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Critiques de Ram V (121)
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Toutes les morts de Laila Starr

C'est un très bel album pour toutes les couleurs qu'il offre aux yeux des lecteurs et pour la mise en page soignée, par exemple lors de la transition entre les chapitres.



Mais, pour le scénario, c'est quand même du déjà vu, sous des formes différentes, et le contexte de l'Inde contemporaine me paraît tout de même un peu trop éloigné des réalités de ce pays.



Ceci dit, je me suis quand même laissé prendre par l'histoire et apprécié les dialogues avec les pensées philosophiques qu'ils livrent. Cependant, le dénouement plutôt confus ne m'a pas emporté.
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Toutes les morts de Laila Starr

Un seul mot me vient à l'esprit après une telle lecture : sublime ! On voit que le comics indien a encore de beaux jours devant lui. Je me demande comment cette BD a pu à ce point totalement m'échapper l'année dernière. Elle constitue véritablement un indispensable.



Il faut savoir que le cadre de ce récit plus ou moins initiatique est l'Inde moderne avec ses grandes villes tentaculaires aux millions d'habitants mais également ses espaces plus anciens où l'on célèbre encore des rituels funèbres au bord du fleuve ou de la mer.



Il est question de la déesse de la mort qui perd son job car un mortel va créer une potion d'immortalité. Elle va aller sur terre sous la forme d'une humaine qui vient juste de se suicider à savoir Leila Starr pour tenter de tuer cet homme et retrouver ainsi son job.



Cependant, il vient à peine de naître et elle n'aura pas le courage d'aller jusqu'au bout de ses actes. En devenant humaine, elle a perdu quelque chose mais elle a gagné autre chose de plus beau encore.



J'ai beaucoup aimé la transition qu'elle va opérer et qui prendra bien des années même si elle ne semble pas prendre une seule ride. C'est d'une profondeur absolue qui pousse à l'introspection. Rien n'est laissé véritablement au hasard et c'est tant mieux.



A noter que la préface est signée par un certain Fabio Moon qui est le co-auteur du fameux roman graphique multi-récompensé « Daytripper ». C'est vraiment du même acabit dans le traitement du thème exploité.



Par ailleurs, au niveau graphique, c'est une superbe mise en image dans une démonstration de force assez magistrale. J'ai rarement vu un trait aussi abouti. La colorisation est également employée à très bon escient selon les différents univers que l'on soit au paradis, à Bombay ou sur une plage de Goa...



C'est une lecture qui nous interroge sur le vrai sens de la vie et de la mort qu'il nous faut accepter. Il y a ce quelque chose de très profond qui fait que c'est une lecture au-dessus des autres entre conte philosophique et parfois poétique.



Alors, oui, il faut absolument découvrir cet album fascinant si ce n'est déjà fait. Pour moi, un coup de coeur !
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These Savage Shores

C'est un comics assez intéressant qui mêle une histoire de vampire à l'implantation de colons via la Compagnie des Indes sous l'égide de la couronne d'Angleterre. Calicut est alors un port assez prospère situé sur la côte de Malabar en Indes.



Il y a une belle histoire d'amour et de guerre mais surtout une dénonciation à peine déguisée du colonialisme et de ses effets pervers. On se rendra compte également qu'il existe en ce monde des créatures qui sont parfois plus dangereuses que des vampires notamment des rakshasas à la morphologie multiforme pour posséder des êtres humains.s



J'ai beaucoup aimé le graphisme qui est assez coloré mais surtout d'une précision remarquable dans le trait. Il y a manifestement de la beauté dans les paysages mais également dans les personnages. C'est un plaisir à la lecture. Ce dessin contribue donc énormément à créer une atmosphère mystérieuse tendance hindoue assez réussie.



Un bémol cependant avec une narration parfois trop lancinante et ennuyeuse. Il faut alors s'accrocher au récit pour bien le suivre. Le lyrisme n'a pas que des adeptes.



Bref, c'est un beau voyage dans l'Inde du XVIII° siècle avec un effet dépaysement garanti. Un comics inhabituel à découvrir !
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Toutes les morts de Laila Starr

Une BD plutôt chouette mais pas particulièrement inoubliable.



Le résumé m'avait bien alléchée : alors que naît dans un taxi de Mumbai un bébé qui inventera un jour l'immortalité, la déesse de la Mort, vouée à l'inutilité, se fait virer de son travail. Réincarnée dans le corps d'une étudiante suicidée, Laila Starr, elle part à la recherche du futur inventeur Darius Shah afin de l'éliminer avant qu'il ne change le destin de l'humanité.



