Je viens de relire ce témoignage qui m'a été offert il y a près de vingt ans et qui relate l'analyse de Pierre Rey avec Jacques Lacan en 1969, pour une durée de dix années. Quand on m'a offert ce récit, je venais d'entreprendre une psychanalyse à Bruxelles, avec Monique C. A cette époque, j'étais étudiante au Conservatoire et ce témoignage, m'avait vivement intéressée, je pensais alors avoir compris les propos de l'auteur.
En début d'analyse beaucoup de questions surgissent comme la relation que l'on entretient avec le psychanalyste (le fameux « transfert ») et le temps que durera l'analyse, les changements qui s'opéreront en nous (le fantasme du changement). A ce moment-là, j'allais si mal que j'étais prête à m'embarquer pour une longue aventure et j'attendais beaucoup de ce travail sur moi qui me semblait être ma seule planche de salut. Plusieurs de mes amis avaient essayé d'autres types d'analyses dites « courtes », des thérapies de groupes mais aussi les massages, la relaxation, l'hypnose, la méditation ; j'avais moi-même tenté la sophrologie et le reiki … sans réels résultats constructifs et surtout, durables. Maintenant que je pratique la méditation et le yoga régulièrement, je sais que seule la psychanalyse m'a aidée en profondeur. Les autres pratiques m'alignent et me placent face à mon vide, à mon « degré zéro » de l'être humain. Je sais que pour les gens qui n'ont jamais travaillé sur eux, ce genre d'expérience de méditation ou même de yoga, dans le cadre d'une pratique régulière et sérieuse, peut être déstabilisante, voire, très angoissante (stage long chez Vipassana, par exemple). Je ne parle bien sûr que de ma propre expérience et de celle d'amis proches qui ont décidé d'entreprendre la grande aventure de l'analyse pour tenter de « connaître » les causes des troubles qui nous envahissent, seule façon de les faire disparaître de notre inconscient en retrouvant ce qui a été refoulé.
Après un long cheminement personnel, je suis maintenant en mesure de percevoir ce qu'énonce Pierre Rey dans son récit car ses propos sont devenus limpides ; ils ne sont plus des signifiants mais forment du signifié (pour reprendre le vocabulaire propre à l'analyse et à la linguistique) car au fil du temps, l'analyse apprend à aiguiser les sens, à nommer les choses, à créer du lien entre les différents éléments qui constituent notre vie : personnes, activités, pensées, peurs…
L'analyse demande de se donner entièrement et ne peut s'effectuer en dilettante. Certains pensent qu'il ne s'agit que d'une histoire intellectuelle et que le corps n'entre pas en jeu, que c'est trop long, etc. Ils ont tort et en général, soit ces gens n'ont jamais commencé de psychanalyse, soit ils préfèrent rester dans leurs certitudes et adoptent un discours de résistance. Mais à moment donné, il n'y a pas de remèdes miracles, de solutions « marrantes », d'arrangement à la carte : il faut se confronter à soi-même et c'est difficile, long, passionnant et éreintant. D'autres encore pensent qu'il est nécessaire de lire, de comprendre, de décortiquer la théorie psychanalytique. Ces personnes sont dans un désir de maîtrise là où il faut accepter de se perdre, comme dans la pratique artistique, comme en yoga ou en méditation : il faut lâcher-prise (bien sûr, toutes ces lectures sont passionnantes mais je pense qu'il ne faut pas s'y accrocher comme un nageur sur une planche ou sur le bord de la piscine. Les lectures risquent de freiner les associations d'idées, de décourager, d'effrayer ou de mettre sur une voie qui ne sera pas celle de l'analysé). Et pour se perdre, il faut avoir confiance en son guide, c'est pour cela qu'il faut choisir les bonnes personnes pour entreprendre un tel travail d'introspection.
