Le recueil s’ouvre sur « la nuit parturiente » cette « nuit pleine ou plein silence » qui permet aux mots de venir au monde. L’image est belle.
Le titre évoque la mer et le grand large, c’est aussi ce qui caractérise l’œuvre de Pierre Dhainaut, tournée vers le souffle, l’amplitude des mots « dans le mouvement des vagues »
« Dans le « fracas du flux et du reflux sur une plage de galets », la mer est là comme le sont les arbres, les chemins et le ciel. Les mots se mêlent aux éléments, aux paysages traversés.
Dans la langue qui s’offre à nous, « l’écoute est nue ».
Nous ne sommes que de passage, les paysages nous survivront.
Nous cheminons entre les îlots d’un archipel d’impressions et d’émotions éclatées. Le poème tente l’ouverture vers le souffle et le grand large, il insiste sur le silence pour accueillir ses émotions.
Il faut savoir écouter.
« Appuie-toi sur l’écoute,
Rends intarissable
La source sonore. »
Dans la troisième partie intitulée « lectures de lumières », des fragments – parfois une phrase très courte suffit- nous entraînent dans un monde maritime tissé de silences, de souffles et de lumière. Le poète cueille à la fois la lumière et la réalité tangible des éléments.
« Le mot rivage est toujours lumineux
Sur ce rivage. »
Dans une langue dépouillée de tout effet inutile, le poète nous ouvre une porte sur l’univers et sur l’infini.
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Écrit alors que Pierre Dhainaut fait un long séjour pénible à l'hôpital, ce recueil est particulier dans son oeuvre, plus épuré encore. Il explique lui-même à la fin :" On a été si nu dans l'abandon qu'il n'est plus possible , quand on en réchappe, de tolérer ce qui s'ajoute et définit, masque, étouffe. "
Les textes sont en effet très courts, composés souvent de cinq ou huit vers, eux-mêmes fort brefs. Le désir est bien d'aller à l'essentiel, et une porte après l'autre :
" A l'aide
des paroles,
elles seules,
arracher
les verrous".
Cette recherche de sobriété extrême, ce choix minutieux des mots donnent aux poèmes une intensité, une densité, que l'on ressent profondément. J'ai beaucoup aimé entrer, en poussant doucement la porte, dans cet univers pur et vibrant.
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J'ai découvert Pierre Dhainaut, le nordiste, par ses recueils plus récents, j'étais heureuse de trouver à la médiathèque une oeuvre beaucoup plus ancienne, datant de 1969, il a alors trente-quatre ans.
Alors qu'ensuite son écriture devient peu à peu épurée et dédiée surtout à la nature, " Le poème commencé" est lui, expansif, presque exubérant ( on y trouve, par exemple un poème en prose de six pages!), et la femme aimée est présente très souvent. Ce sont d'ailleurs les textes où elle apparait que j'ai davantage appréciés.
" le vent pur illuminé
cristal entre nos lèvres.
Tes paupières qui battent
voici la clé des sources."
Tout ne m'a pas plu au premier abord, mais l'univers poétique de Pierre Dhainaut se révèle progressivement, s'apprivoise, s'effeuille, et nous touche alors profondément.
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Recueil comprenant quatre chapitres principaux :
À L'ORIENT DE LA MUSIQUE
VENTS ET LUMIÈRES
DITS DE RECONNAISSANCE
PRÉLÈVEMENTS À LA SOURCE
Réflexions sur l'enfance, la poésie, les poèmes ;
Commencer à parler, apprendre à recevoir
une voix dans la sienne ;
Puis, plus tard, dans la chambre étroite,
le corps captif, ne pas se lamenter d’être las,
de se taire ;
Savoir qu'on ne pénétrera le langage qu'en
y entrant ;
Savoir que l'air est bleu, même à l'ombre ;
Savoir que le poème avertit que la porte de
l'existence est grande ouverte ;
Enfin quelques Réflexions majeures et
actuelles sur l'hospitalité.
