Leur actualité existe, qui ne cesse de se modifier sous nos yeux. Cependant, ce qui rapproche de nous ces grandes oeuvres est moins évident que ce qui nous en sépare. Plus qu'une source d'inspiration, elles sont devenues un objet d'admiration; elles ont pris leur rang sur les rayons classiques.
Pas plus que le son ou la lumière, la littérature ne se propage instantanément. Le public n'est touché par elle qu'avec un sensible retard, et cette loi du retard n'épargne pas non plus les critiques ; bien peu acceptent de se pencher sur la littérature du jour, sur cette littérature "non triée" dont parle Thibaudet, si ce n'est au jour le jour, précisément et sans trier avec une suffisante rigueur.
Et pourtant, c'est à la littérature en train de se faire que va la curiosité du lecteur.
C'est à cette curiosité que notre livre voudrait répondre.
Imaginons un amateur de littérature surpris par la guerre, en 1939, dans quelque terre lointaine où rien ne lui serait parvenu de la production française.
Le voici de retour. Il nous presse de questions ; il nous charge d'établir un programme de lectures.
Quels livres allons-nous lui conseiller ? Et en quels termes lui rendrons-nous compte des changements survenus ?.....
(extrait de l'avertissement placé en tête du volume paru dans la collection "Nrf" aux éditions "Gallimard" en 1951)
Si la littérature semble indifférente à tant de jeunes esprits, qui ne l'acceptent que comme objet d'analyse scientifique, c'est peut-être qu'elle n'offre plus beaucoup d'exemples de créations en mouvement susceptibles de passionner.
La passion littéraire, telle que nous l'avons connue, va du présent au passé; elle n'existe qu'allumée à quelque "work in progress".
La confidence balzacienne n'est tout à fait pure que lorsqu'elle correspond à un certain domaine du souvenir.
Le désir ne constitue-t-il pas une sorte de possession intuitive?
Le germe d'un livre ce sont des lectures, plutôt que des expériences et des idées.