Avec la participation de Pierre ANCET, Anne BOISSEL, Mathilde CHEVIGNARD, Marion CHOTTIN Voir plus [+]
Il s'agit de comprendre en quoi l'image de soi des personnes en situation de handicap peut être largement touchée par les effets de l'apparence, que leur handicap soit très visible ou invisible.
Il est souvent question du « handicap invisible » à propos de l'autisme aujourd'hui, mais il y a de nombreuses autres formes de handicap invisible : les douleurs, la souffrance psychique, l'épuisement ne se voient pas, et pourtant elles pèsent fortement sur les personnes, auxquelles on reprochera leur manque de dynamisme ou d'adaptabilité. Quant au handicap visible, il attire tant le regard que les personnes disparaissent sous leur handicap : on ne voit plus que leur apparence, et non plus leurs capacités ou leur personnalité.
Ainsi que le handicap soit visible ou invisible, les conséquences psychosociales liées au poids de la stigmatisation en raison de l'apparence interviennent fortement dans la construction de l'image de soi.
Cet ouvrage est issu du 16e séminaire interuniversitaire international sur la clinique du handicap (SIICLHA)
Dans la collection
Connaissances de la diversité
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Est monstre ce que l'on "montre", ce que l'on désigne du doigt, faute de pouvoir compter sur le langage, soudain mis en échec par cette aventure improbable du regard.
Celui qui est né avec le handicap vit le risque de se confondre avec le fait d’être un individu handicapé, comme si son identité propre était contaminée de l’intérieur par la répétition des situations d’exclusion ou de limitation. Les atteintes du corps sont aussi des atteintes par le corps social, physiquement et émotionnellement ressenties. Quand cette résistance devient un obstacle, elle est source de souffrance.
Est-ce que je pourrais séduire et trouver l’amour ? Est-ce réversible ou vais-je toujours devoir vivre ainsi ? L’imprévisibilité, l’irréversibilité, les regrets et les espoirs, l’exclusion des possibles, sont des dimensions temporelles suscitées par le handicap.
L’avenir désigne l’immensité même du milieu dans lequel peut se déployer l’activité. Cet « espace » n’est pas une spatialisation du temps : il ne s’agit pas d’un espace géométrique, mais de l’évocation d’un champ de déploiement, une marque d’immensité dans son intensité. Il s’agit d’un espace temporel corporellement ressenti, où se manifestent les possibles, les désirs, les aspirations, et non d’un espace spatialement représenté dont la fonction serait de planifier ce que nous appellerons le futur.
Le temps est perçu dans sa pureté « quand il n’y a aucune pensée, aucun sentiment précis dans la conscience ; il la remplit alors entièrement, il efface les limites entre le moi et le non-moi, il embrasse aussi bien mon propre devenir que le devenir de l’univers ou le devenir tout court [6] ». L’expérience primitive du temps serait cette expérience même du devenir, qui excède une vision personnelle ou substantielle, puisqu’il s’agit d’un pur devenir, "universel et impersonnel ".
La différence entre les formes de handicap est donc temporelle. Lorsque le handicap est présent depuis la naissance ou la petite enfance, on se construit avec lui, il fait partie de soi, il devient une marque identitaire. Dans le second cas une vie ordinaire a été rompue par l’accident ou la maladie, l’identité s’est trouvée altérée. Mais il n’est pas possible de dire ce qui est préférable : s’être forgé une identité que l’on perd ou avoir toute sa vie subi le poids social de la différence.
Quels que soient les efforts, la précarité physique ou les difficultés intellectuelles demeureront, car à la différence de la maladie, la précarité du handicap est une instabilité étirée dans le temps. Cette instabilité est ressentie comme un entre-deux permanent : entre le normal et l’anormal, entre la reconnaissance et le mépris, entre le temps du développement et le temps du retard. Elle devient indissociable de la construction psychique de soi.
Une vie avec un handicap paraît être une vie empêchée lorsqu’on assimile le corps vécu à l’organisme et à ses limites fonctionnelles, si l’on confond la sexualité, le fantasme, l’imaginaire, avec l’acte sexuel génital bien réel, ou encore les pouvoirs du corps avec la possibilité d’action directe sur les choses (alors que l’on peut agir indirectement, par la parole, l’écrit, l’action politique ou toute autre forme d’action indirecte ).
Le corps propre ou corps vécu n’est pas le décalque de l’organisme et des fonctions constatées ; ce serait d’ailleurs navrant qu’il le soit : nous avons tous besoin de sentir que nous pouvons excéder les limites visibles de notre corps, nous ouvrir à un paysage, dévaler des montagnes, nous envoler jusqu’aux cimes des arbres, au lieu de nous limiter au triste bilan de ce que nous pouvons effectivement faire.
L’expérience du corps et l’expérience du temps sont si intimes qu’elles ne sont pas aisées à élaborer. Même dans l’échange et la réciprocité, elles demandent une réflexion de part et d’autre pour parvenir à être audibles. L’existence vécue d’autrui n’est jamais que supposée, déformée, médiatisée par le langage, par la remémoration, par le récit partagé et les lieux communs qui l’accompagnent.