Interview de Pierre Léauté dans le podcast Double Vie
— C’est pas bientôt fini ce boucan ? Y en a qui bossent demain ! fit par sa fenêtre le boucher colérique, un bonnet de nuit vissé sur le crâne.
— Désolés de vous protéger le cul des Ricains ! gueula en retour l’Auvergnat.
Un papy de quatre-vingts balais nous menaça du cinquième étage avec sa canne.
— Moi, mon cul, je vous le montre pas, ça ferait des jaloux ! Mais il vous dit merde, Monsieur ! On en a assez ! Un coup, c’est les Boches, après les Anglais, pis les Russes ! Avec vos conneries, on va bientôt se maraver contre les Zoulous d’Afrique que ça vous ferait encore plaisir !
— Ah mais, pas besoin d’aller si loin pour refiler des gnons ! J’ai pas l’habitude de castagner du croulant, mais faudrait voir à pas trop me gonfler, hein !
C’est comme ça que je pris le train pour la première fois de ma vie. Parce que la France comptait sur moi. Le problème qui me sauta aux yeux dans les Ardennes, par contre, c’est que je ne comptais pas tant pour elle.
Cet épisode peu glorieux fut appelé bien plus tard la querelle de la toise par les historiens. Qui aurait pu en prédire alors les fâcheuses conséquences ?
La querelle démarra sagement. Les classes moyennes et les ouvriers interdirent à leurs enfants de jouer au nain jaune. Puis, ils boycottèrent les cirques, là où l’on se gaussait des plus petits. De l’autre bord, ulcérés de se voir insulter sans cesse, les grands utilisèrent une arme dévastatrice qui fit bien des ravages dans nos rangs. Bien entendu, je veux parler du « Qui est là ? Qui me parle ? » Le premier à avoir usé de cette stratégie diabolique fut le comte de Palaiseau le 3 août 1920. Face à un quidam court sur pattes qui lui disputait un taxi, il tourna avec mépris la tête dans tous les sens et tout haut déclencha les hostilités :
— Qui est là ? Qui me parle ?
Le Sénat me proclama empereur des Français sous le nom de Napoléon IV. « Monsieur Augustin Petit est aussi corse que moi je suis cosaque » ricana Joachim, mais mal lui en prit ! Mes généalogistes avaient effectivement retrouvé la trace d’un grand-oncle d’Ajaccio qui, par alliance, avait épousé la cousine éloignée du tailleur de Napoléon Bonaparte. Comme je n’ai rien d’un tyran, je demandai au peuple de voter en ce sens.
— Où en sont les préparatifs ?
— Trois jours, c’est bien peu pour rassembler tous vos partisans.
— Alors, disons deux jours, Monsieur Gernot.

Décrets sur la famille, le travail, le logement et la condition des grands (extraits) Article 8-1 Comment reconnaître la qualité de grand ? Est grand celui ou celle qui avant le 25 juin 1927 mesure plus de 1,75 mètre. Article 8-2 Qui peut être accusé de complicité à l’égard des grands ? Est reconnu(e) complice le ménage dont l’un ou l’une mesure plus de 1,75 mètre. Article 8-2-1 Le divorce est autorisé dans les couples mixtes. Article 8-3 Est reconnu complice des grands et assurément coupable de méfaits envers la nation les parents et grands-parents ayant eu des enfants mesurant plus que la taille permise par le Parti. Les enfants nés après le 25 juin 1927 et susceptibles d’enfreindre la loi (berceau trop petit, tétines trop petites) peuvent dénoncer leurs ascendants jusqu’à l’âge de leur majorité légale de seize ans. Ces enfants tombent alors sous le coup de l’article 8-1. Article 8-4-1 Un grand, même brun, est coupable par nature. Article 8-4-2 Est reconnu grand tout citoyen blond, même s’il peut justifier d’au moins trois grands-parents petits. Article 8-4-2’ Si un enfant naît de l’union extraconjugale entre un châtain et une blonde ayant quatre grands-parents bruns, mais dont la mère brune s’est remariée avec un blond, allez hop au granlag.
Article 8-5 Toute teinture brune illégalement perpétrée entraînera une peine de prison minimale de cinq ans pour son auteur et dix ans pour le blond en cavale. Article 11-1 Pour le bien de la nation, certaines professions sont dorénavant interdites pour les grands : coiffeur, fonctionnaire, médecin, avocat, enseignant, tailleur… La liste exhaustive sera affichée dans chaque préfecture. Article 11-3 Tout citoyen doit être muni d’une pièce d’identité valide présentant sa véritable taille. Il ne peut s’opposer à ce qu’il soit mesuré sur la voie publique. Article 35-1 Les rayonnages des bibliothèques ne peuvent dépasser 1,55 mètre. Article 37-3 Les plafonds des maisons, les sièges de bus, les selles de vélos, les linteaux de portes sont soumis à des normes de taille. Des sanctions sévères seront prises pour les contrevenants.
Le propriétaire m’avait jeté à la rue comme un malpropre. Peu me chalait cependant, j’étais de la race supérieure des vrais Français. Celle des petits bruns.
Et malheur à qui osait émettre une opinion contraire par les temps qui courent, il était devenu de bon ton de dénigrer ce qui faisait autrefois la grandeur de l’Amérique. La Sainte-Trinité : croire en sa bonne étoile à force de travail, consommer à s’en cogner du pôle Nord et de ces conneries de changement climatique et surtout pouvoir se payer un M-16 dans le premier Walmart venu.
Les souvenirs sont des plaies cruelles que la mémoire s'amuse à creuser. Combien de fois me suis-je réprimandé !
il pensa aux paroles prophétiques prononcées la veille par le père Paillot... " C'est de Malataverne qu'ils ont peur." Robert quitta la maison de la Vintard et s'approcha depuis la route goudronnée tout près du ravin. Les feux de Sainte Luce rougeoyaient dans le Val. Robert pressa son bras meurtri. Demain, ils paieraient. Tous.