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Citations de Pierre Senges (31)


Pont Neuf, façon de parler. On a fini de le construire en 1607 : vous n’étiez pas nés, moi non plus. Mon arrière-arrière-grand-père non plus, ça vous donne une idée de l’ancienneté.

On devrait l’appeler le pont Vieux, ce serait plus logique. Seulement, imaginez qu’à cette époque, ce très vieux pont est encore tout nouveau. Il sent le neuf. Il
est moderne. Il est presque d’avant-garde.
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HERBE AU PAUVRE HOMME
Cependant, quelles que soient mes ambitions, mes rêves de sédition ou d'apocalypse sans cesse reportés au lendemain, je ne fais rien - et je reste seul : je suis le chef d'une troupe sans troupe. Peut-on croire à des révoltes menées dans la solitude? - pas seulement en solitaire mais pire, en esseulé? peut-on croire à des foules d'un seul homme, des longues marches sans rien ni personne, un meneur abandonné de tous ? Un cocktail Molotov, entre les mains d'une bande, est un flambeau apache, une arme rustique mais menaçante - dans les mains du solitaire, un cocktail Molotov n'est qu'une bougie d'anniversaire (le sien: la féte que tout le monde néglige) ou une lampe à huile mal fichue, vite épuisée, au mieux une crèpe flambée qui se donne en spectacle. On n'a jamais vu de foules soulevées ni représentées par des solitaires dans mon genre, célibataire toutes les nuits que Dieu fait (Il donne et Il reprend), célibataire que les chats finissent par quitter l'un après l'autre comme les chèvres de Seguin - (j'ai même renoncé à l'achat d'un poisson rouge de peur qu'il ne devienne, à mon contact, neurasthénique ou de peur d'avoir à lui envier son bocal, son caillou, sa fausse algue et la paix qui règne dans un litre et demi d'eau).
Seul, tout de même, je me suis cru par moments capable de descendre dans la rue, me poster au carrefour afin de provoquer, sans bouger, des embouteillages- ou capable de me pencher à la fenêtre, rouler un journal, m'en faire un porte-voix, fomenter une révolte de cailloux et d'injures.
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Depuis cette première visite en compagnie de son grand-père, il est
devenu un habitué. Dès qu’il le peut, il fausse compagnie à toute sa
famille pour aller au théâtre de la rue Vieille-du-Temple. Le jour, il
assiste aux répétitions, et le soir, caché dans la coulisse, il profite du
spectacle.

Un soir, alors qu’on joue une farce, Jean-Baptiste fait la connaissance
du plus flamboyant personnage de la comédie à l’italienne :
Scaramouche.
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Ici, pas d’acrobates, pas de jongleurs, pas de marchands d’élixirs. On ne se trouve pas en plein air parmi la foule, mais dans le calme d’un vrai théâtre, avec une scène, des coulisses, des rideaux et des lustres.

Les plus grands acteurs se réunissent là pour répéter des oeuvres du répertoire. Ils se retrouvent chaque soir pour les jouer en public. Des comédies, bien sûr, souvent des farces – parfois aussi, des tragédies.
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— Mon petit bonhomme, tu ne serais pas en train de glisser tes doigts
dans les poches des passants pour y voler des pièces de monnaie ?
— Non, monsieur. D’ailleurs, des pièces, j’en ai déjà.
— Tant mieux. Dis-moi, alors : et si tu échangeais une de tes pièces
contre un flacon d’élixir ?
— Pour quoi faire ?
— Mon élixir te guérira de la varicelle.
— Mais je n’ai pas la varicelle.
— Eh bien, il te guérira de la rougeole.
— Je n’ai pas la rougeole.
— Il guérit aussi de la fièvre jaune, la fièvre bleue, la fièvre mauve.
— Je n’ai aucune de ces fièvres.
— Décidément, je n’ai pas de chance. Mon élixir donne aussi la
jeunesse éternelle.
