La vie n’est pas une affaire de record de durée ; ce qui compte, c’est d’en faire quelque chose le temps que ça dure, et pas seulement de la faire durer.
Les hommes ne commencent à vivre pleinement que lorsqu’ils ont le dos au mur.
Le bonheur n’est pas un feu d’artifice : c’est un feu de bois ; ce n’est pas seulement beau, c’est chaud et ça fait du bien.
Ce n’est pas le tabac, l’alcool ou la malbouffe : c’est la vie qui n’est pas bonne pour la santé. C’est à force de vivre qu’on meurt, et ceux qui font tout pour ne pas se brûler trop vite vont tout de même mourir eux aussi. Fumer, c’est célébrer le fait qu’il faut se brûler à vivre, sinon on s’éteint, tout s’éteint.
Nous sommes peu de chose, mais ce peu est tout ce que nous sommes ; nous ne serons jamais rien de plus, rien d’autre : de la matière qui respire ; nous passons comme un souffle, nous ne sommes que ce souffle. Vivre, c’est faire en sorte que la matière ne perde pas tout à fait son temps à être ce que nous sommes.
Le but d’un livre, d’une œuvre musicale, n’est pas d’arriver au plus vite au dernier mot, à la dernière note, et il n’y a rien au-delà de leur dernier mot, de leur dernière note. Vivre longtemps ne garantit pas une meilleure vie, pas plus que la grandeur d’un livre ou d’une composition ne tient à leur longueur.
La raison d’être d’un grain de sable et celle d’un humain, d’un arbre, d’un animal, d’une galaxie, est la même. Ce qui résonne dans les diverses croyances de l’humanité, c’est ce souvenir d’une connexion directe, absolue, avec la matière, où la distinction entre la poussière et la pensée n’a aucune importance, où il n’y a pas de différence entre le fait de penser et celui, comme la poussière, d’être emportée par le vent. Inspiration, respiration : c’est ce qui tient tout.
La mort de chacun de nous est la preuve que tout peut très bien continuer sans nous. La vie, c’est ce qui continue, ce qui dure au-delà de toute existence ; c’est ce qui n’est lié ni à Diane, ni à moi, ni à rien : ce qui perdure, ce qui continue malgré tout, malgré nous.
La musique ne saurait survivre à l’instrument, sauf dans le souvenir, ou sur un autre instrument. L’instrument de ma vie s’est brisé et la musique est devenue sourde. Le plaisir qu’on avait à jouer de la vie à deux, à improviser chaque journée… Il faut jouer chaque jour comme si c’était le seul morceau de sa vie, la seule pièce de son existence. J’ai perdu celle avec qui j’ai le mieux joué de la vie, avec qui j’ai joué les plus beaux airs. Diane est encore là, tout près de moi, mais comme si j’avais entre les mains un instrument dont il ne sort plus le moindre son quand je le touche : l’instrument est là, mais il n’y a plus de musique.
La vie a un sens quand les événements font des nœuds dans le fil des jours, dans ce qui conduit d’un bout à l’autre de l’existence, de la naissance à la mort. Il faut avoir bien vécu pour bien mourir. Ce n’est pas la perspective de la mort qui détermine la vie : seule importe la perspective de la vie. Il ne sert à rien de vivre en attendant la mort : elle va de toute façon arriver, et trop vite en plus ! — trop vite par définition. La mort dit une seule chose : on a trop peu de vie à vivre. Elle clame l’urgence de vivre, l’importance de vivre pleinement plutôt que de vivre longtemps.