A quelque distance de là était un guellong. Il n'usait point de l'os de mouton brûlé jusqu'à l'apparition de fissures, comme font les lamas mongols ou les devins kirghizes. Il se recueillait pour prier. Puis, brusquement, bondissait en selle et s'élançait à travers la foule. A une vitesse inimaginable il gagnait la plaine, où de petits lacs salés à demi desséchés brillent comme un collier de soleils, et revenait de même en un instant. Alors les gens l'interrogeaient sur la perte d'un cheval, la réussite d'une affaire, les intentions d'un voisin. Lui, en état de transe, du haut de son cheval répondait d'une voix rauque, à mots obscurs, avec autant de conviction que s'il s'était agi de l'empire du monde.
La nuit de ce bal était une nuit de Ciscaucasie: haute, bleue, dont la robe gardait en ses plis le pollen brillant des étoiles.
"On peut tout faire avec l'or, tout désirer, tout avoir: des terres jusqu'à l'horizon, des maisons, des chevaux, de la vodka, des hommes — une conscience ça s'achète comme un corps. Mais aux femmes surtout il faut de l'or..."
Il ajouta après un silence :
"Que peux-tu leur donner pour être aimé, si tu n'as pas d'or? Des paroles? Un moment ça les fait rêver. Puis ça les fait rire. Ton sang? Ta douleur? C'est dégoûtant. Les femmes aiment pour l'or; elles vivent pour l'or. Ce qui les attire, c'est l'or, l'or!"
Les bêtes déchirent leur proie pour se repaître; les hommes, pour leur plaisir.