L'objectif de l'analyse est de découvrir qui nous sommes. Il n'y a donc pas de métamorphose du sujet à proprement parler à la fin de l'analyse mais plutôt, une renaissance (liée à un détricotage) qui confronte chacun à son désir et permet de découvrir, comme le dit Pierre Rey sa « liberté intérieure ». Dans son témoignage, Pierre Rey, en tant qu'écrivain, expose la crainte des artistes de voir leur désir de création s'amoindrir au fil d'une analyse. En réalité, si on est vraiment créateur, le désir de création se manifestera toujours mais il se peut qu'il bifurque dans un autre champ qu'aura défrichée « la trouée du langage » et qui permettra aussi de sortir du cadre, d'être hors du sillon et sera « dé-lire ». L'auteur explique que l'artiste est celui qui trace sa propre voie, la culture se reportant métaphoriquement au travail de la terre.
Finalement, l'auteur se demande si la psychanalyse n'est pas une création en soit puisqu'il s'agit pour chacun de relire sa vie, d'assembler des idées, des images, des sensations, de créer des liens qui vous mènent vers la reconstitution de votre puzzle personnel où parfois, après un éclatement douloureux, chaque parcelle prend sens, reprend une place plus adaptée, celle qui est la vôtre et que vous avez choisie, celle qui contrecarre une éducation reçue, les injonctions sociales, familiales, vos certitudes, vos idolâtries, vos passions.
Comme le mentionne aussi Pierre Rey, une analyse n'est pas sans risque car le désir débusqué « peut provoquer des ravages » quand l'analysé se rend compte que la vie qu'il a construite ne correspond en rien à ses aspirations profondes. Si elle en a la force, cette personne pourra tout quitter, profession, famille, en payant son salut par « la malédiction des siens, l'opprobre général et une dégringolade dans l'échelle sociale. Tel est le prix possible ». Pour avoir vécu cette expérience, je citerai un passage qui illustre parfaitement ces dires : « Mes valeurs vacillaient. Ceux que j'avais côtoyés ne m'intéressaient plus et d'autres très peu, ceux que je désirais connaître, ne s'intéressaient pas à moi. Plus assez idiot pour savourer le bonheur d'être dupe, pas assez avancé pour lui trouver un produit de remplacement, je boitais de la tête et du coeur [...] ».
Mais bien sûr, l'analyse est aussi un formidable moyen de connaissances, de progression, de remise en question de soi et du monde qui nous entoure. A ceux qui disent qu'il s'agit d'une entreprise égoïste, je dirais, moi qui suis devenue enseignante, que de mon marasme personnel a surgi l'envie d'enseigner, le théâtre d'abord puis, après une longue reprise d'études supérieures, celle d'enseigner à des plus jeunes, le français et la littérature et aussi la communication, à des jeunes gens en réinsertion sociale. J'essaie au mieux et en fonction des moyens offerts par l'institution de partager ma culture et mon expérience, d'échanger avec les élèves et d'être le plus possible à leur écoute. Pierre Rey, quant à lui, est passé d'un dandysme stérile, n'ayant que des projets futiles à une personnalité altruiste, ayant développé ses talents d'écrivain. Et surtout, il a fait la paix avec lui-même ! :
« A de rares concessions près faites à l'amitié, au devoir ou à la nécessité, il est assez exceptionnel que je ne sois pas bien là où je suis. Pour une raison très simple : si c'était le cas, je serais déjà ailleurs. Même chose pour toute action en cours – comment pourrais-je m'en plaindre puisque j'ai choisi de m'y consacrer – ou pour ceux avec qui je me trouve – n'eussé-je envie d'être avec eux, je respirerais avec quelqu'un d'autre. [ …] Entre choisi et subi, toute la différence est là. On aura compris que l'analyste, de ce qui est évitable, conduit à en subir le moins possible.
Restent les chagrins, les deuils, les accidents de parcours.
Reste la pluie. Reste la mort et reste la parole. « Rien ne perturbe si on en parle », a dit Françoise Dolto. Au point que le seul regret que je formule est de l'ordre du langage : à ceux que j'aimais, alors qu'à chaque instant la mort nous emporte, ne pas leur avoir assez dit que je les aimais. »
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