle prouesse à réalisé Philippe Sands pour mêler son histoire personnelle à l'histoire de l'Europe Centrale entre 1930 et 1945 et en nous faisant connaitre les concepteurs du "crime contre l'humanité " et du "génocide"

Philippe Sands est un juriste et avocat international travaillant entre autre pour La Cour Pénale Internationale de la Haye.

Dans le cadre de son métier il est invité à donner une conférence à LVIV , ville de 700 000 habitants actuellement dans l'Ouest de l'Ukraine.

Cette ville de Lviv est un roman à elle toute seule.

Elle a subi tous les soubresauts qu'a vécu l'Europe Centrale entre 1880 et 1945.

Au gré des conflits et des déplacements de frontière , cette ville s'est appelé Lemberg - Lvov- Lwov ou Lviv.

Elle été polonaise - allemande- austro hongroise - russe.

Le peuple de cette ville à lui aussi subi ces soubresauts de l'histoire

Vous pouviez naître allemand , devenir russe puis polonais.

Invité à cette conférence à Lviv , Philippe Sands s'est rappelé que son grand père maternel Léon Buchholz était né à Lviv.

Voila qui lui donne envie de marcher sur place dans les pas de son grand père et de connaitre les détails de sa vie

c'est le point de départ d'un thriller historico politique à couper le souffle.



7 ans de recherche ont permis à Philippe Sands de mener une enquête remarquable mêlant sa propre histoire à celle du monde

Il découvre que les inventeurs des concepts de crime contre l'humanité et de génocide sont nés dans la région de Lviv et ont travaillé à l'université de Lviv. Peut -être ont ils côtoyé son grand père.

Il va découvrir que derrière les silences de son grand père et de sa mère Ruth , c'est toute l'histoire juive des exils ,pogroms et camps de concentration qui est tue.

Il va être face à Niklas Frank , fils du chef nazi Hans Frank chef du gouvernement général c'est à dire des régions de Pologne et de Galicie où vivait son grans père Léon Buchholz.

Il va être confronté à la réalité de ce peuple juif qui de départ en exil est la proie du Troisième Reich . Que de pages poignantes !

Cette enquête revient aussi longuement sur le procès de Nuremberg et sur les difficultés à faire valider les notions de crime contre l'humanité et génocide.

Le procès de Nuremberg reconnaîtra le crime contre l'humanité.

Pour la notion de génocide il faudra attendre des années supplémentaires.

Néanmoins Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin , concepteurs du crime contre l'humanité et du génocide sont aussi à leur façon les concepteurs du TPI de la HAYE et grâce à eux depuis une vingtaine d'année des états et des hommes peuvent être poursuivis pour ces 2 motifs.



Ce qui est remarquable dans ce livre , c'est l'apparente facilité pour Philippe Sands à nous transmettre ce flots d'informations

La lecture est fluide et facile.

Dès le début du livre Philippe Sands vous emmène avec lui.

Ce livre devient addictif.

Tout au long des 450 pages on ressent aussi l'humanité et l'empathie de Philippe Sands. Ceux sont des accompagnants hautement importants quand il est question de la Solution Finale et de la disparition d'un Peuple.



Un livre à lire absolument



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Retour à Lemberg

Il y a des lectures qui vous enrichissent ; découvrir que ce récit, qui mérite tous les superlatifs qui ont accompagné son existence depuis sa parution en 2017 a rencontré un bien plus large public que l'auteur lui-même n'aurait pu le prévoir, voilà qui allume une étincelle de contentement et d'espoir. Il y a des lectures qui vous enrichissent, que vous trouvez immédiatement nécessaires, salutaires. Retour à Lemberg est de ces livres que je voudrais que tout le monde lise. Je l'avais repéré depuis longtemps, mais c'est la lecture en début d'année du très beau récit d'Esther Safran Foer Sachez que nous sommes toujours là qui m'a soudain imposé de passer à l'acte. Les mêmes lieux, forcément. Cette région de Galicie au cœur des atrocités nazies. Et cette ville de Lviv, Lvov, Lwow, Lemberg qui a changé huit fois de nationalité après la première guerre mondiale ; revenue sous les feux des projecteurs sous les récentes bombes russes.



