Pierre Brunet

Ma tête doit avoir besoin de se vider. J’ai probablement une voie d’eau quelque part, au fond de l’esprit. Il me faut écoper chaque jour et rejeter sur ces pages ce que la pompe de cale de ma raison ne parvient pas à écluser.

Je crois que le soleil ne désire que la mer. La terre est un accident. La terre est incertaine de vouloir se réveiller chaque matin, si pesante de morts.

ondant au numéro de camelot du « manager », mais j'avais compris que ce qui se déroulait là était sérieux. Le bonimenteur/arbitre/manager leva ses deux bras à quarante-cinq degrés en un geste théâtral, fit signe aux deux combattantes de se rejoindre au centre du cercle improvisé, posa ses deux mains sur leurs épaules, et énuméra à haute voix et d'un ton grave une série de règles à respecter absolument : pas de coups « en bas », de coups de tête, de coups de pied, de coups de griffe ni de coups de dents (je me dis que s'il avait besoin d'interdire les coups de griffe, alors que les combattantes portaient des gants, c'était qu'il avait dû en voir devenir enragées et jeter leurs gants pour tenter d'arracher les yeux de leurs adversaires).

On m’avait préparé à ça; m’engager dans la zone de mort, et tuer. Je n’étais pas prêt à n’être qu’un figurant impuissant du carnage. Nous n’avons pas tué, là-bas, nous n’avons fait qu’être absents au moment où d’autres tuaient. Cette innocence ne nous sauvera pas

Antoine lui avait donné quelques tuyaux, lui avait indiqué, parmi les responsables de chaque site, qui était plutôt brave type, qui plutôt crapule, et puis Julie avait pris sa part de boulot, de crasse, de peur et de morts. Tous les soirs ils se retrouvaient pour faire le point, échanger les histoires du jour et les informations essentielles.

Les hommes coupaient les gens ou volaient les vaches et les femmes pillaient les maisons de leurs anciens voisins.

Nous n’avons pas tué, là-bas, nous n’avons fait qu’être absents au moment où d’autres tuaient.

Je vais tenter de trouver dans le vent marin une autre existence.

La lumière du jour naissant rendait à la fois irréelles et grisantes les dernières minutes d’attente.