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Citation de Cielvariable


L’homme était grand. De son visage noyé dans l’ombre d’un stetson noir, on ne voyait qu’une bouche aux lèvres rouges et charnues, un menton volontaire où la poussière se mêlait à une barbe drue, couleur de charbon. Il était vêtu d’une chemise qui avait dû être noire avant que le soleil et la sueur ne la décolorent, et d’un pantalon de toile grise élimé aux cuisses et aux genoux. D’une main souple, il tenait les rênes de son cheval.

À première vue, l’homme ressemblait à un vagabond, un tramp. Ses bottes de cuir brun, calées dans les étriers, étaient recouvertes de poussière et les plis du cou-de-pied tranchaient sombrement. Son coude gauche reposait sur la crosse d’un colt dormant dans l’étui de sa ceinture d’armes ; sa main droite pendait, accusant par de petits soubresauts les inégalités de la piste et la marche du cheval.

Des nuages de poussière rouge naissaient régulièrement sous les sabots de l’animal pour s’enfler, grandir et mourir dans l’air chaud que ne brassait aucun souffle de vent…

Le soleil était rouge quand l’homme arriva en vue de Little Rock. Il avait gravi une colline semée d’orties et de mûriers jaunis et, à présent, du sommet de coteau, il voyait la ville étalée à ses pieds. Son ombre s’étirait longuement en direction du bourg, comme pressée d’y arriver.

L’homme soupira et ses épaules s’affaissèrent. Il avait encore passé toute la journée à cheval et sa chemise trempée de sueur fumait comme une rivière un matin d’automne. Arrêtant sa monture à côté d’un vieux canon qui défiait le ciel de sa gueule noire et inutile, l’homme mit pied à terre, lentement. Il n’accorda qu’un regard distrait au fût de bronze envahi de terre et de mauvaises herbes : il en avait vu tout au long de la piste.

Les vieux canons rouillés et tordus sont les monuments les plus suggestifs que les hommes puissent élever pour commémorer une guerre. Dans le tube martyrisé d’un canon, dans ses roues décerclées, brisées, il y a tout le fracas des batailles, les cris des hommes qui ne se relèvent plus : rien de tout ceci ne subsiste dans la menteuse chanson figée sur les lèvres de bronze d’un guerrier statufié.
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