L'Algérie de Pétain, Pierre Darmon
Dans l'humanité, Jean Jaurès dénonçait les effets pernicieux de la presse à sensation sur la classe ouvrière. Dans leur impitoyable recherche du profit, les capitalistes faisaient de l'évènement l'opium, le panem et circemces des temps modernes. Ils aliénaient les travailleurs, désarmaient l'esprit de revendication :
"Quelle émotion ! Dans les tramways qui amènent à Paris la population ouvrière de la banlieue, chez le mastroquet, dans les gargotes, on ne s'entretient pas d'autre chose. À la sortie des ateliers, où ils peinent pour enrichir les possesseurs des moyens de production, les travailleurs harassés n'ont qu'un souci : qu'y-a-t-il de nouveau ? Quel est le chapitre du jour dans le feuilleton roman qu'on leur sert soir et matin ?
Allez donc leur parler des "espaces libres" et de la nécessité d'air pour leurs poumons, d'horizons pour leurs yeux ! Allez donc leur parler des périls de guerre qu'on a traversés ! Allez donc leur parler des salaires, de la journée de huit heures, du repos hebdomadaire !...
Toute cette agitation est entretenue et prolongée avec soin par la grande "presse d'information", celle qui, moyennant un sou, vous donne six centimes de papier imprimé et trouve moyen de s'enrichir avec ce trafic.
La bourgeoisie... trouve son compte à ce que tout un peuple se détourne de ses intérêts pour prendre part, avec les reporters et les magistrats, à cette chasse à l'inconnu.
Pour les journalistes, informer le lecteur, défendre les idées, c'est dépassé. La vente du papier et les possibilités croissantes de publicité ou d'affaires qu'elle représente, voilà la seule préoccupation.
Le capital investi dans les journaux a besoin de profit. La concurrence rend nécessaire une âpreté toujours plus grande dans la poursuite des nouvelles. Il faut de l'impressionnant, de l'inattendu, et toujours et toujours. Et dans la dispute aux évènements, l'obligation s'impose de tricher. Mais la fausse nouvelle n'est pas une denrée rentable. La nouvelle vraie, seule, est d'un bon rapport. Quand on n'en a pas, on en crée."
Il y a pour l'homme une destinée que ses ancêtres lui ont faite, et nul, fût-il capable de la tenter, ne peut échapper à la tyrannie de son organisation.
Le scélérat n'est pas un scélérat par un choix délibéré des avantages de la scélératesse mais par une inclination de sa nature faisant que le mal lui est un bien et le bien un mal.
A partir de 1880, les microbiologistes renversent les idées reçues : les odeurs ne sont pas dangereuses, alors que l'air inodore peut contenir des germes mortels. Celui des cabinets d'aisance est par exemple plus pur que celui des corridors...
Nicolas de Blégny, dans Les Secrets concernant la beauté et la santé (1639), recommande l'application d'onguents capables d'estomper les effets subversifs de la petite vérole :
"Prenez lard de porc mâle bien gras, sperme de baleine et d'avoine [...]. Prenez vinaigre blanc et urine d'une jeune personne qui ne boive que du vin. Ajoutez fleur de rose [...]. Prenez guimauve, oignons de lys blanc dans une demy livre d'urine d'une fille de neuf à dix ans [...]".
Un siècle plus tard, le docteur Hecquet préconise le recours à une crème d'étrange composition : "Prenez des limaçons avec leur coquille, la quantité que vous voudrez. Pilez-les avec parties égales de sucre candi. Il s'en fait un baume qui est excellent pour effacer les taches de la petite vérole".
Fort prisés par d'autres médecins, la salive de jouvenceau à jeun ou le gras de cadavre complètent la panoplie peu ragoûtante du parfait variolé. Mais en sous-œuvre, le délabrement demeure.
Taubes et zeppelins : la kermesse
Le 30 août 1914, un taube (pigeon), frêle aéronef allemand que les Parisiens ne tarderaient pas à appeler taupe par dérision, survolait Paris et lâchait, sans faire de victimes, quatre petites bombes sphériques de 3 kilos, dont l'une éventrait la toiture de Notre-Dame, et une oriflamme portant l'inscription : Parisiens, rendez-vous. L'armée allemande est à vos portes. L'ère des raids aériens de terreur venait de s'ouvrir, mais rien ne laissait alors présager l'horreur qui se profilait derrière cette modeste première.
Ce jour-là au contraire, la capital prit des airs de fête. La foule des badauds se pressait autour des points de chute. Rue des Vinaigriers, un trou de quelques dizaines de centimètres de diamètre faisait l'admiration des curieux tandis que les collectionneurs sillonnaient le voisinage à la recherche de débris de projectiles.
Médicalisée en Europe à partir de 1721, l'inoculation de la variole, ou petite vérole artificielle, faisait de longue date l'objet d'une pratique empirique et populaire en Afrique, en Asie et dans certaines régions rurales d'Europe. On avait en effet remarqué que la variole ne frappait jamais deux fois le même individu. La contracter au plus vite et au moment opportun, lorsqu'elle sévissait sous sa forme la plus bénigne, c'était déjà domestiquer le mal. Par ailleurs, l'inoculation de quelques gouttes de pus variolique dans un sujet réceptif provoquait l'éclosion d'une variole le plus souvent bénigne alors que la contagion atmosphérique attaquait l'organisme dans ses profondeurs, causant des ravages souvent mortels.
L'histoire des microbes a commencé dans une goutte d'eau