Philippe Sands est juriste et le droit est en quelque sorte le héros de ce récit. Particulièrement à travers deux hommes, dont personnellement je n'avais jamais entendu parler et qui pourtant sont à l'origine des deux concepts qui ont permis d'étayer les actes d'accusation lors du procès de Nuremberg puis de nourrir plus tard la création du Tribunal Pénal International : crimes contre l'humanité et génocide. Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin étaient originaires de Lemberg/Lwow, ils se sont sûrement croisés sans se connaître lorsqu'ils y étudiaient le droit avant que les événements ne les amènent à quitter leur pays. Rien que le récit de leurs parcours respectifs est passionnant, on n'imagine pas ce qu'il leur a fallu d'obstination pour vaincre les réticences (comme celles des américains face à un concept qui interrogerait leur propre comportement envers les populations autochtones). Dans les rues de cette ville, un autre juriste fut à l’œuvre : Hans Franck, ancien avocat d'Hitler devenu gouverneur de Pologne ; lui tenait plutôt pour la souveraineté des nations - on le comprend bien - tandis que toute la pensée de Lemkin et Lauterpacht était tournée vers la nécessité de protéger l'individu ou les groupes d'individus des abus d'autorité des gouvernements. Le carrefour qui présidera à la rencontre de ces trois hommes sera donc Nuremberg. Pour Philippe Sands, l'enquête s'enrichit d'une quête personnelle, celle de l'histoire de sa propre famille puisque son grand-père, Léon Buchholtz a passé son enfance dans cette même ville et a fui suffisamment tôt pour échapper lui-même à l'Holocauste qui a rayé sa famille de la carte. Des trous restent à combler comme c'est souvent le cas lorsque les familles parlent peu. Lauterpacht et Lemkin n'ont eux-même appris ce qui était arrivé aux leurs que lors du procès de Nuremberg. Remplir les trous c'est combattre l'oubli et l'effacement, c'est empêcher le mal de gagner.



Ce livre est passionnant de bout en bout. Limpide dans les explications liées au droit qui permettent d'éclairer à la fois ce qui s'est joué à l'époque mais aussi ce qui est à l’œuvre de nos jours en croisant notamment les notions de nationalisme et ce que cela implique en termes de droits des individus. Un point crucial, peu souvent envisagé dans les grands discours. Intéressant dans la mise en parallèle et en opposition des deux points de vue de Lauterpacht et Lemkin. Passionnant dans sa reconstitution des moments clé du procès. Et dans son éclairage sur l'importance vitale du point-virgule. Mais ce livre ne se contente pas d'explorer le passé et de combler les trous. Il jette des ponts avec l'actualité. La rencontre de l'auteur avec le fils de Hans Franck - qui a condamné les actes de son père dans un livre qui a fait scandale à l'époque où la tendance était plutôt de cacher la saleté sous le tapis - et la prise en compte des idées nauséabondes toujours en cours (incroyable scène de commémoration de la création de la division Galicie des Waffen SS...) lancent un avertissement en direction de ceux qui penseraient que les jalons posés dans le droit international seraient inamovibles. A ce titre, la postface écrite par l'auteur est tout aussi importante que les 600 pages du récit.



Enfin, il faut remercier Philippe Sands d'avoir réussi à produire un texte aussi important qui se lit comme un roman, parfois comme un polar sans jamais rien renier du fond ni de la qualité du propos à la fois clair et parfaitement étayé. Il prend de la hauteur tout en mettant les hommes au cœur de ce récit palpitant et instructif. Un livre magistral.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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La filière

Dans son livre précédent, "Retour à Lemberg", l'auteur partait sur les traces de son grand-père Léon, victime des nazis. Ici c'est à l'un d'entre eux qu'il s'intéresse : Otto von Wächter qui fut l'un des responsables de la « solution finale », principalement à Lemberg (aujourd'hui Lviv). Pour ce faire Sands s'appuie en partie sur les souvenirs de Horst, le fils d'Otto.

Otto von Wächter, autrichien de naissance, nazi dès sa jeunesse, devient SS, grimpe dans la hiérarchie nazie, participe à l'Anschluss, avant d'être affecté en Pologne et en Ukraine pour exercer sa sale besogne. A la fin de la guerre il fera tout pour échapper au procès et tentera de fuir à l'étranger via la « filière » installée en Italie avec l'appui de l'Église catholique. Sa mort, mystérieuse, surviendra avant qu'il ait pu s'expatrier.

Le sujet du livre ne se limite pas là : il est aussi dans l'attitude de déni de son fils Horst, acharné à déresponsabiliser son père. De ce point de vue c'est une étude sur la psychologie de « ces gens-là ».