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[Bette vulgaire]
J'ignore tout de la botanique, je ne distingue pas un hêtre d'un tremble, ou un pissenlit d'un papyrus - j'ai longtemps cru que des orfèvres, maniant de minuscules marteaux frappant de minuscules enclumes, étaient chargés de transformer, d'un geste bref, un petit pois en pois cassé.
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Les pires travaux ont leur savoir-faire, la compétence au fin fond d’une cuisine de boui-boui est aussi un piège, c’est à elle qu’on demande des raisons d’être fier – même balancer d’un geste de golfeur un sac d’ordures au camion benne suppose de régler ses appuis, l’équilibre, l’élasticité, la détente et la force : au swing du champion de golf on ajoute pour le plaisir la précision du joueur de basket.
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[absinthe]
En lisant par l’autre bout l’Apocalypse de Jean, je n’ai pas eu de peine, ni beaucoup de mérite, à constater que l’Apocalypse définitif, considéré comme fin dernière, brusque échéance, se fait précéder de signes, eux-mêmes précédés d’avertissements, au point qu’une série de présages retarde sans cesse l’heure de l’ainsi soit-il –mais les signes sont les préliminaires de ce qu’il n’advient jamais, ou se contentent d’être l’aboyeur d’un bal d’aboyeurs : l’Apocalypse lui-même est un effet d’annonce, l’augure d’autres événements, se suffit dans ces menaces, et jusqu’à son terme la vision de Jean n’est que prélude aux préludes, sceaux s’ouvrant sur d’autres sceaux et trompettes annonçant les trompettes.
(p.33-34)
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S'il existait vraiment, ce monde nouveau, s'il se comptait en hectares et en tonnes, plus malicieusement en carats pour faire le détail de ses mines de diamants, ou en milles marins puisqu'il est censé dévorer comme un crabe un hémisphère entier, du nord au sud et de l'est à l'ouest - si tel était le cas, alors il y a bien longtemps que des aventureux auraient du y poser le pied, des contrebandiers auraient du y trouver un refuge faute d'un sujet de découverte.
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Il ramasse les poubelles (l’aube toujours, il se vante de nettoyer la scène avant le début des choses sérieuses) ; il vend des machines à coudre, c’est un pèlerinage nécessaire pour faire de soi un self made man, l’homme aguerri, à qui personne ne pourrait plus reprocher son confort – la machine à pédalier de porte-à-porte est l’abnégation, le sacerdoce, l’humilité comme prélude à l’orgueil, l’épreuve après quoi s’enrichir est permis, comme se pâmer au paradis après avoir porté des sabots sans chaussettes (le cilice) ; il soulève de nombreux cartons, déménage des pianos, court après des rats, étale de hautes affiches sur des panneaux à l’aide d’une brosse à perche trempée dans la colle, évite les poissonneries comme la peste mais accepte de vider les volailles, après quoi la tentation est grande à la tombée de la nuit de devenir chauffeur de taxi, son volant, son compas, sa corne de brume, le devoir de connaître aussi bien que le fond de son âme les rues se croisant à angle droit : triompher des avenues après avoir vaincu le courant de Weddell et le courant de Ross.
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Les convenances en plus des règles de la grammaire distillées goutte à goutte par des initiés à ceux qui ne le sont pas ou le sont à moitié, les codes de la vie urbaine, les éléments de la phonétique (distinguer un accent d’un autre, et donc le nord du sud), les lois de la navigation, les codes de procédure, tous les codes possibles, celui du droit du commerce, celui de l’application des peines, celui des cirques ambulants, des pharmaciens, des exploitations agricoles et des villes frontalières – et dans la catégorie de la courtoisie, les préceptes amoureux, l’autre grammaire de la sexualité, y compris les parades nuptiales, tout ce qu’il faut savoir alors de la danse et du chant, de l’habit, de la lumière, de la prédation et de l’indifférence mesurée, et encore ces menus détails qu’il s’agirait de connaître avant de s’y frotter au risque de les manquer, de les manquer toujours (aussi pour éviter d’être inévitablement celui-qui-passe-à-côté, et de le rester jusqu’à la fin de ses jours, vierge comme un œuf de ce savoir, sans trouver les mots, sans oser les réclamer, parce qu’on ne mesure pas même notre droit à réclamer).
