À Venise, relativement aux autres contrées d'Italie, la période de transition entre l'Art médiéval et celui de la Renaissance, par sa longue durée ou pour mieux dire par le nombre des œuvres qui la déterminent et conséquemment par l'action des divers et nombreux artistes dont quelques-uns figurent encore, même la réforme achevée, a une telle importance qu' elle mérite une étude à part et ne saurait se contenter assurément d'un ou deux chapitres en tête d'un livre intitulé < La Renaissance ». C'est pourquoi j'ai voulu consacrer exclusivement ce volume à l' examen des œuvres architectoniques et des sculptures qui appartiennent et se rattachent à notre période de transition.
Relativement à l'esprit ou goût de l'ambient ce monument représente, il est vrai, pour l'époque quelque chose d' exotique parmi nous ; mais étant donné sa valeur et la possibilité, ceci ne doit pas tout à fait surprendre quiconque sait à quel degré était alors parvenue sur d' autres points de l' Italie la manifestation du sentiment de la réforme au moyen des arts du dessin. Et sinon par l'architecture, du moins par la sculpture, même à notre porte, à Padoue, grâce à Donatello et à ses élèves.
Toutefois à la vigoureuse impulsion donnée à l'Art vénitien vers la fin du XIVe siècle grâce à nos grands sculpteurs dont les impressions et les œuvres font songer aux artistes les plus distingués de la Toscane, ne succéda pas, comme dans cette terre éminemment féconde en grands architectes et sculpteurs, un progrès esthétique correspondant.
Au contraire, à quelques exceptions près, la sculpture dut subir pendant une longue période les influences stationnaires provenant du manque d'individualité et de l'atavisme d'écoles, revêtant ainsi souvent des caractères qui font suffisamment distinguer des autres travaux contemporains les productions de notre Art.
Le Doge de Venise n'apparaît pas par conséquent dans l'Histoire de la Renaissance comme les princes et souverains des autres États d' Italie qui purent réunir autour d' eux ces magnifiques Cours, où comme à autant de rendez-vous affluaient les esprit les plus vigoureux et les plus distingués. Grâce à ces Mécènes, prodigues de leurs richesses et quelquefois aussi de celles de leurs sujets, pour encourager magnifiquement le progrès des sciences, l'humanisme et l'Art purent inaugurer ou accentuer fortement la réforme du goût dont ils devinrent les arbitres.
En 1400, la façade sud du Palais Ducal n' avait pas encore la grandiose fenêtre centrale avec balcon, qui en anime si artistement l'ensemble, brisant et dominant l'uniforme parallélisme horizontal des longues rangées d'arcades de ses balcons par la hardiesse de ses lignes et de son couronnement, d'une part, de l'autre enrichissant et allégeant tout à la fois l'aspect de la muraille supérieure et rattachant si harmonieusement la gravité de celle-ci à la légèreté des parties constituant les ordres inférieurs.