Le rythme est bien géré, notamment grâce à un certain événement dont l'aspect répétitif est presque comique. L'histoire est somme toute assez simple, bien que la narration adopte quelques formes originales - le point de vue de la cigarette par exemple. L'ambiance est très chouette (notamment l'au-delà bureaucratique), les personnages bien campés et les couleurs magnifiques.



En revanche, le fond philosophique est très léger. Là-dessus, j'ai été plutôt déçue : mieux vaut ne pas s'attendre à une profonde réflexion sur la mort et le sens de la vie, parce qu'il n'y a là rien qui sorte particulièrement du lot, ou que je n'aie déjà lu ailleurs. Cela dit, si vous lisez cette BD dans des circonstances appropriées, par exemple pour surmonter un deuil, elle doit sans doute résonner différemment.



Une demi-déception pour ma part.
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Blue In Green

Club N°51 : Comics non sélectionné mais acheté sur le budget classique

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Une réussite graphique, pour un récit très sombre et horrifique autour d'un musicien de jazz.



Clément

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Très bonne BD aux graphismes déroutants, sur un musicien de jazz face à ses démons, son passé et son ambition.



Mörx

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La descente aux Enfers d'un musicien de jazz.



Des dessins et des mises en couleurs qui pourront surprendre certains lecteurs.



Aaricia

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Lien : https://mediatheque.lannion...
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Toutes les morts de Laila Starr

Laila, déesse de la mort vient de se faire des cieux puisqu'un mortel vient d'inventer la vie éternelle. Elle intègre le corps d'une jeune étudiante suicidée. Et par à la recherche de ce bébé qui dans quelques années inventera l'immortalité.



Très belle B.D. , aux dessins remarquables avec des nuances de couleurs auxquelles je ne suis pas habitué.

Mais derrière l’énigme qui m'a paru suspecte une bonne partie de la lecture , j'ai découvert une œuvre emplie d'une très belle philosophie , où chaque battement de cœur , chaque souffle est un rejet de la mort .



Une œuvre qui de plus balaie les différents âges d'une vie , l'enfance , l'adolescence, la, maturité et la, vieillesse.



C'est beau à lire, c'est beau à voir . Et c'est bougrement intelligent.
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Aquaman Andromeda

Je sors plutôt mitigé de ma lecture.



D'un côté, les illustrations sont époustouflantes. Oubliez ces images façon "petite sirène" d'un monde marin coloré, fourmillant de vie aquatique et tout ça.



Ici, les fonds marins sont dessinés comme le serait le cosmos dans une histoire lovecraftienne. Froid, noir et effrayant. Sublime aussi. Aquaman, qui est presque un figurant, est dessiné comme une créature divine, puissante, à la peau d'algues et de coraux.



Pour l'histoire par contre... Meh. On suit un sous-marin qui va enquêter sur un objet extraterrestre qui s'est écrasé au point Nemo. (D'ailleurs, je ne sais pas pourquoi on insiste sur le point Nemo parce qu'il y a pas mal de bateaux, et qu'un personnage dérive jusqu'à une rive habitée plus tard dans la BD. J'imagine que ça sonne plus cool que de seulement dire : "quelque part dans l'océan", puis ça fait référence à Cthulhu.)



On apprend à connaître l'équipage, tous des gens qui ont vécu des vies compliquées/trash. Puis on y découvre un artéfact qui libère une magie qui se nourrit des peurs de tout le monde et les retourne contre eux. M'enfin.



La principale originalité, est que cela peut se lire comme du Lovecraft plutôt que comme du DC/superhéros. Une bataille fait rage entre Aquaman et l'antagoniste, mais elle est secondaire. On suit plutôt comment les personnages "normaux" vivent cela, sans trop le comprendre. Aquaman y est une créature aussi étrange que l'antagoniste, comme le serait Cthulhu ou Nyarlathotep.



Mais voilà, l'intrigue sur laquelle repose tout cela n'est qu'une variante aquatique de la nouvelle The Thing de John Campbell, qui a été adaptée et copiée au cinéma je-ne-sais-plus combien de fois. C'est Alien vs Predator en plus joli.
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Grafity's Wall

Suresh se fait appeler Grafity, parce que c’est sa raison de vivre, il peint sur les murs de Bombay des fresques psychédéliques et colorée, en toute illégalité, et puis il y a Jay, un peu dealer, il travaille pour Mario ça rapporte plus que de laver les voitures, et puis, il y a Chasma, il est poète, il écrit des mots qu’il laisse errer dans la ville, distribuant ses poèmes à des inconnus, lui, il est amoureux de Mary, jusqu’à ce qu’il rencontre Saïra, elle, elle voudrait faire du cinéma… Quatre destin dans une ville vampirique. Grafity, Chasma, Jay et Saïra voudraient juste pouvoir rêver, être libres.



