François Busnel reçoit
Patrice Gueniffey sur le plateau de la Grande Librairie. L'auteur, historien, spécialiste de la Révolution française, publie «Napoléon et
De Gaulle». À ses côtés,
Annick Duraffour évoque «
Céline, la race, le Juif», ouvrage coécrit avec
Pierre-André Taguieff, également sur le plateau, autour de la figure controverse du célèbre écrivain, auteur du «Voyage au bout de la nuit».
Christophe Boltanski publie «
La cache», texte autobiographique qui recense souvenirs d'enfance et anecdotes familiales. Dans «
Vie de ma voisine»,
Geneviève Brisac rend hommage à
Eugénie Plocki, fille d'un couple de juifs polonais, tués pendant la Seconde Guerre mondiale.
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L'affaiblissement des « religions » séculières ayant survécu à la Seconde Guerre mondiale (progressisme, communisme, etc.) s'ajoutant aux effets de la sécularisation (comme perte d'influence des grandes religions institutionnelles), produit un appel du vide qui favorise la réception de l'offre de sens ésotéro-complotiste. La contexte semble globalement favorable au renforcement, voire à l'accélération du processus : plus le monde devient complexe, plus son opacité s'accroît, et plus augmente la demande d'idées simples, supposées éclairantes. Plus les élites dirigeantes paraissent lointaines, étranges et étrangères à « ceux d'en bas », et plus ces derniers les perçoivent négativement comme n'étant « pas de chez nous », ni « comme nous ». « Nous » fassent aux « autres » : la relation conflictuelle s'impose comme l'évidence même. Les élites deviennent « les autres », auxquels on attribue une « autre » nature et qu'on perçoit comme foncièrement hostile. Pourquoi ne pas supposer que les élites conspirent « contre nous » ? Rien n'est à la fois plus simple et plus « illuminatoire » que l'idée d'un grand complot expliquant la marche de l'Histoire et les malheurs de l'humanité.
[C]et ensemble de croyances délirantes et de fictions séduisantes permet à nos contemporains de penser le monde indéchiffrable et menaçant dans lequel ils sont littéralement « jetés », sans boussole, et de plus en plus souvent sans traditions sur lesquelles s'appuyer ni mémoire collective à laquelle se ressourcer. Le goût du merveilleux et la crainte des démons n'ont pas disparu du psychisme humain, même si les grandes religions instituées, soumises au processus moderne de rationalisation et d'intellectualisation, ne leur offrent plus une structure d'accueil et des modes de ritualisation leur donnant un sens sociétal.

Par son caractère anxiogène, [le soupçon] pousse les suspicieux à cherche une réponse globale et définitive, qui mette un terme au questionnement. L'une des réponse possibles, et satisfaisantes pour beaucoup, est que ces malheurs sont dus à des complots, voire à un grand complot. Tout s'explique enfin, et les esprits s'apaisent, devant la certitude offerte par l'évidence du complot. Mais ils peuvent aussi s'exalter : croire au complot, c'est en même temps croire qu'on peut y mettre fin en le révélant, en dévoilant le plan caché des conspirateurs et en démasquant ces derniers. Ce qui revient à pouvoir se défendre contre la menace, voire à éliminer les sources de la menace. Le recours à l'idée de complot permet donc, à ceux qui la professent comme un dogme, de connaître « la cause de nos maux », tout en leur donnant l'assurance de pouvoir agir sur et contre la cause diabolique – il suffit d'identifier et de nommer publiquement les responsables et les coupables. À l'idéologie du complot on reconnaîtra une fonction cognitive (elle fournit le « savoir » sur les responsables du mal) et une fonction pratique ou pragmatique (elle donne les moyens d'effacer magiquement la cause des malheurs du monde). En outre, le dogme du complot efface l'imprévisibilité de l'Histoire : il fournit à bon compte le sentiment de pouvoir maîtriser le présent, prévoir l'avenir et déjouer les pièges du futur, sur la base d'une connaissance supposée des causes profondes de la marche du monde. Illusion suprême, mais sentiment réel : celui qu'une maîtrise intellectuelle de la suite des événements.
