Avec Pascal Ory, Albert Dichy, Antoine Caro & Virginie Seghers
Lecture par Frédéric Almaviva, Emmanuel Dechartre & Paule d'Héria
Éditeur des poètes, Pierre Seghers (1906-1987) est le fondateur de la Maison de la Poésie, dont il fut le premier directeur, de 1983 à sa mort en 1987. Il créa en 1944 la célèbre collection « Poètes d'aujourd'hui » qui rendit la poésie accessible au plus grand nombre. Résistant de la première heure, il eut un rôle actif dans le combat que menèrent poètes et gens de plumes contre l'occupant, avec sa célèbre revue Poètes casqués (P.C.) puis Poésie (40, 41, 42, 43). A l'occasion de la réédition de la Résistance et ses poètes par les éditions Seghers, une soirée-lecture est organisée en présence de Pascal Ory, historien, membre de l'Académie Française et auteur de la préface et nous accueillerons également Albert Dichy, directeur littéraire de L'IMEC qui détient un riche fonds d'archives sur les poètes de la Résistance, Antoine Caro, Directeur des éditions Seghers et Virginie Seghers, fille de l'éditeur.
Une adaptation pour la scène de la Résistance et ses poètes sera proposée par Frédéric Almaviva, en lecture.
« Contre l'occupant, l'avilissement, la mort, la poésie n'est ni refuge, ni résignations, ni sauvegarde : elle crie. »
Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes.
À lire Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes, éd. Seghers, 2022.
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Lucien Becker
Quelque part....
Quelque part dans une maison calme
Le soleil passe à travers les volets
et la poussière se croyant seule se met à danser
sans autre bruit que celui que fait un insecte.
Il y a bien au loin le cri d'un enfant
ou celui d'un chien oppressé de solitude.
Il y a bien, dans l'herbre, le pas d'une source
où la mer vient, en se cachant, prendre pied.
Il n'y a plus soudain dans le jour immense
qu'on bourdon désorienté qui se cogne aux carreaux
qu'un oiseau brûlé de soleil
qui retombe comme une feuille au milieu des blés.
Et la chambre plus profonde que le monde
se tient dans l'ombre auprès de la porte
avec un cœur qui a cessé de battre
parce qu'il n'y a plus de soleil dans les volets.
Le diable vend à la criée
La part la moins bonne des hommes
Ce sont les riches qui l'achètent
LA FEMME
Mais maintenant vient une femme,
Et lors voici qu’on va aimer,
Mais maintenant vient une femme
Et lors voici qu’on va pleurer,
Et puis qu’on va tout lui donner
De sa maison et de son âme,
Et puis qu’on va tout lui donner
Et lors après qu’on va pleurer
Car à présent vient une femme
Avec ses lèvres pour aimer,
Car à présent vient une femme
Avec sa chair tout en beauté,
Et des robes pour la montrer
Sur des balcons, sur des terrasses,
Et des robes pour la montrer
A ceux qui vont, à ceux qui passent,
Car maintenant vient une femme
Suivant sa vie pour des baisers,
Car maintenant vient une femme
Pour s’y complaire et s’en aller.
Max Elskamp
Dans la prison du sage un or se multiplie
qui ressemble aux reflets du soleil sur une eau
fuyant au long du temps. Un or qui se disperse
en rayons, en regards et en complicité
silencieuse. Les bruits lointains qui retentissent
n'arrivent plus ici. Dans la tour du Savoir
un feu fera du Rien le déambulatoire
qui va de porche en porche et reconduit au Rien.
Mais qu'importe. Un feu éclaire la durée,
Il illumine le passage, il fait une vie de plain-chant
dans le pays des pas-perdus. Et une lampe
suffit à la rançon, mais nul n'est détenu.

Dis-moi, ma vie, t'aurais-je traversée en songe comme un nuage
survolé de haut, toujours trop pressé pour te voir
Ou bien toi-même aurais-tu dérivé comme ces îles imaginaires
Ces Orénoques arrachées avec leurs arbres pleins d'oiseaux ?
Nous sommes-nous jamais rencontrés ? Dis-moi, ma vie
t'ai-je rêvée de temps en temps, t'ai-je tenue dans mes mains d'homme
à travers les saisons qui nous regardaient passer, toi et moi
T'ai-je blessée, éparpillée, ma propre poussière impalpable
Image au creux d'un miroir, inatteignable, s'effaçant ?
Où en serons-nous, toi et moi dans nos rencontres de mémoires
Sous nos griffures dérisoires qui nous ont mangé notre temps
Sous nos paroles chuchotées au creux d'une coupe qu'un rien renverse
Où tout se boit, où tout se voit, notre univers fut entrevu.
Était-ce une erreur monumentale ? Nous avions pourtant de beaux coffres
où brillaient nos noms. Ils furent remplis d'à peu près
D'insaisissable poursuivi, de feux lointains dans des villages
D'éventaires sur des presqu'îles... N'oubliant rien, oubliant tout...
Toi
Dans l'étoile filante et l'appel des nuits bleues
Dans les doigts de vin doux et les doigts orageux
Dans l'ombre où je te cherche et les jours où tu fuis
Dans le gémir du vent et les pans d'aujourd'hui
qui tombent , dans le glas et les torches qui brûlent
Dans le balancier d'or immobile aux pendules
Toi
( " Le temps des merveilles")
FANTAISIE
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit : —
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit.
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... — et dont je me souviens !
(Gérard de Nerval - XIXème siècle)
Vos chiens et vos troupeaux en moi sont rassemblés
Et j'essaie de chanter le plus beau chant du monde.
Une hirondelle vole au bleu de votre ciel
Verdit le pré dans le creux du vallon. La colline
Est rousse , comme vos lièvres et vos genêts
VII
Je vis, je meurs; je me brûle et me noie.
J'ai chaud extrême en endurant froidure:
La vie m'est trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie:
Tout à coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure:
Mon bien s'en va, et à jamais il dure:
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène:
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Louise Labé
Dire, sans désigner. S'en tenir au paraphe. Entendre en soi l'existence, le temps et leurs frémissements. A la limite du silence, effleurer et transmettre, comme sans le vouloir, l'inaudible des gens et des choses, les sèves, les fleurs, l'au-delà de soi ; user de la vie quotidienne et du langage élémentaire pour donner leur chance aux échos. A l'opposé de la rhétorique, du discours, de l'éloquence et des guirlandes, devenir un cristal aux cent mille fonctions, capter et proposer à chacun, comme en s'esquivant, une certaine intelligence entre l'exprimé et le non-dit. saisir l'instant et, comme par magie, rétablir l'équilibre intuitif entre l'homme et les choses, une communication, une communion fondamentales. Devenir, enfin, cet hôte de passage qui n'est que nuances et partage des instants vécus, l'hôte d'une âme qui de l'un à l'autre transmigre, tel, peut-être, le haikaï.