On déambule dans Mumbay dans des pages aux couleurs saturées, pétantes et acides, le foisonnement du graphisme est en harmonie avec celui de la ville grouillante, bouillonnante, mélangeant les styles, allant du Tag au Comics, du réalisme au cartoonesque, ça flashe, ça explose de couleurs.



C’est un récit social, une description d’un univers, celui de cette ville tentaculaire d’Inde, Mumbay (Bombay), la ville moderne avec beaucoup de pauvreté et de violence, fer de lance de la création culturelle indienne d’aujourd’hui, cinéma, rock, et toutes formes de création artistiques nouvelles. La réalité économique est bien moins reluisante, petits boulots, exploitation, corruption… Ce livre raconte l’audace créative dans un milieu jeune, plein de fougue, mais terriblement dur et sans pitié.



Grafity’s wall est un livre beau et effrayant, troublant et poétique, une poésie moderne, proche du rap et irrésistiblement tourné vers le XXIe siècle dans une société bourrée de contradictions avec ses archaïsmes, c’est l’Inde d’aujourd’hui, envoûtante et brûlante, sclérosée et innovante, vivante et mortifère, et c’est un récit troublant et poétique.



J’ai adoré…
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Toutes les morts de Laila Starr

Et… Paf ! Voici un gros coup de cœur !

L’ordinaire vous ennuie ? Alors pourquoi ne pas essayer ce voyage surréaliste et onirique.

« Ici RAM V, c’est [crrr] votre commandant de bord qui vous parle ; je vous [crrr… crr] souhaite la bienvenue à bord de notre vol STARR 05/22 à destination de Mumbai. La température au sol est de [crrr] 35° et les conditions climatiques [crrr] [crrr] encore supportables malgré une mousson qui se dérègle d’année en année. Veuillez s’il vous plaît éteindre vos téléphones portables et ne pas fumer pendant toute la durée du vol. Profitez [crrr… crr] du grand confort de vos sièges pour vous abandonner le temps de notre traversée tandis que nos hôtesses et stewarts – que je remercie – veilleront à ce que vous ne manquiez de rien. [crrr] [crrr] Enfin, au nom de la compagnie URBAN et de mon copilote FILIPE ANDRADE, je vous souhaite un agréable voyage. [crrr] »



La Mort est une très jolie déesse au tempérament de feu. C’est une jeune femme dynamique, moderne, coquette, et sacrément efficace. Quelle puisse montrer à l’occasion une grande langue effrayante, porter sur vous un regard terrifiant, ou user de six bras ne retire rien à son charme.

Forcément, certains dieux masculins, misogynes, bedonnants, vieux… très très vieux, et surtout beaucoup moins performants, ont ourdi un complot afin que le patron la licencie en prétextant d’une sordide restructuration de service…

Mais la Mort a plus d’un tour dans son sac…



Le scénario est d’enfer. Le dessin et les couleurs psychédéliques en diable. Pour un peu on se croirait revenu dans les années 70. Non, pas tout à fait… Une pointe de modernisme affleure en permanence grâce à un style tonique et des couleurs évoluant du rose bonbon au violet dur, du bleu électrique au vert d’eau.

C’est somptueux, élégant, racé.

On marche sur un fil tendu entre le vieux monde, la mythologie indienne, son panthéon… et un univers cyberpunk flamboyant.



Vous reviendrez de ce voyage du bout du monde, transfigurés, inspirés, sans avoir approché de près ou de loin les magic mushrooms, le LSD, la mescaline, la psilocybine, ou les autres tétrahydro-machin-chose.



De quoi être reconnaissant pour la qualité des appareils la compagnie URBAN et au professionnalisme de son personnel navigant !

Je n’oublie pas de féliciter le talent de dessinateur de Filipe Andrade, Eric Montésinos pour le lettrage, Cerise Heurteur pour l’adaptation graphique.

A mon tour de vous souhaiter un bon voyage !
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The Swamp Thing, tome 1 : Becoming

Une nouvelle pousse

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Ce tome est le premier d'une nouvelle saison consacrée au personnage, qui peut être apprécié sans rien en connaître, qui révèle plus de saveurs quand le lecteur est familier de la version d'Alan Moore, Steve Bissette et John Totleben, avec Rick Veitch. Il regroupe les épisodes 1 à 4 de la série mensuelle, ainsi que les épisodes 1 & 2 de Future State: Swamp Thing, initialement parus en 2021, écrits par Ram V, dessinés et encrés par Mike Perkins, mis en couleurs par Mike Spicer pour les 1 à 4, et par June Chung pour les 1 & 2 de Future State. Les couvertures originales ont été réalisées par Perkins, et les couvertures variantes par Francesco Mattina (*2), Kyle Hotz, Gerardo Zaffino, Dima Ivanov (*2).



