Pierre Kyria

On croit souvent que l'amitié compense les excès et les carences de l'amour, qu'elle repose, répare, équilibre, offre un éclairage constant aux saisons changeantes de la vie dont elle dissipe les ombres, rectifie les erreurs de perspective, compense les manques. Outre qu'on la confond trop, par paresse ou frivolité, avec la camaraderie ou sa forme dévoyé,le copinage, c'est oublier qu'elle procède du sentiment avec des détours suspicieux, inquiets, et cette hypocrite lenteur prévient trop en sa faveur. On la pense spontanée quand elle n'est que fugacement oublieuse de sa nature, prodigue, alors qu'elle ne perd jamais de vue ses dons ; ses mouvements ouverts d'un instant sont repensés, refermés l'instant d'après, elle est moins avisée que timorée, moins sage que réticente, moins aveugle et plus économe qu'on ne croit dans ses dispositions à toucher le cœur, susciter l'estime, la confiance. Chez cette amoureuse inachevée, transie, délicate et fuyante, fiévreuse aussi par à-coups, se lovent, prêts à prendre un jour le dessus, ces deux composantes refoulées de la passion charnelle : la possession et la jalousie.