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Achab ne dira pas le contraire : pendant deux ou trois minutes, le temps d’une chanson, il a été fixé par la baleine, et pendant ces trois minutes (il veut bien appeler ça portion d’éternité), il a entamé auprès d’elle une vie de couple amphibie, éphémère, ébauchant un avenir commun sous six pieds, sous six mille pieds d’eau : elle, continentale, impérieuse, éblouissante même par grands fonds, étrangère à toute forme de susceptibilité, capable au contraire de tout avaler, le navire et ses passagers, la taille d’un estomac disant tout de la capacité d’un être à amortir les coups durs de l’existence. (C’est du moins l’impression du capitaine tout au long de ces trois minutes : pendant ce temps, il se bouche les oreilles et croit rendre son âme goutte après goutte.) Il connaît la sardine, un peu l’anchois, au vinaigre, et certaines variétés de morue en beignet, en brandade, mais la baleine, la baleine blanche, Moby Dick en personne, seulement par ouï-dire, et toujours de loin ; à la toute fin de sa vie de marin, le temps de la harponner (si on en croit les témoins), de se laisser harponner par elle, d’entamer le rodéo le plus rude mais le plus clownesque de l’histoire de l’Amérique océane, le temps de se noyer, il a dû s’infliger une leçon de cétologie accélérée : mœurs, anatomie, forme, tonus musculaire, tout, à commencer par cette peau semblable à rien, comparable à rien, dans quoi il a cru voir, incrustés là depuis si longtemps, des maravédis de l’époque des Rois catholiques. La baleine en retour, quand elle saisit son capitaine, elle le regarde de près, elle le compare à ce qu’elle croyait connaître des hommes : pendant ces trois minutes, elle s’offre elle aussi une leçon d’anthropologie : l’anatomie, les apparences, les intentions, l’énergie du désespoir, le grotesque supporté par la poussée d’Archimède, la virilité combinée avec les impuissances, la coriacité quand même, la boucle du ceinturon, et la tendresse – le ris de veau du fond de son âme.
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Acharnement et clapotis – le naufrage selon les rescapés
Moby Dick, vous connaissez ? la baleine blanche, les clapotis, le monstre apparu, éclaboussant chaque fois qu’il se cache – d’ailleurs, toute cette histoire de chasse terminée par un drame, ça vous rappelle quelque chose ? les personnages, les figurants, les accessoires, les clous forgés et les clous découpés. Et le décor ? l’inévitable décor d’océan se donnant comme panorama et comme infini contenant : mille millions (un petit peu plus) de kilomètres cubes d’eau salée mêlée de chair humaine et de poissons en proportions inégales, et là-dedans des harengs frais, des requins-marteaux, des baleines à nez de bouteille et des marsouins hourra, des baleines à tête d’enclume, des poissons-clowns, des poissons-chats, des hippocampes comparés quelque part à des allumeurs de réverbères, des bélugas, des huîtres perlières, d’autres qui ne le sont pas, ne le seront jamais, et se sont fait une raison, des baudroies, des encornets, les restes de la croisade de 1212, les théières de vermeil destinées au roi Charles d’Angleterre coulées en 1633 entre Burntisland et Leith – théières suivies dans l’ordre (à travers un fond trouble) de pianos droits, de lingots d’or ou plus sûrement de pioches de chercheurs d’or bredouilles, de pantoufles et chemises de nuit, extraits de naissance, avis de décès, jeux d’échecs, grille-pain, portes tambours, brosses à reluire, jetons de téléphone, bibles traduites en cent vingt langues, Grand Albert et Petit Albert, livres de bonnes manières, banjos, trompettes, harmonicas, fausses couronnes du roi Richard III, casquettes de marin, fraises élisabéthaines, pages brûlées de Nicolas Gogol, buste de Tibère, cafetières italiennes et cafetières américaines, un Catalogue systématique des mammifères marins, des partitions de Jerome Kern, un livret d’Oscar Hammerstein, un gramophone, un Betta splendens (un parmi des milliers), un clystère, le pendentif de Rita Flowers, le diadème du Toboso, une trousse de toilette ayant appartenu à Josef von Sternberg, une autre à Erich von Stroheim, l’épave complète du Chancewell, les images perdues de A Woman of the Sea, les espadons manqués par Hemingway, les habits démodés du signor Da Ponte, l’épave du bateau d’Abissai Hyden, tous les ingrédients du cocktail Manhattan hélas trop éloignés les uns des autres, des téléviseurs, des machines à laver, un petit traité sur l’immortalité qui n’a pas dû convaincre grand monde, la pique d’un violoncelle et x couronnes de fleurs en hommage aux marins noyés.
