Pierre Charras : Bonne nuit doux prince
A la Cité Internationale Universitaire de Paris,
Olivier BARROT reçoit
Pierre CHARRAS sur son livre intitulé "
Bonne nuit, doux prince". Il y fait le
portrait de son père regretté et parle de son remords du "non-dit" entre son père et lui.
Peu importe ce que les jeunes lisent : c'est le 'muscle' de la lecture qu'il faut faire travailler et personne n'a pas besoin de débuter avec Marcel Proust.
C'est rare, précieux, un sourire. Ca n'a rien à voir avec la gaieté, ni même avec le plaisir, la satisfaction. Ce ne sont là que des sensations d'arrivée, alors qu'un sourire, c'est un départ, un projet.
« Malgré son jean, ses grosses chaussures militaires, son blouson de cuir, ses cheveux courts, elle avait une grâce que rien ne peut entamer, qui dure quelques années, entre quatorze et dix-huit ans, le plus souvent. Avant, ce sont des enfants, ensuite ce sont des femmes, mais pendant la parenthèse, elles sont invincibles, inaltérables. Des sortes de déesses antiques. Ou, pour le moins, des Terriennes privilégiées qui auraient reçu des cieux ce cadeau hors de prix : plaire à tout le monde »

Si tout n'était pas encore exprimé, avec Clarisse, notre histoire s'essoufflait. Elle suffoquait, même. Clarisse devait en être consciente autant que moi. La dernière fois, d'ailleurs, n'avait-elle pas fait des manières? Elle voulait bien, puis elle ne voulait plus. Et lorsqu'elle s'était enfin décidée, je ne la pressais déjà plus que par politesse. Nous avions bataillé longtemps, chacun pour soi, avant d'accoster au plaisir. J'avais beaucoup exagéré le mien. Toujours pour m'en tenir au rôle de soupirant que j'avais de plus en plus de mal à interpréter. Quant à elle, elle avait fait semblant, tout simplement. Oh, l'illusion était parfaite, il n'y avait rien à critiquer pour l'orgasme lui-même, aussi vrai qu'une copie du Louvre. Non, c'étaient les quelques secondes qui l'avaient précédé: je l'avais très bien vue renoncer, juste avant de repartir vaillamment, en trompe l'oeil. Nous en étions arrivés aux mensonges, à la courtoisie. (...) Clarisse s'est imaginé qu'elle pouvait me guérir de ce désarroi où je m'étais enfermé, et qu'il suffisait pour cela de rénover notre couple, comme on retape une maison de campagne.
Personne ne semble avoir remarqué le sac. Emmanuel pense, amusé, qu’il pourrait bien contenir une bombe et il a presque envie de crier « attention » … mais il imagine la suite, lorsqu’on s’apercevra que le sac ne renferme que des chaussures de course et un short. Comme ils auront honte, tous, d’avoir eu peur et comme ils chercheront à noyer leur malaise en se retournant contre le messager.
Oui, comme ils se moqueront de lui, alors ! La moquerie, c’est bien ce qui le terrifie le plus. Comme tous les enseignants sans doute. Lorsqu’ils montent sur l’estrade, gagnent leur bureau et affrontent leur auditoire, ils préfèreraient n’importe quoi à une moquerie. Un coup de feu, de couteau. Une bombe, oui, justement. Plutôt mourir qu’avoir honte.
« Il a beaucoup de mal à classer les adolescents entre quatorze et dix-neuf ans. Comme si, au sortir de l’enfance, ils basculaient tous d’un bloc dans un âge commun. C’est à cause de cette dureté qu’ils ont aujourd’hui, indépendamment de leur milieu social, de l’entente de leurs parents, de leurs expériences intimes. Pendant quelques temps, après qu’ils ont quitté les rêves des premières années et qu’ils échappent encore aux illusions auxquelles les adultes sont bien obligés de se raccrocher pour survivre, ils sont durs, tout droits, héroïques, pourrait-on dire. Ils font bravement face à un avenir menaçant, désespérant, menacé. »
Il sent chez lui, parfois, une carence en haine. Car c’est reposant la haine, c’est naturel, c’est la plus grande pente. Comment expliquer, sinon, qu’elle soit si répandue ? Emmanuel ne hait personne. Cela ne veut pas dire qu’il a de la sympathie pour tout le monde, mais, enfin, il y a de quoi s’inquiéter.
Même si sans lui ce sera l’hiver toute l’année, elle en est bien consciente. Même si la vie, la vraie vie, la vie intéressante, s’arrête là. Que demain soit moins beau qu’hier, elle l’accepte. Ce qu’elle refuse, c’est qu’avec Gabriel demain soit moins beau qu’hier.
Il a dans le regard une douceur lasse d'instituteur, de curé, de médecin. Non, plutôt le genre qui a vu tant de misères qu'il a fini par se persuader que le mieux, pour respirer un peu, c'est encore d'aimer les gens.
Ça a commencé après la mort de Benoît. Emmanuel s’est perçu un jour comme imaginaire. Comme si celui qu’il voyait dans le miroir, qu’il lavait, qu’il habillait, qu’il nourrissait bouchée après bouchée, ce n’était pas lui mais encore Benoît. Cet effacement du corps, c’est son deuil, peut-être.