Pierre Hadot : La simplicité comme exercice spirituel.
Pierre Hadot : La simplicité comme exercice spirituel.
"La vie comme elle va" du 3 janvier 2002. Francesca Piolot s'entretient avec Pierre Hadot, philosophe, spécialiste du stoïcisme ancien et du néoplatonisme, professeur honoraire au Collège de France, il est l'auteur notamment de "Exercices spirituels et philosophie antique", "La citadelle intérieure", "Qu'est-ce que la philosophie antique ?"
"Le monde et la raison, dit Merleau-Ponty, ne font pas problème? Disons si l'on veut qu'ils sont mystérieux, mais ce mystère les définit, il ne saurait être question de le dissiper pour quelque solution, ils sont en-deça des solutions. La vraie philosophie est de rapprendre à voir le monde."
Réapprendre à voir le monde en toute simplicité ? C'est à cet exercice spirituel que nous nous livrerons en compagnie de Pierre Hadot, philosophe, auteur notamment de "La philosophie comme manière de vivre".
La chronique du jeudi 3 janvier 2002: "la simplicité : la valeur d'une illusion"
Sur le thème de La Simplicité, une méditation philosophique en trois temps :
- Rien n'est simple
- C'était si simple
- Soyons simples !
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L'expérience stoïcienne consiste dans une prise de conscience aiguë de la situation tragique de l'homme conditionné par le destin. Apparemment, nous ne sommes libres de rien, car il ne dépend absolument pas de nous d'être beaux, forts, en bonne santé, riches, d'éprouver le plaisir ou d'échapper à la souffrance. [......]
Mais il y a une chose, une seule chose, qui dépend de nous et que rien ne peut nous arracher, c'est la volonté de faire le bien, la volonté d'agir conformément à la raison. [.....]
La volonté de faire le bien est la citadelle inexpugnable, que chacun peut édifier en lui-même. C'est là qu'il trouvera la liberté, l'indépendance, l'invulnérabilité, et valeur éminemment stoïcienne, la cohérence avec soi-même.
L'institution universitaire conduit à faire du professeur de philosophie un fonctionnaire dont le métier consiste, en grande partie, à former d'autre fonctionnaires ; il ne s'agit plus, comme dans l'Antiquité, de former au métier d'homme, mais de former au métier de clerc ou de professeur, c'est-à-dire de spécialiste, de théoricien, détenteur d'un certain savoir, plus ou moins ésotérique. Mais ce savoir ne met plus en jeu toute sa vie, comme le voulait la philosophie antique.
Et c'est précisément le rôle de la philosophie de révéler aux hommes l'utilité de l'inutile ou, si l'on veut, de leur apprendre à distinguer entre deux sens du mot utile.
La philosophie n'est pas une construction de système, mais la résolution une fois prise de regarder naïvement en soi et autour de soi.
Pour les Anciens, on est philosophe non pas en fonction de l'originalité ou de l'abondance du discours philosophique que l'on a inventé ou développé, mais en fonction de la manière dont on vit. Il s'agit avant tout de devenir meilleur. Et le discours n'est philosophique que s'il se transforme en mode de vie. (p. 266)
L'artiste ne fait qu'imiter l'art de la nature, et en un certain sens l'art humain n'est qu'un cas particulier de l'art fondamental et originel qui est celui de la nature. C'est pourquoi la beauté naturelle est supérieure à toute beauté artistique.
Les stoïciens ne disent donc pas seulement : je ne sais pas si mon action réussira ; mais ils disent aussi : ne sachant pas à l'avance le résultat de mon action et ce que me réserve le Destin, j'ai dû prendre telle décision selon la vraisemblance, selon une estimation rationnelle, et non avec la certitude absolue de bien choisir et de bien faire.
[...] la philosophie apparaît comme une thérapeutique des soucis, des angoisses et de la misère humaine, misère provoquée par les conventions et les contraintes sociales, pour les cyniques, par la recherche des faux plaisirs, pour les épicuriens, par la recherche du plaisir et de l'intérêt égoïste, selon les stoïciens, et par les fausses opinions, selon les sceptiques. Qu'elles revendiquent ou non l'héritage socratique, toutes les philosophies hellénistiques admettent avec Socrate que les hommes sont plongés dans la misère, l'angoisse et le mal, parce qu'ils sont dans l'ignorance : le mal n'est pas dans les choses, mais dans les jugements de valeur que les hommes portent sur les choses.
L'homme ordinaire se contente de penser de façon quelconque, d'agir au hasard, de subir en maugréant. L'homme de bien, pour sa part, s'efforcera, autant qu'il dépend de lui, d'agir avec justice au service des autres hommes, d'accepter avec sérénité les événements qui ne dépendent pas de lui et de penser avec rectitude et vérité.
L'ensemble des Pensées s'organise donc selon une structure - et, on peut le dire, un système - ternaire qui a été développé et, peut-être conçu par Epictète.
Ce système, cette structure ternaire, a une nécessité interne en ce sens qu'il ne peut y avoir ni plus ni moins que trois thèmes d'exercice du philosophe, puisqu'il ne peut y avoir ni plus ni moins que trois actes de l'âme et que les thèmes d'exercice que leur correspondent se rapportent aux trois formes de la réalité : le Destin, la communauté des êtres raisonnables, la faculté de jugement et d'assentiment de l'individu, trois formes qui, elles aussi, ne peuvent être ni plus ni moins nombreuses, et qui sont, respectivement, l'objet des trois parties du système que forme la philosophie : la physique, l'éthique et la logique.