Becoming (épisodes 1 à 4) : un médecin légiste est en train de prélever une larve sur un cadavre pour déduire de son stade de développement, le nombre de jours écoulés depuis le décès de la victime. Les mouches à viande sont encore à l'état de larve : le décès doit remonter à neuf ou dix jours. En outre il a relevé des traces de morsures, l'implantation des dents laisse à penser qu'elles sont humaines, mais comme si elles avaient été repositionnées sur la mâchoire. L'agent Emmett en déduit que cette mort doit être l'œuvre du pâle vagabond, ce qu'il fait remarquer au shérif Dom. À la question du médecin légiste, il répond qu'il s'agit d'une légende : après la bataille de Picachio de 1862, un soldat, Seth Martens ou Thomas Brundle, a décidé de se retirer dans le désert, vivant une vie de trappeur et de cantonnier pour le rail. Avec la grande dépression qui s'installe, il décide de se retirer plus loin dans le désert. Il est tiré de sa retraite dans les années 1950 par les forages d'une compagnie pétrolière. Les témoins affirment qu'ils l'ont vu dans les barriques en train de boire le pétrole non raffiné. À chaque signalement, il semblait avoir grandi en taille et en force. Régulièrement quand quelqu'un traverse le désert, son désert, il se manifeste. Pendant ce temps-là, Levi Kamei est à bord d'un vol qui rallie New Dehli à l'aéroport JFK à New York. Il est de nature inquiète pendant les vols. Il se lève et se rend aux toilettes pendant des turbulences, son esprit assailli de vision d'une créature anthropoïde végétale.



En 1971, Len Wein & Bernie Wrightson créent le personnage de Swamp Thing, établissant son origine et ses caractéristiques. La version la plus mémorable après la leur est celle d'Alan Moore, Bissette et Totleben, une quarantaine d'épisodes de 1984 à 1987. Par la suite, le personnage est passé entre les mains de nombreux créateurs comme Rick Veitch, Nancy A. Collins, Mark Millar, Brian K. Vaughan et Scott Snyder, chacun apportant sa vision personnelle, sans réussir à supplanter celle de Moore. C'est donc un défi impressionnant que de reprendre ce personnage dans l'ombre des épisodes de Moore. Ram V disposant des coudées franches, il peut installer un nouvel être humain dans le rôle d'élémentaire du règne végétal, ce qui lui permet d'introduire des modifications, tout en se mesurant à la version de référence, aux différentes utilisations du pouvoir de Swamp Thing, à sa façon d'incarner la nature. Le scénariste décide de commencer en douceur : un meurtre inexpliqué, visiblement le fait d'un monstre mystérieux, un futur hôte assailli par des visions incompréhensibles, s'incarnant en plante vivante la nuit. La coupure est assez nette d'avec la version Wein & Wrightson, et d'avec celle de Moore, Bissette et Totleben. Les dessins sont dans une veine réaliste un peu dure et crue, avec une mise en couleurs sombre, dans une veine Noir avec une petite touche gothique, sans avoir la saveur des précédentes itérations. Le monde normal reste séparé de celui de Swamp Thing, ce qui fonctionne bien. Le lecteur se prend au jeu. Quelles sont les circonstances dans lesquelles Levi Kamei va devenir la nouvelle incarnation du végétal ? Qui va-t-il combattre ? Le récit ne prend pas la direction trop prévisible d'un pamphlet écologique.