Comme le livre précédent, l'auteur s'appuie sur des sources multiples et une immense bibliographie qui nous sont livrées en notes. C'est un superbe travail d'enquête dont l'intérêt historique est évident. On ne retrouve cependant pas la sensibilité de "Retour à Lemberg".
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La filière

Durant ses recherches pour Retour à Lemberg, son précédent livre, Philippe Sands avait rencontré Niklas Frank, le fils de Hans Frank, l’ancien gouverneur général de la Pologne occupée durant l’annexion nazie. Niklas Frank a indiqué à l’auteur l’existence d’un autre fils de dirigeant nazi, qui serait prêt à parler de ses parents : Horst Wächter, fils de Otto Wächter, ancien gouverneur de Cracovie, puis de la Galicie. Si Niklas Frank condamnait totalement les actes de son géniteur, l’attitude de Horst Wächter était plus ambiguë : il ne niait pas les crimes de guerre, mais estimait que son père était un homme bon, un administrateur respecté des territoires qu’il avait en charge. D’un côté l’administration civile, de l’autre les SS, en quelque sorte.

Sands et Horst Wächter se sont rencontrés à de multiples reprises et Horst a accepté de le laisser consulter les archives familiales, rien d’important n’y étant caché selon lui.

Ce livre est le fruit de ces longues recherches et propose trois thèmes distincts.



Le premier est bien évidemment une biographie de cet Otto Wächter. Ce fils de militaire autrichien a dès ses études universitaires en droit durant les années 20 basculé dans le camp nationaliste et antisémite. Avec quelques amis du Deutsche Klub viennois, dont Arthur Seyss-Inquart ou Ernst Kaltenbrunner, ils adhèrent au NSDAP, puis complotent contre le chancelier autrichien Dollfuss. Le 25 juillet 1934, leur tentative de putsch, dont Wächter était l’un des trois chefs principaux, échoue, même si Dollfuss est assassiné. En fuite, Otto Wächter quitte femme et enfants, passe en Allemagne et bien évidemment trouve du travail au sein des services d’Himmler. Cette proximité avec le pouvoir nazi va l’amener à être un des dirigeants de la nouvelle région du Reich qu’est l’Autriche après l’Anschluss. Il licencie ses anciens professeurs de droit (juifs), interdit d’exercer plus des deux tiers des avocats du pays…

La seconde guerre mondiale va être l’opportunité de monter dans la hiérarchie nazie : d’abord comme adjoint de Frank, puis comme gouverneur de Cracovie, avant de devenir gouverneur de Lemberg (Lviv aujourd’hui) en Galicie. Dans ces postes il va montrer son efficacité : représailles contre la population civile lors d’attentats, création du ghetto de Cracovie, élimination des juifs de Galicie…

Avec l’avancée des troupes soviétiques sur le front de l’Est, il va d’abord être responsable de la liaison entre l’armée allemande et le gouvernement de Mussolini à Salo, avant de diriger l’action de troupes étrangères ralliées aux nazis, dont une division SS d’ukrainiens de Galicie.

Avec la fin de la guerre, il n’est plus qu’un criminel de guerre, qui se cache dans les montagnes autrichiennes, ravitaillé à l'occasion par sa femme. Après des années de cache-cache avec les forces d’occupation en Autriche, il va partir pour Rome pour tenter comme beaucoup d’autres de rallier l'Amérique du Sud. Il mourra à Rome en 1949 avant d’avoir pu quitter le pays.



Toute cette partie historique, en grande partie reconstituée grâce aux nombreuses lettres échangées entre Otto Wächter et sa femme Charlotte, est détaillée et montre bien comment l’ambition d’un homme, alliée à un racisme profondément ancré, l’a conduit a être un des rouages importants du nazisme.

Le deuxième thème abordé est donc celui des réactions de Horst Wächter face aux révélations successives sur l’action de son père. Horst, qui n’était qu’un gamin au moment la guerre et n’a quasiment pas connu son père, s’est forgé une image de celui-ci au travers de ce que sa mère Charlotte lui a raconté. Une version idéalisée où Otto Wächter n’était qu’un administrateur, apprécié de ses administrés (ukrainiens notamment). Charlotte a elle-même profité de l’ascension de son mari : des propriétés de luxe leur ont été attribuées après confiscation à leurs propriétaires, elle était entourée de nounous, majordomes et chauffeurs, et a puisé le décor de leur résidence à Cracovie dans le musée local…

Charlotte, amoureuse de son mari jusqu’aux derniers instants a tout fait pour lui, même si lui l’a abondamment trompée. Elle était autant que lui convaincue du projet nazi. Et l’est certainement restée jusqu’à son décès des décennies plus tard.

