À la Comédie Française, une partie de la troupe n’éprouve aucune gêne à fréquenter la colonie nazie. Certains sociétaires adhèrent ouvertement au groupe Collaboration animé par Pierre Bertin, ancien compagnon de Madeleine Renaud, merveilleux comédien et ami de tous, passionné de culture et de musique allemandes, qu’ont rejoint d’autres sociétaires, des plus connus – Jean Debucourt ou Louis Seigner – au plus modeste – Antoine Balpêtré.
À la différence du cinéma où tout est à jamais fixé sur la pellicule, la grandeur du théâtre est d’être éphémère et recommencé à chaque instant, jamais identique, même quand le jeu est pensé et voulu ainsi, à l’image de la vie. Son ami Jouvet ne le compare-t-il pas au septième art en disant : « Au théâtre, on joue. Au cinéma, on a joué » ? Le trac s’insinuant différemment selon les soirs, les protagonistes claudéliens mesurent l’incertitude de leurs rôles à la peur qui les saisit, aux regards qu’ils échangent, aux doigts qu’ils croisent avant de s’élancer sur scène comme on se jette dans le vide.
Les haut gradés allemands qui occupaient le Lutetia se sont volatilisés en quelques jours d’été, laissant le grand édifice inoccupé. Contraste saisissant, ce sont des cohortes de rescapés qui leur succèdent, accueillis dans une grande émotion. Quelle ironie de l’histoire que de faire de ce palace, ancien épicentre de la présence nazie, le point de ralliement des survivants des camps de concentration d’Auschwitz, Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Majdanek, Dachau ou Ravensbrück !