La Fête du Livre de Bron propose chaque année une journée de réflexion sur des enjeux majeurs de la littérature contemporaine. le vendredi 8 mars 2019, nous proposions un focus sur les liens entre littérature, nature sauvage, grands espaces, sciences humaines et environnement.
Lors de cette 33ème édition, nous avions la chance d'accueillir Pierre Schoentjes, professeur à l'Université de Gand, spécialiste du « nature writing » en langue française pour un grand entretien exceptionnel, animé par Thierry Guichard, à revivre ici en intégralité.
Dans Ecopoétique, Pierre Schoentjes étudie les spécificités du « nature writing » en langue française le terroir plus que la terre, le lieu plutôt que le paysage, l'esthétique plutôt que l'éthique en délimitant un corpus littéraire constitué d'écrivains comme Jean-Loup Trassard, Pierre Gascar, Charles-Ferdinand Ramuz ou Philippe Jaccottet. Mais il explore aussi les oeuvres d'écrivains très contemporains comme Emmanuelle Pagano, Belinda Cannone ou Marie-Hélène Lafon.
En partenariat avec l'Université Lyon 2, la Médiathèque Départementale du Rhône et Médiat Rhône-Alpes.
©Garage Productions.
Un grand merci à Stéphane Cayrol, Julien Prudent et David Mamousse.
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Les lichens supportent le froid, la raréfaction de l’oxygène (on les rencontre jusqu’à 6 000 mètres d’altitudes), la chaleur extrême, l’absence d’eau (ils revivent plusieurs mois après une dessiccation complète), mais meurent aujourd’hui dans le centre de Paris, de Londres, de New York, de Tokio et même de Venise où cependant des herbes, des arbres, sensibles, par contre, aux excès du climat, continuent tant bien que mal de pousser. En un mot, les lichens ne se montrent vulnérables qu’aux modifications anormales du milieu. Comment ne pas admirer la justesse, pour ne pas dire la sagesse, de cette réaction ? Comment ne pas applaudir à ce refus, ne pas y voir une leçon ?
Les lichens ont eu leur poète en la personne de Camillo Sbarbaro qui occupe une place très honorable dans l’histoire de la littérature italienne de la première moitié de ce siècle (…) Sbarbaro alliait le sentiment poétique à la connaissance scientifique et faisait des lichens le thème de ses rêveries les plus libres comme de ses traités de botanique les plus rigoureux
Mon Dieu!, mon Dieu, faites qu'on ne tue plus jamais les moutons.

Si nous sommes enclins à imaginer, à Venise, en particulier certains soirs de l’arrière-saison, la présence dans les rues et dans l’air des symboles pervertis qu’alentour tant d’œuvres d’art recelaient jusqu’ici en secret, si nous finissons par éprouver, dans cette ville, une oppression due au poids de l’histoire et du génie humain, si nous en venons à peupler de fantômes ces rues vides, à doubler de l’écho de la fable le moindre cri, le moindre appel ou le moindre bruit d’aile, si nous nous sentons, par moments, comme coupables de tout cet art, de toute cette culture qui n’a pas su donner un sens à la vie et qui s’achève sur le vide, si, au cours de nos promenades, nous errons comme poursuivis par les âmes inapaisées que nous avons fait naître dans nos tableaux, nos sculptures, nos poèmes, nos musiques, nous ne pouvons pas supporter que disparaisse à jamais la plus petite partie de ce fonds où s’enracinent à la fois notre orgueil et notre désespoir. Car nous n’avons pas d’autre au-delà que l’art. Ciel ou enfer, la distinction ici ne s’impose guère. Il importe peu que l’œuvre nous parle de notre salut ou de notre damnation. Ce que nous y cherchons, c’est seulement une ouverture.
C''était un de ces bourgs de plaine situés loin des grands axes de communication et dont les carrefours distribuent des noms de villages secrets, un bout de route blanche près de laquelle une scierie ronfle, dans la chaleur du jour." (incipit)
En ce temps, l'évolution des esprits passe obligatoirement par l'acte d'écrire. Il est devenu la première manifestation de liberté, la première affirmation concrète de l'indépendance de la pensée.
Ceux qu'effraie légitimement le nombre des accidents sur les routes et qui conseillent aux automobilistes de rouler moins vite devraient, sans pour autant renoncer à leurs sages mises en garde, ne pas oublier qu'ils prêchent une résignation dont l'homme est devenu incapable. Nous avons droit à la vitesse, et rien, sauf le respect de la vie du prochain, ne peut nous empêcher d'essayer par moments d'acquérir ce surplus d'existence qui, en fait, équivaut à une idéalisation - hélas! fugitive - de notre condition.

L'homme dit qu'il n'y a que quelques jours à peine que les habitants sont rentrés dans le village. Ils l'avaient déserté lorsque la peste s'était déclarée. Quelques jours à peine qu'on a descendu le drapeau rouge qui, pendant près de trois mois, avait signalé, au-dessus des toits blonds, la présence du mal.
A quelques centaines de mètres du village, on aperçoit les huttes faites de branchages où les habitants ont vécu. On ne les a pas démolies. Elles peuvent encore servir, un jour. Au-delà s'étend la plaine dans la dure lumière de l'hiver indien. Parfois, le vent soulève, au loin, la poussière des chemins.
Pendant près de trois mois, les habitants du village vivant en plein champ ont regardé la plaine. La mousson l'a obscurcie puis, de nouveau, le soleil de l'hiver l'a révélée jusqu'à ses horizons lointains où les montagnes du Népal bleuissent. Et il n'est rien venu de la plaine. On a dû attendre que s'éteigne le mal.
On lui avait livré le village entier, toutes les portes des maisons ouvertes. Les nuits de vent, quand on s'approchait, on les entendait grincer ou battre. Alors, on aurait pu croire, enfin, que quelqu'un était là. Car le pire c'était cet ennemi sans visage, le pire ç'avait été de livrer le village au vide, au désert, au silence où, parfois, pendant des semaines entières, pas une seule porte ne battait. (p. 128)
Ce bateau éclairé, à peu près vide et d'une blancheur de clinique, la nuit brûlante et nous sur le quai dans cette île perdue, ces filles inconnues, c'est cela l'aventure. Je la reconnais après tant de livres lus, tant de récits, d'images et j'y découvre le désert. Je plains ceux qui effacent les mers, franchissent les continents en tous sens, abolissent les distances, s'égarent par goût, poussent devant eux des portes sans nom, se battent dans la nuit, s'éveillent sans savoir où ils sont, repartent avec, au coin des lèvres et dans la pâleur usée de leurs yeux, le cynisme souriant de ceux qui voyagent sans fin.
Je n'aime pas l'aventure, les bateaux éclairés, l'eau noire, les filles sur le quai, je n'aime pas l'aventure qui est comme une autre insomnie dans la vie. Je cherche la lente et sommeillante vérité de l'homme. (p. 25)
"Les aliments nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même, déclare Robespierre. Tout ce qui est nécessaire pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n'y a que l'excédent qui soit une propriété individuelle."