Sands reconnaît que Horst Wächter a fait montre de transparence, mais on sent que plus la vérité historique se fait jour, plus Horst l’habille et créée d’autres motifs aux actes de son père. Il lui est difficile de mettre en cause sa famille.



Le troisième thème abordé est celui qui donne son nom au titre : les réseaux d’évasions des nazis après guerre. Rome en 1949 est un vrai nid d’espions. L’opposition Est-Ouest commence. La CIA paye des indicateurs dans tous les milieux. Le rôle d’une partie de l’église catholique est ambigu, surtout s’agissant de l’évêque Hudal, un autrichien proche des nazis, qui a contribué au passage en Argentine de nombreux criminels de guerre, avant de devoir abandonner son poste quand ses liens avec… Otto Wächter sont apparus lors du décès de celui-ci.

Cette partie du livre est labyrinthique, complexe, et parfois déroutante. Il en ressort que les Américains ont très vite su que Wächter, qui figurait parmi les criminels de guerre réclamés par la Pologne nouvellement communiste, était présent à Rome, mais n’ont rien fait pour empêcher son projet d’exil sud-américain.

Sands durant son enquête va aussi découvrir des secrets de famille, qu’il va s’empresser de révéler (de son propre chef) à des personnes qui des décennies après les faits en ignoraient tout.



La filière est un récit historique parfaitement documenté (au plus prés des intervenants), impressionnant en ce qu’il montre de la vanité humaine et de l’absence d’humanité de certains. Mais l’ouvrage perd un peu de sa force dans une trop longue partie finale qui ressasse un peu toujours les mêmes arguments.
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La filière

Le parcours d'Otto von Wächter, autrichien et membre de l'élite hitlérienne, gouverneur de Cracovie en Pologne, puis de Galicie (Ukraine). Après la guerre, il est accusé de meurtres de masse et d'avoir été méticuleusement très actif dans l'application de la " solution finale ". En 1949, fugitif, il meurt à 48 ans en Italie. Il est persuadé de son innocence. Sa femme et son fils le sont également.



Mais comment a-t-il pu échapper à la justice ? Qui l'a aidé dans sa fuite ? Sa mort est-elle naturelle ?



L'auteur a orchestré un remarquable travail de recherche afin de nous apporter des réponses à ces questions. Il a obtenu de son fils un accès privilégié aux archives de cette famille. Les nombreuses correspondances entre von Wächter et sa femme vont permettre d'amorcer une enquête tentaculaire. Un fils en quête désespérée de l'humanité de son père et un auteur qui veut la vérité.

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Retour à Lemberg

Ceci n'est pas un roman pas plus qu'un livre facile à lire. Si comme moi vous n'avez qu'un vernis de connaissances juridiques vous aurez un petit effort à faire mais vous en serez récompensé.

Voilà un récit fascinant et surprenant.

Philippe Sands est juriste international spécialiste des Droits de l'homme et c'est dans le cadre de son travail qu'il assiste à une conférence à Lviv en Ukraine.

Lviv ou Lwów ou Lemberg, selon les différentes dénominations, dans la province de Galicie. Une de ces villes qui ont été successivement polonaises, russes, allemandes et retour dans l'autre sens. Une de ces Terres de sang dont parle Timothy Snyder. Dans cette ville une seule chose sera intangible : la ségrégation, la spoliation et le massacre des juifs.

Il découvre surtout que dans cette ville sont nés ou ont vécu, dans les années 1920/1930 son grand-père Leon Buchholz seul survivant de sa famille, Hersh Lauterpacht et Raphael Lemkin deux brillants penseurs du droit international

Trois hommes, trois juifs qui ont été mêlé chacun à leur manière à la réflexion, la rédaction et l'application de deux concepts de droit en vigueur aujourd'hui et que tout le monde connait : le Crime contre l'humanité et le Génocide.

Le livre se centre sur trois pôles :

le premier c'est une enquête familiale autour de Leon Buchholz et son épouse Rita, qui connurent les déplacements entre la pologne, l'Empire Austro-hongrois, la France, au gré des guerres et conflits, en fonction des menaces qui pesèrent sur eux et qui terminèrent leur vie à Londres.

