[BIOGRAPHIE] LA CHRONIQUE DE VALERIE EXPERT - TU FINIRAS CLOCHARD COMME TON ZOLA

page 274 [...] La crise est salutaire car elle forcera les journalistes à se défaire de leurs réflexes sociologistes. A titre d'exemple, pour ce qui concerne tous les évènements qui touchent aux banlieues difficiles, sujet qui passionne à juste titre, les couvertures médiatiques ont été au mieux incomplètes, au pire, erronées, car tout était analysé au travers du prisme de la domination économique. Or lorsqu'un sociologue comme Hugues Lagrange, dans son ouvrage "Le Déni des cultures", a ouvert le débat sur l'ignorance des causes réelles des problèmes, il n'a obtenu pour échos que des insultes et sa mise au ban de la république de sociologues. Il faut dire qu'il touchait à un tabou : les statistiques ethniques. Mais elles seules peuvent nous renseigner sur les effets du choc des cultures de certaines régions avec la culture démocratique du pays d'accueil. Comment remédier à un mal si l'on s'interdit d'en étudier la cause, sous prétexte que ce n'est pas sociologiquement correct ? [...]
Quand commence la vie privée ? Quand un individu s'isole pour lire un livre. Voilà pourquoi le totalitarisme, qu'il soit communiste ou fasciste, brûle d'abord les livres. C'est parce qu'ils sont la clef qui ouvre la porte de la vie privée.
Quand tout allait mal pendant la journée, il se disait : ce soir, je vais retrouver mon livre. Il lisait avec délices. Ouvrir un livre, c'était briser toutes les chaînes de la journée. C'était voler librement dans l'univers. C'était avoir rendez-vous avec lui-même dans la réalité imprimée. Si Philippe aime tant les artistes, c'est que tous les soirs de sa vie, quel qu'ait été son état moral ou physique, ils l'ont accueilli dans leur monde, et l'ont rendu heureux. Les livres donnaient un but désirable à ses jours difficiles, ils lui donnaient aussi la force, réveillaient son désir, son courage, son insolence. Ils étaient la preuve quotidienne de la réalité du bonheur. Et si on lui demande pour quel monde il se bat, encore aujourd'hui, ton père répondra : "Je me bats pour un monde où l'on écrit des livres".
L'affaire s'est déroulée à Francfort. Une femme d'origine marocaine, battue et menacée de mort par son mari, demande le divorce. La juge lui a refusé au motif que dans le Coran il n'est pas inhabituel d'observer qu'en ce qui concerne les rapports conjugaux "l'homme exerce son droit de punir sa femme"...
... Mais ce qui est intéressant dans cette affaire de Francfort, c'est que l'oganisation représentative des Musulmans d'Allemagne a été la première choquée de ce jugement imbécile. Ils ont été humliés qu'on les prenne pour des primitifs auxquel on prête une culture qui consiste à battre les femmes.
Il ne faut jamais oublier que la culture, si gratifiante puisse-t-elle être, demande des efforts intellectuels, des sacrifices de certitudes, tandis que l'abandon aux instincts ne demande que de relâcher ces efforts.
Il faudrait enseigner aux enfants que dans une controverse, c'est celui qui est convaincu par l'autre qui gagne, car il a appris quelque chose tandis que son contradicteur repart comme il est venu avec pour seule consolation le plaisir - non négligeable - d'avoir partagé quelque chose avec un semblable.
En cinquante ans, les états de droit ont changé d'attitude face à ce qui les menace : ils sont passés de l'attaque virulente à l'autocensure. D'un excès à l'autre. Les attentats du 11 septembre, de Bali, de Madrid, de Londres, les fatwas lancées contre Salman Rushdie, Taslima Nasreen ou Ayaan Hirsi Ali,voilà le feu sur lequel on nous a conseillé de ne pas jeter d'huile... On est revenu à la fameuse diplomatie qui a fait le succès des accords de Munich en 1938 : protestations polies et aplatissement servile.
La religion est pour moi comme un piano à un manchot : inutile. Mais elle reste un objet d'étude tout à fait passionnant que je m'efforce de considérer avec neutralité. Sauf quand elle se mêle de régenter la collectivité et de substituer une loi divine aux lois que se donnent les hommes. A ce moment-là, le corps se rebelle. Le corps se met à penser, à parler, à écrire, pour pouvoir continuer à respirer, à exister. C'est la réponse à une menace. Elle n'a rien de théorique. Elle est vitale.
On ne sait pas trop bien à quoi servent les oeuvres d'art. On ne peut qu'imaginer ce cauchemar : comment serait le monde sans elles.
L'état démocratique protège ses citoyens, il garantit leurs libertés et leur sécurité. Quand Chirac a déclaré que la publication des caricature était une "provocation", entendant par là que nous mériterions tout ce qui pourrait nous arriver - un peu comme dans les affaires de viol avant les années 1970, où les avocats de l'époque convainquaient sans difficulté les cours (à l'époque essentiellement masculines) que la victime avait provoqué le violeur en mettant du rouge aux ongles et une jupe trop courte -, l'état n'a pas joué son rôle.