Il est facile de constater que le besoin d'identité, qu'il soit ou non un invariant anthropologique, s'exacerbe en même temps que s'impose l'uniformisation techno-marchande du monde.
Les dérives identitaires suivent ou accompagnent ainsi l'emprise globalitaire. Ce n'est pas par hasard que les protestations et les revendications néopopulistes se cristallisent autour des thèmes identitaires ou nationalistes, exprimant l'inquiétude, la rage ou la nostalgie d'individus en cours de désaffiliation et de privation d'héritages.
Pour la plupart des racistes allemands et autrichiens, ce qui semblait être le caractère inquiétant, voire menaçant des Juifs ne résidait plus dans leurs différences, mais dans leurs ressemblances avec eux. L’“altérité” juive devint d’autant plus inquiétante aux yeux des antisémites qu’elle était plus diluée, plus adaptable, plus mouvante et capable de brouiller les frontières »
Un esprit fermé ou rigide est incapable d'évaluer une information comme vrai ou fausse en se fondant sur les qualités intrinsèques de cette information. Il ne juge qu'en la rapportant à sa source. Il ne s'intéresse pas à ce qui est dit, au contenu du message, mais à celui qui le dit : qui parle ?
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A propos des nouveaux conflits identitaires, François Thual, spécialiste de géopolitique, soulignait le fait que, "face aux acides déstructurants de la modernité, face à la misère économique, à la désintégration politique, l'identité collective d'un groupe humain redevient le seul point stable". Dans les Etats-nations reconnus, les conflits identitaires, qui dérivent d'une "peur existentielle", d'une peur de disparaître, prennent l'allure de conflits pour la survie du groupe majoritaire se sentant menacé par l'afflux de populations migrantes. Le groupe majoritaire se perçoit comme victime, il s'érige en victime exemplaire, illustrant le processus appelé "égoïsme de la victimisation" par le psychiatre John E.Mack.
L'antiraciste n'a plus pour tâche de conduire le "raciste" vers le bien, mais de l'isoler en tant que porteur du mal. Le "raciste" doit être montré du doigt, stigmatisé, mis à l'écart. Il ne peut plus s'agir que de le mettre hors d'état de nuire par la sanction judiciaire, au risque de rétablir la censure idéologique et de limiter la liberté d'expression.
Le populisme politique implique la valorisation du peuple, opposé soit aux élites et aux étrangers, ou encore aux élites et aux étrangers, voire aux élites perçues comme étrangères, déterritorialisées, "mondialisées", devenues cosmopolites de fait. Le bon peuple est enraciné dans un territoire et une histoire, il est doté d'une identité distincte liée à sa nationalité, il est resté "lui-même", au contraire des élites ou des immigrés, dénoncés comme déracinés, donc sans identité distinctive ( "immigration cosmopolite", élites "nomades", ou "mondialisées" ). On entendra donc par "populisme", sans considérer ses variantes de droite et de gauche, une idéalisation ou une transfiguration du "peuple", nous l'avons vu, qu'il soit pris dans sa partie basse (latin plebs) ou dans sa totalité ( populus), en tant qu'il serait seul porteur de qualités humaines et de vertus natives.
Ce qui s'est produit au cours du quart de siècle qui a suivi, c'est au contraire une exacerbation des passions identitaires liées aux mémoires concurrentes de l'époque coloniale et une orchestration, par des groupes victimaires émergents, de la mise en accusation de la France et de sa République jugées coupables "du crime contre l'humanité" qu'aurait été la colonisation, banalisant ainsi l'idée, moralement intolérable et politiquement dangereuse, d'une culpabilité collective, transmissible, forme sécularisée de la notion de péché originel.