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Citation de fklevesque


Le soir, ma journée d'hôpital finie, j'allais souvent sur l'appontement attendre le retour de la flottille. Il y avait là une petite cahute de marchand de soupe –quelques planches et de vieilles toiles de tentes japonaises. J'aimais y flâner, grignoter des Cà Long Tông et boire une bière avec mon ami Cao Giao, un confrère vietnamien, au milieu des marins et des coolies accroupis sur leurs tabourets. Un peu de fraîcheur montait du fleuve faussement immobile. le soleil couchant allongeait des ombres immenses sur la plaine engourdie ; il n'y avait pas le flamboiement d'or et de pourpre qu'on peut voir en mer, mais une lente et calme asphyxie ; un adieu sans couleur, sans passion, sans regret. La brume montait, grise comme la poussière. Nous interrogions les aboiements des chiens, le vol des grands oiseaux noirs planant haut sans jamais donner un coup d'aile. Alors du fond de quelque nulle part éclatait le son du cor. Les marins, les coolies écoutaient en silence. La fille du marchand de soupe relevait une des toiles de tente et regardait le fleuve. Elle donnait des leçons de vietnamien à Willsdorff et je crois qu'elle l'aimait. le vieux chant des chasseurs d'Europe, mélancolique et noble, semblait emplir la vacuité de cette plaine, de ce ciel, de cette poussière ; résonner contre le rempart même de la nuit. Des lumières apparaissaient, l'une derrière l'autre ; les petites embarcations débouchaient du dernier coude et venaient accoster. Willsdorff était assis dans son fauteuil de roi, devant lui, debout sur le toit, Bocheau sonnait, sonnait à fendre l'âme. Parfois le chant était plus triste que d'habitude et je savais alors qu'il y avait des blessés à débarquer qu'on emmènerait à l'hôpital. Un soir, je n'étais pas sur l'appontement, un soir il y eut un coup de feu, un seul. Une riposte tardive et plus rien, seulement le battement assourdi des moteurs. Quand on m'apporta Bocheau, il était déjà mort.
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