Citations de Pierre Reverdy (456)
CARREFOUR
S’arrêter devant le soleil
Après la chute ou le réveil
Quitter la cuirasse du temps
Se reposer sur un nuage blanc
Et boire au cristal transparent
De l’air
De la lumière
Un rayon sur le bord du verre
Ma main déçue n’attrape rien
Enfin tout seul j’aurai vécu
Jusqu’au dernier matin
Sans qu’un mot m’indiquât quel fut le bon chemin
Il ne faut pas oublier que religieux n'est pas plus synonyme de saint que soldat ne l'est de héros.
PÂLE SAISON
C’est bien l’automne qui revient
Va-t-on chanter
Mais plus personne
que moi
n’y tient
Je serai le dernier
Mais elle n’est pas si triste
qu’on l’avait dit
cette pâle saison
Un peu plus de mélancolie
Pour vous donner raison
La fumée interroge
Sera-ce lui ou toi
qui en ferez l’éloge
avant les premiers froids
Et moi j’attends
La dernière lumière
qui monte dans la nuit
Mais la terre descend
Et tout n’est pas fini
Une aile la supporte
Pendant tout ce temps
Avec toi j’irai a la fin du compte
Refermer la porte
S’il fait trop de vent
Au bord du toit
Un nuage danse
Trois gouttes pendent à
la gouttière
trois étoiles
Des diamants
Et vos yeux brillants qui regardent
Le soleil derrière la vitre
Midi
( " Les ardoises du toit")
Dans l’activité créatrice, le souci obsédant de la postérité est sans doute une naïveté puérile. Le public de demain, en effet, je ne trouve aucune raison valable pour qu’il me soit plus cher que celui d’aujourd’hui.
Pourtant, le goût de l’immortalité, cette sublime illusion des grandes âmes, qui semble avoir à peu près complètement disparu du monde des arts, a toujours été le plus puissant ressort de la création artistique. Aujourd’hui, l’ambition de survivre, fût-ce qu’un jour ou deux, ne paraît même plus permise.
Le lecteur de plus tard n’est fort probablement rien d’autre, c’est entendu, qu’une illusion. Il n’existe pas. Il n’existera peut-être jamais. Son aspect se dérobe en tout cas aux efforts de notre imagination amoureuse de construction précis. Mais, si Stendhal se méprenait en prophétisant que seuls les lecteurs de 1940 le comprendraient, il ne se trompait, néanmoins, pas à son désavantage. Revenu pour un instant parmi nous, il ne trouverait certainement aucun point de contact avec le plus frénétique de ses admirateurs. En somme, il a écrit comme pour les habitants d’une autre planète. Libre à vous de ne pas préférer cet abîme, qui le sépare même de ceux qui se sont emparés avec tant d’ardeur, de ses dépouilles, à la promiscuité que recherchent les auteurs habiles à si vite établir un niveau étale entre leurs dons personnels et les exigences multiples d’une foule redoutable sitôt que sa promiscuité ne nous permet plus d’ignorer son odeur.
D’abord atteindre cet écart, cette immense marge entre le créateur et le lecteur, cet espace salubre et net entre le public et la sensibilité d’une supérieure vigueur mais exagérément douloureuse du poète – ce rempart, enfin, en quoi Baudelaire voyait le plus grand avantage de la gloire. Ce que l’on comprend mieux si l’on admet qu’il ne puisse jamais s’agir, et quelle que soit la forme d’expression que d’un authentique poète – quand l’outil ne sert plus de rien – quand la plume n’est plus outil, mais le prolongement des nerfs au service du cœur de et de l’esprit.
Il est trop évident que l’artiste n’a pas à donner, à son époque, ce qu’il lui emprunte. S’il est grand, il comprend que sa véritable mission consiste à transmettre au futur ce que lui aura permis de réaliser et ce que lui demande de perpétuer le présent.
(pp. 80-82)
Quand l'or du rêve éveille le dormeur
Quand la vie du départ coule au sursaut des veines
Quand le sens des regards a manqué tout le jour
Si le coeur est trop loin des mots qui se comprennent
Comment pour revenir prendre un nouveau détour
Parler
dans le froid blanc où s'arrêtent les ailes
(" Sources du vent")
Il faut prendre très tôt de bonnes habitudes, surtout celle de savoir changer souvent et facilement d'habitudes.
Extrait de En vrac
Une préface c'est comme un paillasson où l'on doit essuyer ses pieds avant d'entrer. Je ne m'adresse pas au lecteur qui, étant fort rare, a droit à tous les égards, mais au poète quand il appuie imprudemment le pied sur le premier barreau de cette échelle qui, dressée vers le ciel, ne mène nulle part.
(p. 179)
Tout le monde sait, tout le monde comprend qu’un poète ne pense pas de la même façon qu’un philosophe, un mathématicien, un savant. C’est-à-dire que, pour lui, les choses ont, dans le réel, une autre valeur et que sa sensibilité et son esprit réagissent, à leur contact, de façon tout à fait différente. Il y a autant de façons d’être au monde que de catégories de sensibilités et de tournures d’esprit.
