la journée du mercredi 29
mai 68 où le général
De Gaulle quitte Paris pour Baden Baden
à l'occasion de la parution du livre de Anne et
Pierre Rouanet "les 3 derniers chagrins du général
De Gaulle", débat sur la fameuse journée du 29
mai 68 où
De Gaulle quitte l'Elysée en grand secret pendant que la
crisesociale et étudiante est à son paroxysme
Un petit hasard et plusieurs dévouements avaient permis à M. Bru d’échapper à la rafle des déportations, le lendemain du débarquement en Normandie.
Il se tenait à la règle qu’il s’était donnée dès son adolescence, à l’extrême fin du XIXe siècle : ce à quoi il touche devra marcher pour le bien public. Ainsi de son métier : puisqu’il lui a fallu passer le concours des Postes : les P.T.T. seront le beau service du public. Il a même la foi qu’un jour viendra bientôt où le service public marchera si bien par lui-même qu’il ne sera plus besoin du carcan d’un État politique. Le voilà, comme vont dire les ministres, un anarcho-syndicaliste.
Papa avait écrit :
« 27 août 1942,
« Notre train monte vers le Nord. Nous allons franchir ce soir la ligne de démarcation. Maman et Papa vous embrassent très fort.
« En nous attendant, avancez dans la vie. La meilleure conduite est la plus simple. Il suffit de garder en tête le repère que voici :
Quand un être humain termine sa vie, il ne reste de lui que ce qu’il a donné. Et cela comptera double, s’il lui a été permis de le faire dans la joie.
« Le mal ne survit pas. La damnation de celui qui agit par goût de la puissance est que toute trace de ses pas est effacée aussitôt après son passage, même dans le cœur de ses propres enfants.
« Créez et offrez le plus de choses que vous pourrez, le plus gracieusement possible.
« Honorez le Tout-Puissant et respectez sa Loi.
« Qu’Il me donne la force de vous bénir tous les trois.
« Nathan Sperber. »
Durant le temps que les nazis ont eu la puissance, sept cent mille Allemands sont passés par leurs camps et par leurs prisons. Demande à tes Français combien ils en ont eu, eux qui font tant d’histoires.
- La musique était allemande.
À la réflexion, ils savaient qu’elle allait le dire. Ils n’ajoutent rien. […]
Vous ne pouvez pas comprendre, vous ne pouvez pas savoir, je ne peux pas comprendre, je ne peux pas en faire le tour, je ne peux pas pleurer,
Je ne peux pas les appeler sur ce clavier, je ne peux pas les bercer d’une berceuse,
Ni les héler d’un hymne,
Ni les toucher
Ni toucher leur terre ou leur cendre, mes doigts ne seront jamais interprètes.
La beauté, Maman, Papa,
La grande colonne invisible qui devait monter de la musique, au détour d’un silence, pour être le pivot de l’harmonie du monde,
Maman, Papa,
Cortèges par millions de même pas fantômes,
Maman, Papa, rien que du vide derrière la porte scellée de la Bâtisse-Rouge, aucun harmonique ne prolonge les coups du gras de mon poing, et j’ai le corps vidé d’appel,
Maman,
Papa,
Il n’y a pas d’au-delà, il n’y a plus de mémoire, et leur nom se calcine,
Notre train remonte vers le Nord,
Ils ont sans doute eu froid.
Aucun ne parlait des siens, ni de la manière dont il les cherchait, et cependant les autres sentaient à quoi s’en tenir.
Un silence leur était commun, une impossibilité de dire, dont personne hors de leur communauté ne pouvait seulement se douter.
Ils vivaient dans la capitale très naturellement.
Ils se faisaient ingénieurs ou banquiers. Mais ils se taisaient.
Ils se faisaient pianistes ou marchands de moquette. Mais ils se taisaient.
Amputés de l’envie, du besoin d’expliquer.
Non, c’est plus dur encore : ils resteraient à jamais châtrés de la possibilité de partager.
Marianne elle-même pourrait-elle faire passer à travers la musique ce nœud de l’avenir qui se bloquait en elle ?
Elle s’en taisait.
Pourquoi Pétain avait-il fait ça ? Donnés, même pas vendus, même pas échangés. Livrés, livrés tout court par Pétain, vingt mille à la pelle sur un quai de gare, dans la zone de France qui se racontait qu’elle était libre.
Nous franchirons ce soir la ligne de démarcation.
Au-delà ?
La terre d’Allemagne s’en tait encore et pour toujours.
La fille qui a été volontaire aux Milles ne connaissait pas M. et Mme Sperber.
Marianne : - C’étaient des wagons comment ?
- Il en fallait beaucoup, beaucoup. Vingt mille personnes en deux jours… Ils amenaient les vieux wagons qu’ils avaient sous la main… Vous savez, les Français avaient peur que les Allemands ne les leur retournent pas, ils avaient l’habitude.
- Les plus vieux, alors, avec des banquettes en bois ? Pour un si long voyage…
- Oui, les plus vieux. Ce n’étaient pas des wagons à banquettes. Ce n’étaient pas des wagons pour gens humains.
Lorsqu’ils sont revenus, neuf jours plus tard, il n’y avait plus de scouts, il n’y avait plus de Colonie. Le pâtis était vide.
Vous autres, gens de Moissac, vous leur avez répondu :
- La Colonie ? Ah tiens, ils étaient juifs, les scouts ?
Vous aviez bien remarqué, depuis neuf jours, que le pâtis se vidait, gens de Moissac, et vous n’avez pas posé de questions.
La générosité, la noblesse, la Résistance, c’était d’abord de ne pas poser de questions à son prochain, de ne pas poser de conditions.
Et il ne posait pas de questions en décembre 1943, l’expéditeur de légumes qui chargeait sur son camion à gazogène – dans l’interstice, derrière les cageots – trois petits scouts ou une fillette, qu’il fallait emmener vers une gare un peu moins repérée que celle-ci.
Écoutilles fermées, le paquebot fendait jour après jour un océan de guérison, de suppositoires, de drains et de fièvre. Les robes de chambre bleues ou bordeaux étaient d'uniformes, au même titre que les tabliers roses des femmes de chambre ou les toques blanches des infirmières. Malades et employés se croisaient avec le même air de gravité liturgique : tous étaient des desservants. Le paquebot moulinait la maladie, aveuglément, toujours au large, renfermé sur la vie du bord, sans qu'on songeât à observer les côtes.
Pièce trop plate où les personnages défilent fastidieusement sans nouer d'intrigue. La porte de la chambre comme le passe-vues d'un projecteur de diapositives : quelqu'un apparaît, puis quelqu'un d'autre. Apporte chacun son sujet, son image du monde. Chacun dans une lumière différente du corridor, comme sur des photos différemment posées : lumière trop crue de l'après-midi, pénombre sous-exposée du crépuscule. Vues successives, hachées, sans enchaînements, le destin remet toujours à plus tard de classer ses diapositives. Entre deux vues, le noir et le coma d'abord, plus tard le gris de la méditation. Un être sans vie intérieure n'y aurait pas survécu. Le docteur Castell-Mauroux note sur ses tablettes : chercher tout de suite chez les malades une activité mentale.
Chacun prend le relais de son étape.
Il vient un moment dans la vie où l'on est prisonnier de son destin.