Enghien a tout vu. En un instant, il joue et gagne son auréole de grand capitaine. Sans s'embarrasser de considérations de prudence, il décide d'aller aider son aile gauche par le plus court chemin. Puisqu'il s'est déjà profondément enfoncé dans la droite espagnole, le plus court chemin passe derrière le centre de l'armée de Mello. Alors, reconnaissable au panache blanc de son chapeau et à ses cheveux flottants, M. le duc s'élance à travers les troupes bien rangées autour et en arrière des vieux régiments espagnols qui forment le noyau de cette armée. Comme des quilles, il abat successivement des régiments allemands, wallons, italiens. Il décortique d'un seul élan les régiments espagnols de leur gangue de protection. Quand il a terminé sa chevauchée, il a rejoint la cavalerie espagnole qui attaquait son aile gauche et qui, désormais prise dans un étau à deux branches, termine son offensive en déroute.
NDL : Enghien est le futur Condé ; cette bataille de Rocroi ( 1643 ) est essentielle pour la confiance des soldats français qui n'avaient jamais battu les tercios espagnols.
[Après l'arrestation de Condé], la Normandie s'est rendue sans difficultés aux troupes du maréchal de Plessis-Bellières. Anne Geneviève de Longueville [soeur de Condé] a dû quitter Dieppe sur une barque de pêcheurs secouée par la tempête. Elle a failli se noyer, a été rejetée au rivage, a trouvé le temps d'une confession devant un curé de campagne qui a rougi jusqu'au sommet du confessionnal, et a vécu là l'épisode culminant de sa carrière ; puis elle a erré quatre jours dans la campagne, déguisée en homme, poursuivie par les soldats du roi, embarquée de nouveau sur un vaisseau anglais, enfin débarquée à Rotterdam, hors d'atteinte des griffes de Mazarin. Peu soucieuse de repos, elle se précipite à Stenay, où Turenne l'accueille comme une déesse. Stenay où se concentrent peu à peu tous ceux qui ont pu échapper au cardinal et qui préparent la contre-attaque !
NDL : elle me plaît bien, Anne Geneviève ! C'est une femme de caractère.
Le 15 septembre 1651, Condé retrouve sa femme et ses derniers fidèles à Montrond ; il y retrouve surtout sa soeur Anne-Geneviève de Longueville qui, elle, n'éprouve aucune incertitude. Elle veut sa guerre !
Elle est désormais la seule à pouvoir influencer le prince. La discussion se termine quand Condé déclare, sans exprimer autre chose que la résignation :
"Vous me forcez à tirer l'épée (1) ! Eh bien soit ! Souvenez-vous que je serai le dernier à la remettre au fourreau."
(1) NDL : surtout contre les renards Mazarin et Gondi, jaloux, qui ont chauffé le peuple contre lui, menaçant sa vie,... mais aussi par enchaînement contre le roi, ce qu'il ne voulait absolument pas.
Même s'il connait plus ou moins les efforts de sa famille pour le libérer, Mr le Prince ne peut savoir le cousin Boutteville aussi proche et rien ne peut l'empêcher de bailler d'ennui dans son cachot. Quand il a su que sa femme Claire Clémence galopait à la tête d'une armée, il a déclaré à son chirurgien :
" Qui aurait cru que j'arroserais des oeillets pendant que ma femme ferait la guerre ?"
Demander la protection d'un homme (1) qu'on s'apprête à jeter en prison, c'est un raffinement dont seul un cardinal italien a pu apprécier la saveur.
(1) Mazarin demande la protection de Condé. ..."« Nul crime d’état, dit Voltaire, ne pouvait être imputé à Condé ; cependant on l’arrêta dans le Louvre en janvier 1650, lui, son frère de Conti, et son beau-frère de Longueville, sans aucune formalité, et uniquement parce que Mazarin le craignait".
Monsieur le duc (1) va avoir quinze ans. Bardé de connaissances comme un clerc, il sait déjà montrer du courage et de la décision. Le jour où les gens du village près de Montrond ont osé malmener un procureur fiscal et menacé de l'enfourcher, il a rassemblé quelques soldats du château et délivré le prisonnier.
(1) Duc d'Enghien, futur Grand Condé.
-- C'est sur nous qu'on tire !
La colonne de Navailles, qui est au roi, s'est arrêtée. Les canons de l'Arsenal se mêlent au concert de ceux de la Bastille, et s'en prennent à la cavalerie du roi. Quelques boulets sans respect viennent s'écraser non loin du roi lui-même.
Ecoeuré, Turenne contemple les derniers échelons de cette armée de Condé, qui s'escamotte comme un gobeur d'huîtres verrait se refermer sous son nez celle qu'il s'apprêtait à avaler.
Penaud, le roi monte dans le carosse qu'il destinait à Condé prisonnier, et va retrouver sa mère toujours en prières.
Au sommet des tours de la Bastille, la Grande Mademoiselle savoure cette saoûlerie de gloriole qu'elle vient de s'offrir. c'est elle qui a fait expédier cette volée de boulets vers son royal cousin et ses soldats, sauvant ainsi le héros qu'elle idolâtre et son armée.
La paix est signée en avril 1649. Tous les généraux sont amnistiés, même Turenne. Les princes n'ont rien gagné, mais ils n'ont rien perdu. Les Parisiens ont resserré leurs ceintures et perdu leurs écus.
Les grandes victimes sont ceux qui n'ont jamais réclamé ni combattu : les paysans autour de Paris ont été pillés, tués, torturés (1 ) pour une querelle qui ne les concernait pas ; ceux qui survivent sont ruinés.
Un seul homme émerge plus puissant qu'il fut jamais. C'est Condé.
(1) NDL : par les soldats non soldés qui ont fait le siège de Paris.
A Bléneau, le 6 avril 1652, le choc des deux meilleurs généraux de l'Europe est désormais imminent. Ceux qui l'attendent se soucient davantage de leur propre sort, qui dépendra du résultat de la confrontation, que du spectacle donné par ces deux bêtes de combat. Une certaine curiosité naît quand même de l'opposition de leurs talents. Qui va dominer l'autre ? Condé, l'instinctif génial qui savait vaincre avant d'avoir combattu, qui devine et exécute d'une même pensée le geste décisif avec une virtuosité de jongleur, ou bien Turenne, qui a dû tout apprendre depuis le maniement du mousquet, mais qui a tout retenu ?
Monseigneur de Corbeil posait avec précautions ses souliers brodés entre les flaques et les gravats. Venu de son palais, il abordait le chantier par la face sud, là où se dessinait la première ébauche du triforium bas, percé des premières fenêtres. La robe de l'édifice se tissait enfin ; sa trame apparaissait comme une toile d'araignée tendue entre les branche d'un arbre. Ce qu'on voyait d'abord, c'était des de pierre élégants, trop fins pour rassurer l'archevêque.