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Citation de Cielvariable


Sur les forêts vibrantes de septembre et sur les landes recuites par trois mois de sécheresse et sur les plaies croûteuses des ruisseaux, les pluies revenues déferlaient brusquement, cohortes safres surgies des brumes en ululant.

Les gens qui vivent sous le ciel de ce pays de pierres soiffeuses disent qu'il faut deux saisons, pas mieux, pour franchir l'année : neuf mois d'hiver et trois mois d'enfer. L'enfer consumé s'éteignait.

Seul un regard de bête, ou de spectre, ne se serait pas enlisé à plus de vingt pas dans la brouillasse qui faisait de la terre et du ciel une même sagne grise fourragée par le vent.

Le loup ne bronchait pas, son regard d'ambre étréci scrutant sans siller la grisaille.

Immobile, de pierre, comme le granit usé du calvaire à quelques pas duquel il se tenait assis dans la boue ruisselante de la sente, taillé dans un semblable bloc, pareil au crucifié et, comme lui, adressant aux deux courants du temps un même signe de souvenance et d'avertissement, il fixait par quelque entrebâillement de lui seul remarqué dans les rideaux de pluie, l'approche de quelqu'un, de quelque chose, l'apparition, sans doute, de chairs et de sang ou de ce que les loups savent seuls voir et entendre, qui proclamerait par des cris ou du silence à sa mesure la venue annoncée de l'eivar.

C'était un loup de forte taille, qu'à première vue les mois secs d'enfer n'avaient pas trop méchamment damné. La boue gantait de crottes baveuses ses pattes antérieures, jusques aux coudes. Son pelage épais, gris sur les flancs, fauve et sombre de l'échine au râble, lui faisait comme une cotte d'écailles épaisses et lisses qui s'ajustaient à ses muscles raidis quand passait la bourrasque. La crinière drue qui lui pendait du garrot au poitrail en un collier de mèches filiformes découvrait, s'il tournait légèrement le cou vers la gauche, une estafilade sombre qui pouvait aussi bien avoir été ouverte par la griffe, le croc ou l'épine. Une égratignure, rien de grave, qui ne lui avait même pas fait tomber le poil et datait d'avant le retour des pluies.

Il regardait la brume écorchée par l'averse. Parfois clignait d'un œil si une goutte s'écrasait proche des noires pupilles fendues sur son âme de loup ou becquait un peu fort une partie sensible de son museau.

Assis là, sur le bord d'une trace depuis longtemps sans odeur, gardien et surveillant attentif des ombres camouflées dont le calvaire de granit rongé et déserté ne soupçonnait même plus la possible existence.

Ce n'était pas un loup solitaire, il n'en avait ni l'allure ni le peu de patience, à rester là comme sa propre dépouille pendue au-dessus de sa présence pétrifiée sous les coup en écharpe des ébrouements diluviens. Ce n'était pas un banni, rogue et abandonné. La marque de la solitude n'avait pas imprimé son regard, ni son attitude. C'était un loup de meute, sans aucun doute un des meneurs. Probablement le mâle du couple meneur.

Les autres, ceux dont il savait l'odeur depuis l'instant de leur venue au monde, étaient ailleurs. Les femelles, les mâles, les anciens d'avant lui, les jeunes de longtemps après, les siens, qui étaient la harde, et, dans la harde, la femelle qui d'entre toutes portait à la fois son odeur à elle et la sienne de mâle aussi, sa compagne de tant de jour et de nuits et de saisons, de froidures à fendre les pierres et de chaleurs à les faire suer. Du ventre de cette femelle, les petits qui avaient pris leur taille et leur force, et qui avaient marché au centre puis à la traîne, puis à l'écart de la harde, ceux qui étaient encore là et ceux qui étaient partis - mais dont l'odeur était restée dans les marques du vent, parfois revenue au bord d'une trace et d'un moment.

Les autres.
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