" VENTS ET LUMIÈRES
Renouvellement des présages
De trop, ta montre, tu t'en sépares,
par effraction nul ne s'introduit en ces lieux,
les frontières s'effacent : qu'y avait-il de si urgent
à vaincre, que maintenant la nuit délivre
sans que tu lui résistes, en abondance ?
un amas de rumeurs inassouvies
dont tu ne pénétreras le langage
qu'en y entrant comme on plonge en la houle
en coïncidant avec son rythme,
le rythme, le viatique.
p.38
" VENTS ET LUMIÈRES
Portraits de l'air
Deux ans, trois ans, si audacieuse elle bondit
en dispersant des graines, les oiseaux s'effarouchent :
à leur retour, même à l'ombre, l'air est bleu
dans l'aura de ses rires. De loin, nous les entendons
quand sonne le glas dont chaque note se détache,
autant d'échardes, mais nous n'avons qu'un pas à faire,
sans défi, sans réserve, pour renouer les liens
avec l'enfant qui n'a pas à nous voir.
p.47
" DITS DE RECONNAISSANCE
Pourquoi l'oiseau chante avant l'aube,
tu le demandes, aucun poème ne répond.
Tu ne sais rien de lui, commence
par faire une place au poème.
Avares, tes mots, mais le poème
te prêtera la voix qui les déborde.
Pas plus qu'un enfant un poème
ne t'appartient, il te force à grandir.
Tu ne vois pas le jour, ce n'est pas la nuit,
la foi du poème est celle de l'aubier.
Il montrerait le visage
qu'il évoque, ce ne serait plus un poème.
p.55
" DITS DE RECONNAISSANCE
Remercie les poèmes, ils te comblent
en étant qu'une promesse.
Tu n'es que l'ombre des poèmes,
leur ombre clairvoyante.
Fidèle, tu le seras, fidèle à sa mémoire
si le poème est toujours devant toi.
Ta main frappe à la porte,
mais le prochain poème avertit d'un souffle
qu'elle est grande ouverte.
p.56
" PRÉLÈVEMENTS À LA SOURCE
Offrir l'hospitalité, n'avoir souci que du bien-être
de nos visiteurs, n'en escompter aucune récompense,
telle devrait être la moins contestable de nos conduites.
… La faculté de l'accueil nous est donnée
avec l'enfance, nous l'avons réduite en lui substituant
toutes sortes d'ambitions factices, égoïstes, d'autant
plus impérieuses. Elle ne se perd jamais tout à fait,
nous la retrouvons quand nous ne préméditons rien,
la venue d'un enfant, par exemple, ou la venue d'un
poème.
…
p.62
" Si le poème a une source, où est-elle ?
p.63
" Impondérable et fugitive, l'haleine, elle est notre
bien le plus précieux. Sous la main des peintres la
buée vibre, la fumée flotte : que peuvent les poètes
dont le langage n'a pas la fluidité des couleurs ?
p.66
" Pour soulever les corps, pour augmenter les
souffles, la musique ne réclame pas les grands orches-
tres. La poésie affectionne les mots rongés par les
habitudes, devenus atones, pour leur restituer la
fraîcheur et la vigueur comme s'ils surgissaient au
bord de la mer.
…
p.67
" Est-il indispensable de mentionner les dates entre
lesquelles les poèmes ont été composés ?
p.68
" La majuscule est inutile au début des poèmes,
inutile le point à la fin.
p.69
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« Il y eut un ciel » /…/ « continuer… » Entre l’ouverture et la fermeture de son recueil, le poète Pierre Dhainaut retrace « une épreuve limite » qui l’a mené de l’absolue nudité à la ré-appartenance à soi-même et au monde.
Le titre dit assez le cheminement de reconquête, porte après porte, modeste et phénoménal à la fois, depuis la première suite intitulée « À la merci du cœur » jusqu’à la quatrième « Quatre éléments plus un ».
Tout débute en hiver sur un lit d’hôpital où le poète se retrouve nu, abandonné, survivant emprisonné en lui-même avec « Rien à quoi / s’accrocher dans / la poitrine le temps / a le temps / de tomber. » Seuls restent le souffle ténu, les battements du cœur fragile, la douleur. La poésie elle-même a déserté les lieux « sous le masque à oxygène », elle souffre d’« absence d’air ». Elle ne sauve de rien, juste laisse-t-elle le poète retourner à l’origine de toute parole.
