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Citation de Partemps


Avez-vous de grands souvenirs d’opéra ?

Don Giovanni à la Fenice, il y a de nombreuses années. Mais à la télévision, il y a eu souvent de très bonnes retransmissions d’opéras ! Avec des mouvements de caméra excellents, et même Wagner vu par Chéreau, ce n’était pas si mal... Quelqu’un qui n’est pas vraiment fervent de Wagner comme moi, a écouté avec beaucoup d’attention.

Dans L’année du tigre, vous écrivez : « les musiciens et les musiciennes sont pour moi des dieux et des déesses. » Qu’est-ce qui vous fascine tant chez les musiciens qu’il n’y a pas chez les écrivains et les philosophes ?

L’impossibilité de tricher, d’abord. De faire semblant. On peut faire semblant d’être écrivain (regardez autour de vous), d’être peintre, on peut organiser une exposition de peinture, c’est déjà plus difficile d’être architecte... mais musicien, interprète en tout cas, il faut déjà savoir jouer. Certains jouent sans connaître la musique : Django Reinhardt, par exemple. Mais ce n’est pas le problème. Avec la musique, on ne peut pas simuler. Il y a un rapport à la vérité, tout simplement.

Comment réagissez-vous au geste de Barenboïm jouant Wagner en Israël...

Je l’ai commenté d’une façon un peu humoristique, dans Le Journal du Dimanche, c’est une formule qui a fait mouche, semble-t-il : au lieu de s’obstiner à jouer Wagner aux Israëliens, pourquoi ne pas être amené à jouer du Mozart aux Palestiniens (rires) ?

En ce moment, cela prend une résonance assez particulière.

J’ai le plus grand respect pour Barenboïm, j’écoute sans cesse certaines Sonates de Mozart et les Concertos n°20 et n°27. Mais là, je crois que cela ne s’imposait pas vraiment, c’est tout, c’est une question de goût... Pour certaines personnes, cela évoque immédiatement l’Holocauste... Wagner est joué partout, il y a des disques ; il n’est donc pas obligatoire d’aller le jouer là-bas, voilà.

Dans l’avant-dernier numéro votre revue L’Infini, vous consacrez un texte à Cecilia Bartoli...

Un jour, cela devait être à la radio, j’ai entendu cette voix, cette façon d’interpréter. Je retrouve ensuite cet enregistrement, et ça a été le même choc qu’avec Deller. Là, tout à coup, j’ai entendu comme une « instrumentalisation » de la voix absolument extraordinaire, et je me suis demandé comment une Italienne avait-elle fait pour s’évader de son costume obligatoire - qui serait « faire la Callas », « faire l’italienne » comme au cours du XIXe siècle. Donc, qui est cette chanteuse qui chante dans sa langue, l’italien, qui avait été étouffée pour crier ? Cela m’a donné envie d’écouter tout ce qu’elle faisait, et de la rencontrer pour vérifier la façon dont son corps survit, tout simplement. La dernière fois que je l’ai vue, elle chantait cet air effervescent de Armida de Haydn dirigé par Hernoncourt : quand elle s’enflamme avec Prégardien sur la plage 15 du premier disque : c’est prodigieux ! Du jamais entendu ! L’éroticité de cet enflammement réciproque...

Est-ce que cette phrase du Coeur absolu est liée à la problématique de l’écoute : « Elle se souvient de moi, la musique, c’est elle qui m’écoute en me traversant » ?

J’ai souvent cette impression, oui, que ma mémoire n’est pas à la mesure de ce que la musique « stocke ». Donc, parfois, je suis rattrapé par la musique ; pour quelqu’un qui aime bien chantonner, fredonner intérieurement, c’est comme s’il existait une mémoire préalable. Certains extraits de Proust, là-dessus, sont extrêmement intéressants. Pourquoi la « petite phrase » ? Il est intéressant de voir que c’est sur la partie musicale que le thème sexuel apparaît de la façon la plus précise : la première fois, dans la scène de Montjouvain, avec Mademoiselle Vinteuil et son amie, scène étonnante...

Cette petite musique qui « lui procurait des voluptés particulières » !

Proust perçoit très bien que l’on pourrait faire dire à la musique qu’il y a des choses que la jouissance sexuelle ne sait pas lire ou écrire. Si vous voulez de l’orgiaque extravagant, c’est La clémence de Titus. Cet opéra est en général sous-estimé, on a tort, c’est absolument énorme. On assiste à une véritable séance d’hypnose par la clarinette : de la phallicité dans la musique (rires) !

Pensez-vous qu’aujourd’hui, par rapport à l’époque de Mozart, la manière d’entendre la musique a beaucoup changé ?

Qu’est-ce que les gens entendent quand ils écoutent de la musique ? J’insiste beaucoup là-dessus dans Mystérieux Mozart : de quoi parle vraiment la musique. C’est tellement important, dans notre époque de psychanalyse, et je me demande si Freud a au moins cité le nom de Mozart dans ces ?uvres ; il n’aimait pas la musique, mais il aurait dû s’intéresser à la signification de ses opéras. C’est ahurissant, tellement c’est révélé, c’est la chose elle-même ! Maintenant, la question devient de plus en plus compliquée, difficile, lorsqu’on demande aux personnes sensées qui écoutent de la musique : « dites-moi de quoi ça parle ». Alors là, on comprend la superficialité des approches, même chez des gens très cultivés ! Ou alors, on fait entendre une Messe. L’Et incarnatus est, à la fin de celle en ut mineur : voilà un grand mystère, le mystère de l’incarnation : Mozart parle ici de son propre engendrement, dans un corps humain porté par une voix de femme - la sienne, Constance, pour qui il a écrit l’oeuvre. Mozart célèbre la vie humaine dans ce qu’elle a de plus précieux, il en module toutes les finesses et les articulation, la peau, le regard, la saveur... Pourquoi j’insiste sur la musique, sur celle-ci en particulier ? Parce qu’il y a une prise en main quasi pornographique du réel. Il faut toujours revenir à la musique, qui nous parle beaucoup plus savamment que tout autre langage.
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