AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Partemps


Sa curiosité s'étendit peu à peu à la musique populaire de tous les peuples. En 1913, il rapporta d'un voyage en Algérie des chansons arabes des environs de Biskra. En 1914, il se rendit à Paris, cherchant en vain quelqu'un qui s'intéressât à ce recueil. Avec Jules Écorcheville, on a causé projets de concerts, mais la guerre survint...

Il ne pouvait revenir que lentement à ses travaux de composition. L'intendant de l'Opéra, le comte Bânffy, inspiré par le succès du ballet russe à Budapest, lui avait confié dès 1913 la composition d'un poème chorégraphique de Béla Balàzs : le Prince en bois. Bartók ne le termina qu'en 1916. La première eut lieu le 12 mai 1917. Parallèlement, il composait les deux séries de Cinq mélodies, la Suite pour piano, op. 14 (1916), et le IIe Quatuor, op. 17 (1915-1917).

Toutes ces oeuvres marquent une manière nouvelle. L'isolement, le travail incessant ont exercé sur Bartôk l'effet analogue que la surdité chez Beethoven.

Devenu étranger à la vie extérieure, replié sur lui-même, il a plongé dans les mystères de l'âme. Il connut des souffrances qui inspirèrent aux poètes des beautés inouïes, tout en absorbant leur vie. C'est alors qu'il pare de musique congéniale certains poèmes d'Ady (1877-1919), le plus grand poète lyrique hongrois depuis Petófi. C'est alors qu'il dépeint la désolation de son Prince avec des accents qui ont fait frémir les auditeurs, et ont fait dire à certains critiques que l'oeuvre était manquée, que la musique en était trop tragique pour un sujet de conte de fée. C'est enfin à cette même époque qu'il termine son IIe Quatuor.

L'analyse technique n'est pas le moyen de nous rapprocher de telles oeuvres ésotériques; il n'est que d'entendre et de sentir. A quoi bon constater qu'il est devenu plus « Bach » que jamais ? A quoi bon parler d'une influence de Stravinsky et de Schinberg, qui, si elle existe, ne touche que la forme extérieure, car il n'a connu du premier que le Rossignol et le Sacre du Printemps en réduction pour piano, et du second presque rien ? A quoi bon commenter la souplesse et la liberté du rythme et l'expression mélodique ? « Wenn Ihr's nicht fühlt, Ihr werdet's nicht erjagen » – dit Goethe.

La première du Prince n'a pas été sans influence sur la situation de Bartôk dans le monde musical. Grâce à l'incomparable réalisation de l'oeuvre, due au travail assidu du chef d'orchestre Egisto Tango, la critique, sans se départir de ses réserves, change de ton; elle n'ose plus attaquer. Elle a admis le génie de Bartôk dans ses « danses grotesques », surtout dans celle de la poupée en bois, mais elle n'a pas su rendre justice aux scènes expressives qu'elle trouve froides. Puis la direction de l'Opéra eut le courage de monter le Barbe-Bleue auquel le public réserva un accu il si chaleureux que la critique, mise cette fois en déroute, prit peu à u le caractère d'un choeur de louanges.

A partir de 1918, des difficultés continuelles entravèrent le travail de Bartôk. Après les Études (op. 18) qu'on peut nommer, comme Liszt son « op. I, d'exécution transcendentale » et qui terminent une longue série d'oeuvres pour piano, digne d'une analyse spéciale, il achève en 1919 les esquisses d'une pantomime de Menyhért Lengyel, le Mandarin merveilleux, oeuvre qui, tout en marquant le point culminant de son dernier style, ouvre déjà de nouvelles perspectives, surtout en certaines scènes d'une vie tumultueuse. Depuis lors, la situation intérieure du pays explique suffisamment son silence.

Cette oeuvre artistique, dont nous avons tâché de retracer les plus importantes étapes, représente tout autre chose qu'une combinaison d'éléments nationaux ou qu'un modernisme d'intérêt passager. Sur une solide base nationale, Bartók a élevé un édifice où toutes les grandes écoles ont collaboré. Rempli de la musique du sol natal, il fut d'abord l'élève des grands Allemands. Il n'a pris à cette école que ce qui fait ses avantages, et, laissant de côté la lourdeur et le pédantisme, il en a trouvé le contrepoids dans l'esprit latin. Placé par sa race et par sa culture entre les deux pôles du Nord germanique et du Midi latin, il affirme par son oeuvre un progrès si considérable de la musique entière que le monde musical ne peut plus l'ignorer.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}