Une photo, une adresse, un nom de rue, un bulletin scolaire, les horaires des chemins de fer : tout est bon pour creuser le passé mais en bon avocat P Sands cherche des preuves.

On retrouve ici l'émotion ressentie à la lecture des Disparus de Daniel Mendelhson.

Le second pôle est une enquête sur les deux juristes juifs d'origine qui vécurent à Lemberg et chacun de leur côté tentèrent de développer le droit international en matière de droits de l'homme : l'un milita pour la reconnaissance du concept de Crime contre l'humanité, l'autre pour la notion de Génocide

Nous voyons poindre leur vocation, leur parcours intellectuel et personnel. Raphael Lemkin et Hersch Lauterpacht, ont vécu et étudié dans la ville de Lviv et assisté à des conférences du même professeur de droit, Juliusz Makarewicz.

Deux hommes très différents, dont l'apport fut déterminant.



Philippe Sands clarifie les deux concepts du droit qui s'appuient l'un sur les droits individuels des personnes et l'autre sur le droit des communautés et des groupes. Ces notions dont aujourd'hui on admet qu'elles dépassent celle de souveraineté d'un état mais qui mirent du temps à s'imposer et qui aujourd'hui encore donnent lieu à bien des débats.

Au procès de Nuremberg américains et anglais étaient opposés à introduire la notion de génocide, peut-être en partie par crainte de se voir mis en cause dans sa politique coloniale pour la Grande Bretagne et pour son aptitude à fermer les yeux sur les pratiques du Klu Klux Klan pour l'autre.

Enfin Philippe Sands oriente son travail vers Hans Frank, le Gouverneur général de la Pologne occupée.

Hans Frank, l'amateur d'art, l'homme qui adorait la musique mais qui dit à Curzio Malaparte avec qui il s'apprête à boire un verre de vin de Bohème

« Tu peux boire sans crainte, mon cher Malaparte; Ce n'est pas du sang juif. »

Les pages sur Hans Frank sont difficiles, son fils Niklas est devenu un ami de l'auteur et est d'une sévérité absolue envers son père et sa mère qui elle aussi joua un rôle fort dans la dérive nazie de son mari.

Juriste de formation il fut à l'origine des lois qui ont institutionnalisé l'antisémitisme en Allemagne et il fut un des premiers à subir la justice pénale internationale en matière de Crime contre l'humanité.

Son procès est le point culminant du livre puisqu'il rassemble tous les protagonistes du livre.







Un livre qui m'a passionné même si il est parfois exigeant.



Sands est un important avocat des droits de l'homme, il a été impliqué dans le procès de l'extradition du dictateur chilien Augusto Pinochet par exemple. Il parvient à rendre sa recherche et son enquête très vivantes, sa verve narratrice tient le lecteur en attente d'une façon qui s'apparente à une quête policière.



A travers sa famille, Sands fait un tableau des familles juives qui à l'époque vécurent dans des pays où le danger les guettait, qui vécurent la fuite et l'expatriation forcée, les recommencements dans un nouveau pays.

Il met aussi l'accent sur ces héros anonymes, modestes, oubliés, comme Mrs Tilney qui permit à la mère de l'auteur de faire le voyage entre Vienne et Paris.

J'ai aimé le portrait de ces trois hommes (excluons Franck évidement) par forcément très sympathiques mais qui furent portés par une foi inébranlable en une certaine idée de la justice alors même qu'ils étaient dans l'ignorance de ce qui était advenu à leur famille.

Ils ont marqué de leur empreinte la législation et surtout éveillé la conscience des peuples et des dirigeants.

Un livre qui demande un peu de temps que vous ne regretterez pas.

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La filière

J’avais vu passer ce livre plusieurs fois sur Babelio avec de très bonnes critiques. Le sujet est pour le moins délicat, particulier, cela me change de mes policiers/thrillers habituels. J’ai été tenté de le lire, curieux de comprendre comment on pouvait embrasser une telle cause, obéir aux ordres de façon aveugle.



Le travail de Philippe Sands est remarquable, extraordinairement riche en documents d’archives, en photos. Il a « mouillé la chemise » comme on dit pour nous restituer au plus juste la ‘vérité’. Quel travail d’investigation !