La fonction poétique, 1950
Le poète est poussé à créer par le besoin constant et obsédant de sonder le mystère de son être intérieur, de connaître son pouvoir et sa force.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.
La ligne de notre vie est une tragique et splendide arabesque que nous traçons avec la pointe de notre âme sur la vitre du temps.
(" Le livre de mon bord")
Carrefour
S'arrêter devant le soleil
Après la chute ou le réveil
Quitter la cuirasse du temps
Se reposer sur un nuage blanc
Et boire au cristal transparent
De l'air
De la lumière
Un rayon sur le bord du verre
Ma main déçue n'attrape rien
Enfin tout seul j'aurai vécu
Jusqu'au dernier matin
Sans qu'un mot m'indiquât quel fut le bon chemin
(" Les ardoises du toit")
Ce soir je voudrais dépenser tout l'or de ma mémoire, déposer mes bagages trop lourds.
Il n'y a plus devant mes yeux que le ciel nu, les murs de la prison qui enserrait ma tête, les pavés de la rue.
Il faut remonter du plus bas de la mine, de la terre épaissie par l'humus du malheur, reprendre l'air dans les recoins les plus obscurs de la poitrine, pousser vers les hauteurs - où la glace étincelle de tous les feux croisés de l'incendie - où la neige ruisselle, le caractère dur, dans les tempêtes sans tendresse de l'égoïsme et les dérisions tranchantes de l'esprit.
Les hommes fatigués s'étirent
Au jour les lumières pâlissent
Et sur le trottoir mouillé glissent
Tous leurs désirs éparpillés
( extrait de " Projets" , in " Les ardoises du toit")
ALLEGRESSE
L'air sent la mer
L'hiver à une pareille altitude m'effraie
On ne sait où naissent les vents
Ni quelle direction ils prennent
La maison tangue comme un bateau
Quelle main nous balance
Au cri poussé au dehors je sortis
Pour voir
Une femme se noyait
Une femme inconnue
Je lui tendis la main
Je la sauvai
Après lui avoir dit mon nom
Qu'elle ne connaissait pas
Je la mis à sécher à l'endroit le plus chaud
Je la vis revenir à la vie et embellir
Puis comme la chaleur augmentait
Elle disparut
Evaporée
Je me mis à pousser des cris et à pleurer
Puis j'éclatai de rire
J'avais un moment recueilli la renommée
Dans mon intimité
J'ouvris la porte et me mis à courir
A travers champs à chanter à tue-tête
Quand je rentrai le calme s'était fait chez moi
Et le feu qui s'était éteint fut rallumé
Le bonheur des mots
Je n’attendais plus rien quand tout est revenu, la fraîcheur des réponses, les anges du cortège, les ombres du passé, les ponts de l’avenir, surtout la joie de voir se tendre la distance. J’aurais toujours voulu aller plus loin, plus haut et plus profond et me défaire du filet qui m’emprisonnait dans ses mailles. Mais quoi, au bout de tous mes mouvements, le temps me ramenait toujours devant la même porte. Sous les feuilles de la forêt, sous les gouttières de la ville, dans les mirages du désert ou dans la campagne immobile, toujours cette porte fermée – ce portrait d’homme au masque moulé sur la mort, l’impasse de toute entreprise. C’est alors que s’est élevé le chant magique dans les méandres des allées.
Les hommes parlent. Les hommes se sont mis à parler et le bonheur s’épanouit à l’aisselle de chaque feuille, au creux de chaque main pleine de dons et d’espérance folle. Si ces hommes parlent d’amour, sur la face du ciel on doit apercevoir des mouvements de traits qui ressemblent à un sourire.
Les chaînes sont tombées, tout est clair, tout est blanc – les nuits lourdes sont soulevées de souffles embaumés, balayées par d’immenses vagues de lumières. L’avenir est plus près, plus souple, plus tentant.
Et, sur le boulevard qui le lie au présent, un long, un lourd collier de cœurs ardents comme ces fruits de peur qui balisent la nuit à la cime des lampadaires.
(Poèmes illustrés par Georges Braque. Paris, Maeght éditeur, 1959)
L'éthique c'est l'esthétique du dedans.
SORTIE
Le
Vestiaire
Le
Portemanteau
La lumière
Au mur des têtes inclinées
Un rayon d'électricité
La voix qui chante
Un cœur qui s'est ouvert
Dans la salle éclatante
Un soir d'hiver
La foule que le feu déverse
Sur le trottoir et sous l'averse
Les diamants renvoyant les éclats
Dans la nuit le silence plane
Et c'est une voiture qui l'emporte
"La solitude est comme la mort
Un monde nouveau qui s'endort."
La pluie tombe
La vitre pleure
On reste seul
Les heures meurent
Le vent violent emporte tout
Les yeux se parlent
Sans se connaître
Et c'est quelqu'un qu'on n' aura vu
Qu'une seule fois dans sa vie
(" Main d'oeuvre")