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Pour un nouveau débat en ligne, Pierre-Yves Gomez et Thomas Coutrot se penchent sur la question de l'utilité du travail aujourd'hui, accompagnés par Paul Sugy.
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Dans les années 1970, les théoriciens de l’École de Chicago étaient marginaux et assez largement méprisés du fait de l'indigence de leur conception de la vie en société. Ils prônaient un retour à une anthropologie élémentaire : l’être humain considéré comme un individu rationnel et maximisateur; prémisses débouchant sur une science politique basique : la société peut se lire comme le produit des comportements et des ajustements individuels. Les efforts intellectuels des sciences humaines et sociales pour comprendre les institutions et leurs rôles, les mouvements sociaux ou les phénomènes communautaires étaient écartés au profit d’un retour critique à un libéralisme individualiste idéal de stricte obédience : d’où le terme néolibéralisme.
L’accent mis sur la liberté absolue de l’individu a d’abord trouvé une oreille attentive chez les intellectuels critiques des années post-68, en rupture avec les grandes technocraties du Plan et les idéologies de masse. Le néolibéralisme, dans sa radicalité même, proposait un discours alternatif, corrosif et stimulant. Michel Foucault n’y fut pas insensible et ses épigones influents dans les années 1980-1990 ont été ambigus sur le sujet. Une large part de la postmodernité est une reformulation enrichie des hypothèses néolibérales individualistes les plus basiques. De ce côté, la résistance intellectuelle a donc été plutôt molle.
Je prédis donc, sans grand risque de me tromper, la fin prochaine du cycle de la digitalisation à mesure que la promesse des gains liée notamment au Big Data s'avéreront inférieures aux attentes et que la digitalisation ne produira pas autant de richesses qu'elle en a consommé.
L’extension du domaine de la spéculation n’est pas une pathologie d’un capitalisme (accumulatif) vertueux soudain dévoyé par des gens avides et des excès. La spéculation va au-delà de simples emballements cupides. C’est une nouvelle manière de « rationaliser » la création de valeur économique. L’économie reste, certes, fondée sur la concentration de capital dans l’économie, notamment dans de très grandes entreprises. Mais la nouvelle gestion des financements a opéré une séparation décisive entre l’accumulation par les uns et l’utilisation par les autres. Les acteurs qui accumulent sagement et préalablement le capital ne sont pas ceux qui les investissent « rationnellement » dans des entreprises. C’est une technocratie spécifique qui assure la gestion des flux et des choix qui sont spéculatifs. La « rationalité » consiste à créer les conditions de ruptures et de miser sur l’explosion de valeur qu’elles produiront. D’où le mouvement brownien, les innovations incessantes, le changement comme art de gouverner et la course au résultat.
Le capitalisme spéculatif a modifié la manière dont notre société définit la « performance » et se régule : chaotique, dynamique, non linéaire, non planifiée mais supposée apporter une prospérité sans fin à mesure que le financement permet l’invention de l’Avenir. Chacun, petit ou gros spéculateur, y prend sa part de travail. Tous rêvent de s’enrichir mais à des échelles et dans des proportions fort différentes. Et c’est donc un nouveau capitalisme qui s’est mis en place, il y a près de cinquante ans.
Il n'est pas acquis que la destruction massive des ressources nécessaires au rythme de l'intense innovation qui est la nôtre, produise plus de richesses qu'elle en déduit.
Tant que le récit néolibéral, son système de croyances (ce que j'ai appelé dans mes travaux cette convention) n'est pas remis en cause, il continuera de légitimer les pratiques des puissants. Or il est critiqué, certes (et depuis 40 ans !), mais il ne peut être remis en cause que par un autre récit, un autre système de croyances qui permettrait de décrire avec autant de cohérence l'enchaînement des choses économiques que l'a fait le néolibéralisme. Si vous préférez, ce qui nous manque pour tirer complètement les leçons de la situation actuelle, c'est une doctrine sociale alternative au néolibéralisme.