Après la vie reliée à un cathéter vient le temps du lent réapprentissage qui passe en premier lieu par la reconquête des sens : l’ouïe, la vue… Les couleurs peu à peu reviennent au bord de « la marche du seuil si bleue ».
Poèmes du souffle court, balbutié (quatre vers et peu de mots, cailloux posés pas à pas), la parole avec « l’embellie de mars » se redresse légèrement dans la deuxième suite « Verticale d’instants » (six vers au corps frêle qui essaient de tenir debout, le poème devant lui aussi « tenir bon »). Dès lors chaque détail de la vie minuscule devient vital : une pie qui sautille, un chat qui dort, un arbre, un lilas, un enfant qui joue, une épaule, il y a « tant de passages » vers l’unité retrouvée, vers cet « or qui coule » et revivifie les veines…
Les herbes,
les pierres,
les nuages,
un seul
monde
à dire,
en croissance,
en gloire.
Priorité aux vibrations, à la libre résonance, les mots font leur retour petit à petit « sans savoir », comme le lilas du printemps qui par contagion colore la couverture du recueil. De la lettre au mot, du mot à la phrase, le langage patiemment se reconquiert et avec lui le « goût de l’énigme ». Chaque mot est à retracer dans ses courbes premières « comme à l’école. Le poète doit tout ré-apprendre, tout re-cartographier pour se sentir à nouveau inclus dans un « nous » qui le relie au monde.
L’inconnu
commence
où vont les mouettes
à l’intérieur
des terres.
Dans cette troisième suite « Lexique réinventé » (avec retour aux 5 vers), les mots sont vécus comme des particules d’énergie vitale, des quantas, aurait dit Guillevic, qui libèrent les « verrous », ouvrent le sens vers un horizon qui s’agrandit « à perte de vue » jusqu’au ciel, jusqu’à la mer.
Le livre,
la gorge,
tout se dénoue,
la nuit se charge
du courant d’air.
Liens dénoués, souffle plus ample, place à la reconquête des quatre éléments : l’eau « à la proue de l’haleine », l’air qui « n’en aura jamais fini », le feu pour « le relais des paroles », la terre toujours « de connivence » et enfin ce « plus un » annoncé dans le titre : le poème qui conjugue à lui seul tous les sens, la poésie demeurant ce qu’elle est par essence : un souffle en suspens, conditionnelle comme tout arbre confié à l’avenir.
Nous publierions un poème
comme on plante un arbre
sur la berge d’un fleuve, nous aurions plusieurs vies
pour l’accomplir, toucher terre
dans l’élan, incarner, rayonner,
continuer…
« Le poème nous met au monde », écrivait Guillevic, puisse-t-il nous y remettre lorsque tout semble perdu. L’écriture de Pierre Dhainaut, de l’extrême point nu à la pleine transparence, rapporte avec délicatesse, justesse et précision une expérience fondatrice de renaissance, un passage où la poésie, goutte à goutte décantée, se donne aussi pure que la neige, aussi fragile qu’un rai de lumière, aussi forte qu’une attente.
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Je ne voulais pas clore ce Journal sans parler de Pierre Dhainaut. Le premier poète auquel j'aie envoyé un mot, j'avais 18 ans ou à peu près, qui m'ait répondu (plus tard Yves Bonnefoy me ferait l'amitié de quelques lettres en retour de mes premiers poèmes d'adulte), avec qui j'aie entretenu une correspondance, avant que nous nous rencontrions et nouions, j'ose l'affirmer, des liens d'amitié, liens que j'ai ensuite laissés se dénouer au fil des années d'une vie sentimentale tumultueuse, ce qui attrista Pierre Dhainaut et son épouse Jacqueline. Il est de bon augure pour ce Journal, cher Pierre, que j'achève ce petit cycle poétique dominical en votre compagnie.
Suite : https://blogs.mediapart.fr/metamorphe/blog/120223/aux-confins-journal-du-mois-du-corona-81
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