Le gâteau de Varsovie : Rachel Darmon se livre dans un ouvrage dune grande tendresse où son revisités son enfance, sa famille ashkénaze et son arrivée dans le monde séfarade.
En attendant, tonton Prosper ne prospérait plus. J'étais à son enterrement, à Pantin. Les adjectifs attributs et épithètes étaient au grand complet : Blanche, Clément, Désiré, Belle... Avec leurs enfants et petits-enfants, substantifs atypiques qui m'ouvraient l'appétit ; Myrtille, Olive, Mirabelle, Clémentine, Romarin...
Si j'avais pu choisir quelques pouvoirs, j'aurais aimé voyager dans le temps. Faire des petits allers-retours. Aller assassiner Hitler. Assister, au palais de Versailles, à une comédie-ballet de et avec Molière. Je serais restée voir danser le Roi-Soleil. J'aurais sauvé la vie à Yitzhak Rabin, nettoyé la cheminée d'Émile Zola. J'aurais volé l'écharpe fatale d'Isadora Duncan. Empêché la Première Guerre mondiale (plus besoin de tuer Adolf, du coup). J'aurais dansé le fox-trot avec ma grand-mère. Libéré les esclaves africains. J'aurais eu du pain sur la planche. Sans négliger les voyages dans le futur, histoire de faire connaissance avec mes arrière-petits-enfants, de voir si l'humanité devenait végétalienne et de faire un tour dans l'espace à bord d'une soucoupe volante.
Mes parents, Aimé et Fortunée Atlan, sont doux. Ils ont la forme de deux boulettes tendres, le regard plein de bonté, le sourire de la joie de vivre. Deux bisounours grassouillets. Amoureux.
"Je suis Aimée et Fortunée avec mon mari" déclame ma mère - Je suis Fortuné et Aimé avec ma femme", réplique mon père. Bonemine et Abraracourcix en version pied-noir, sans la colère ni les cris. Monsieur et madame pomme de terre. Au miel et au jasmin. Parfois collants.
- Et Dom, il dit quoi de ta découverte du féminisme ?
- Un peu comme toi. Il dit que tous les trois ans, j'ai une révélation. Le sionisme, le socialisme, le végétarisme, le pessimisme, le cyclisme, le féminisme... C'est une des choses qu'il aime en moi, ma curiosité et mon enthousiasme combatif... Tant que je ne tombe pas dans l'alcoolisme et l'extrémisme, il supporte.
« Vous me dégoûtez tous avec vos minables trahisons et histoires de cul. » (p. 65)
Les avantages de l'enterrement sont l'horaire convenable de la rencontre (jamais avant 11 heures du matin), l'exemption de cadeau ou de chèque, la promenade en plein air, l'absence de "dressing code", l'immense joie de retrouver des personnes dont on avait oublié l'existence, le bonheur d'être vivant. L'ennui, c'est la personne qu'on enterre. Elle est morte. C'est irréversible. C'est d'une violence absolue.
-Il est arrivé quelque chose?
- Papa et moi allons bien. C'est à propos de Tonton Prosper Il n'est pas en forme [...]
Mes cousins et moi avons longtemps cru que le prénom des adultes devait être un adjectif: Aimé, Désiré, Clément, Fortunée, Blanche, Prosper... J'avais trouvé un surnom secret à chacun: tonton Prosper devenait tonton Pauvre, tata Blanche était tata Noire, tonton Désiré tonton Damné, tonton Clément tonton Cruel, Fortunée Infortunée. La seule exception était mon père: personne n'osait appeler Aimé "Mal-Aimé". Il devint "Tonton Adoré. [...]
- Qu'est-ce qu'il a? Il est malade? C'est grave?
- Ben tu sais, heu... Il ne va pas bien. Comment te dire...
La voix de mon père grondait plus que jamais [...]
- Il est malade, il est très malade, très très malade...
Mon père lui arracha le combiné des mains et hurla:
-Il lui est arrivé quelque chose de très grave, d'incurable, de fatidique: il est mort! Il n'est plus malade, il n'est plus en forme, il EST MORT!
J'entendis résonner l'écho maternel: "ça va, elle a compris. Pas la peine de répéter 20 fois la même chose."
Si j'avais pu choisir quelques pouvoirs, j'aurais aimé voyager dans le temps. Faire des petits allers-retours. Aller assassiner Hitler. Assister, au palais de Versailles, à une comédie-ballet de et avec Molière. Je serais restée voir danser le Roi-Soleil. J'aurais sauvé la vie à Yitzhak Rabin, nettoyé la cheminée d'Émile Zola. J'aurais volé l'écharpe fatale d'Isadora Duncan. Empêché la Première Guerre mondiale (plus besoin de tuer Adolf, du coup). J'aurais dansé le fox-trot avec ma grand-mère. Libéré les esclaves africains. J'aurais eu du pain sur la planche. Sans négliger les voyages dans le futur, histoire de faire connaissance avec mes arrière-petits-enfants, de voir si l'humanité devenait végétalienne et de faire un tour dans l'espace à bord d'une soucoupe volante.
« J’ai l’impression d’ouvrir les yeux et de découvrir les coulisses des couples. » (p. 43)
« À quarante ans, je vais devoir repenser ce que veut dire être femme ? » (p. 59)