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Cervantès reconnaît Quichotte, Quichotte ne reconnaît pas Cervantès, on ne saura jamais s’il a cru voir un démon ou une bête fauve à la place du vieux prosateur manchot, seul le vieux prosateur aurait pu nous le dire ; Cervantès a peut-être encore le temps de pardonner à Don Quichotte, personne n’est mieux placé que lui pour comprendre comment la folie quichottienne conduit au crime par des accès de justice et d’amour fou ; le temps aussi de comprendre l’ironie de la situation, après l’avoir comprise en rire, y voir un accomplissement grandiose et trivial, la superposition parfaite du sublime et du pitoyable, les noces de la fille de ferme avec la reine du Toboso – mais il n’a pas le temps de répondre à toutes les questions, et comme il manque d’oxygène (ce qu’il traduit par être rappelé à Dieu), il perd ses esprits, il meurt sans pouvoir affirmer devant lui-même seul greffier de son testament si oui ou non le destin lui a permis d’écrire les deux volumes de L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche avant d’être tué par Don Quichotte, et si l’assassin gâche son avenir par mégarde, d’un coup d’épée donné dans l’enthousiasme.
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On ne revient pas si facilement du mutisme quand il est comme celui-là mutisme de survie et de Grande Lassitude, de méfiance à soi-même, de mésestime à l’égard d’un passé supposément glorieux (mon œil), et un mutisme de détachement, mais crispé sur les souvenirs comme un boulanger sur le manche de sa pelle dans une ville assiégée (à la longue, un mutisme sûr de son bon droit : une serrure rouillée – et puis une habitude).
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La rancune comme œuvre d’art ne s’apprend pas en récitant Shakespeare, mais le répertoire shakespearien au complet récité à voix haute est une école efficace, plusieurs fragments de la rancune immense s’y retrouvent, presque tous ; les rassembler pour en faire un tout considérable d’un seul tenant est le travail d’une demi-vie d’acteur.
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Il ne suffit pas de se méfier du monde, mais de la méfiance qui s’y trouve : en quantité, ça équivaut ni plus ni moins aux esprits vitaux de Paracelse.
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Les navires sont aussi des véhicules : on y dort, on y vit, et pendant ce temps on avale ses milles nautiques, le réveil a lieu toujours loin de là où l’on s’est endormi ; les véhicules secouent leurs passagers, tombent en panne, reprennent la route, combinent distance et temps, renferment dans des habitacles, protègent plus ou moins de la pluie, contiennent des tonnes de ceci ou de cela, poivre et porcelaine, la contingence est une manne, ils s’en gavent, et ils se montrent capricieux : pour toutes ces raisons, ils sont des véhicules.
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Il est un être humain, frime et vocation s’entremêlent, comme hasard et fatalité, et en tant qu’être humain plusieurs fois vainqueur, vaincu, gratifié et mutilé, il sait comment l’accident vient parfois des passions profondes.
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Quand l’homme s’est entièrement débarrassé de son destin, volontairement ou accidentellement, la liberté née de son insouciance et de sa quasi-défaite fait de lui le seigneur qu’il avait voulu devenir précisément au sommet de sa destinée – dans son giron, même, comme on dit son fauteuil.
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