Otto Wätcher a gravi les échelons de la hiérarchie militaire un par un mais assez rapidement. Obéissant aveuglément aux ordres ; était-il convaincu du bien-fondé de ceux-ci ? On le dirait bien. Il ne s’agissait pas seulement de monter en grade. Il était assez proche des grands décideurs nazis. Cet ancien avocat était pourtant un bon mari, un bon père de famille nombreuse.

Cela ne l’a pas empêcher d’agir de façon monstrueuse.



Ce général SS est responsable du massacre de plusieurs dizaines de milliers de juifs.



Ce que j’en retiens et qui me choque le plus c’est qu’il n’assume pas ses actes, pour lui il ne faisait qu’obéir. Sa femme charlotte minimise le rôle de son mari également. De plus elle trouve normal de « récupérer » la maison et les biens de personnes chassées mais est choquée quand il s’agit de les rendre. « Non elle n’a rien fait de mal, elle ne comprend pas ce qu’on leur reproche »



Idem pour le fis d’Otto, Horst, qui a confié beaucoup d’archives familiales à Ph Sands comme le journal de sa mère par exemple. Il défend sans relâche ce père dont il ne se souvient quasiment pas, l’idéalisant, lui trouvant sans cesse des excuses ou minimisant son rôle malgré des preuves accablantes.



Si Otto Wätcher ne se rend pas responsable de ses actes il entreprend pourtant une cavale pour échapper au procès de Nuremberg. Elle prendra fin à Rome en 1949 .

Après avoir déjeuner chez un ami il tombe rapidement malade. A-t-il été empoisonné ? Par qui ?



Philippe Sands entreprendra de répondre à cette question en analysant les archives, en interrogeant la famille. Il ne ménagera pas ses efforts. Homme de terrain il n’hésitera pas à aller à Vienne chez Horst Wâtcher, le fils d’Otto.



Si vous souhaitez juger par vous-même du degré d’implication d’ Otto Wätcher, n’hésitez pas à lire cette brillante analyse de Philippe Sands, juriste-professeur-écrivain émérite.

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La Dernière Colonie

L’auteur fait la démonstration magistrale de la complexité et des méandres du droit international que doit affronter un avocat spécialisé en la matière. J’avais adoré son écriture pleine d’humanité et de rigueur dans ses deux précédents succès littéraires, Retour à Lemberg et La filière. J’avais donc un a priori favorable, pourtant, je ne m’attendais pas à me passionner autant pour un sujet aussi rébarbatif d’un point de vue juridique et éloigné de mes préoccupations. Philippe Sands réussi à travers le sort de quelques habitants d’une île minuscule de l’archipel des Chagos perdu dans l’Océan Indien. Plus particulièrement le sort d’une femme qui ne sait ni lire ni écrire, humble domestique d’une famille de Maurice et porte-parole de la délégation des Chagossiens, dotée de courage, persévérance et de détermination, Liseby Elysé. Elle le sollicite pour entamer un recours auprès de la Cour Internationale de Justice à La Haye en vue de retourner vivre sur l’île qui l’a vu naître cinq décennies plus tôt, Peros Banhos, et dont elle a été expulsée avec tous ses congénères afin de permettre au Royaume Uni d’offrir à son « Grand frère Etatsunien la création d’une base militaire dans cette aire géographique. Alors qu’elle était une toute jeune mariée de 21 ans en 1973, enceinte de quatre mois, elle avait été expulsée sans préavis avec tous les ressortissants de l’Ile, avec comme unique consigne d’emmener juste une valise pour chacun d’entre eux. On fermait l’île, leur a-t-on dit !

Elle perdit son bébé à l’arrivée sur l’Île Maurice après quatre jours d’une traversée dantesque sur un navire qui n’était pas adéquat pour transporter tant de personnes, beaucoup perdirent la vie.

Ce que m’inspire cette lecture c’est le dégoût devant les fourberies, les mensonges, les fausses-promesses, le mépris, la mauvaise-foi qu’un Grand Etat comme le Royaume a montré et montre encore, puisque l’affaire est toujours pendante entre les parties. Hi Hi Hi !... .

Toute ces talents déployés à l’encontre de descendants d’esclaves, noirs pour la plupart, parlant le créole, pauvres mais se contentant de ce que la nature et les autorités coloniales fournissaient.

Je suis aussi admirative de Philippe Sands qui a la patience, la ténacité, les connaissances juridiques, le courage de ferrailler avec le Royaume Uni et de monter au créneau afin de faire entendre les aspirations légitimes d’un peuple sans voix.

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