Mike Perkins réalise des dessins donnant une impression de réalisme, sans être surchargés avec un bon niveau de détails, des textures, et une bonne complémentarité du coloriste. Le désert reflète la lumière douce du soleil avant la tombée de la nuit quand la température a déjà bien baissé. La scène dans l'avion montre une allée centrale d'une taille correspondant à la réalité, ce qui n'est pas toujours le cas dans les comics. L'appartement de Jennifer Reece est composé de pièces avec des dimensions plausibles, un ameublement fonctionnel avec une petite touche de personnalité. L'installation pour l'IRM correspond également aux appareils qui existent dans la réalité, attestant d'un bon travail de recherche de référence par l'artiste. La direction d'acteur fait en sorte que les personnages se conduisent en adulte, et pas en adolescent surexcité. Les ombres portées parfois un peu appuyées apportent la touche sinistre attendue pour les individus malintentionnés vis-à-vis de Levi & Jennifer. Le lecteur ressent qu'il découvre un thriller tendu, dans un environnement réaliste. Les premières apparitions de Swamp Thing fonctionnent comme des hallucinations ressenties de l'intérieur par Levi Kamei : alors qu'il dort, tout se passe comme si sa conscience est projetée dans le Vert et qu'il prend une forme anthropoïde qui se retrouve confrontée à un ennemi, le pâle vagabond. Les épisodes 3 & 4 se déroulent essentiellement dans la réalité de la Verdure : les dessins conservent leur texture, et les personnages deviennent plus formidables, plus monstrueux. Les arrière-plans perdent en descriptif, pour retenir des ombres d'arbres et de leur végétation, agrémentés de camaïeux expressionnistes et spectaculaires. C'est une évidence pour le lecteur que l'esprit de Levi doit faire l'expérience de la plongée et de l'immersion dans la conscience végétale, et la forme retenue par les auteurs fonctionne très bien sur le plan visuel et du point de vue narratif, avec une personnalité propre, différente de celle de leurs prédécesseurs. Les combats deviennent alors métaphoriques et le découpage des planches devient plus libre, plus diversifié, rendant compte d'une réalité avec une forte composante psychique.



Le lecteur ressort de ces quatre épisodes, convaincu par l'intérêt de cette nouvelle version, différente des précédentes, avec une bonne narration visuelle suffisamment horrifique, et une incarnation de Swamp Thing mariant les éléments constitutifs du personnage, et une saveur originale. Le lecteur veut en savoir plus. Il reviendra pour le deuxième tome.



Future state : le multivers a été sauvé de la destruction et la victoire a ouvert de nouvelles possibilités. Une nouvelle vie souffle dans le multivers et des visions d'un futur pas encore écrit deviennent perceptibles. Sur la tête de la Statue de la Liberté un peu délabrée, Calla discute avec Père Verdure : elle souhaite qu'il raconte encore une fois ce qui est arrivé au monde. Dans celui-ci, le changement est toujours survenu dans la violence. Chaque naissance au prix de millions de vie. Chaque mort, le commencement d'une autre vie. Et personne n'a mieux incarné cette idée que l'être humain. Celui-ci a dompté le feu et capturé le soleil, construit de grandes métropoles, et créé des œuvres d'art d'une beauté infini. Mais il est né avec un défaut : plus préoccupé par la violence que par le changement lui-même. Une guerre survint éradiquant la civilisation humaine. Père Verdure et sa famille, Calla, Heather, Indigo, Venen et Vruk, doivent continuer de chercher des humains.



Juste avant la parution du premier épisode mensuel de cette saison, l'éditeur DC Comics avait commandé une histoire en deux parties aux mêmes créateurs, sur le même personnage. Elle se déroule dans le futur, mais avant la première apparition de Levi Kamei : le lecteur retrouve donc une itération de Swamp Thing étant encore issue d'Alec Holland. D'un côté, c'est un plaisir que de disposer de deux épisodes supplémentaires par le même duo de créateurs. D'un autre côté, ce sont à la base des épisodes bouche-trou sans incidence sur la saison en cours. Le lecteur commence sa lecture, un peu circonspect. Il est vite rassuré par les dessins : Mike Perkins s'est montré aussi investi dans ces planches que pour celles des épisodes 1 à 4. Le scénariste l'a ménagé en faisant évoluer Swamp Thing et sa petite troupe dans un paysage naturel enneigé, donc beaucoup plus rapide à dessiner. Lors des combats, l'artiste se repose sur la coloriste pour remplir les fonds de cases avec des effets spéciaux, ce que Chung fait très bien. Les personnages sont représentés avec la même tonalité horrifique : des monstres végétaux n'appartenant pas à l'humanité, malgré leur forme anthropoïde.



Dès la première page, le lecteur note que Perkins s'est bien amusé à dessiner les tissus internes qui constituent le corps de Swamp Thing, entre écorché et schéma, pour quelques cases réparties à intervalle régulier dans les deux épisodes. Il sourit en se disant que le scénariste effectue ainsi deux actions. La première est de raconter comment Swamp Thing construit un corps végétal pour se déplacer, pour s'incarner. La seconde renvoie au deuxième épisode écrit par Alan Moore : la leçon d'anatomie dans l'épisode 21 paru en 1984, dessiné par Steve Bissette & John Totleben. C'est une sorte de réponse : Moore déconstruisait le corps de Swamp Thing, et ici Ram V le construit. Il se rend compte à la fin de l'histoire que ces cases remplissent une troisième fonction narrative en lien direct le but poursuivi par la petite troupe de plantes dotées de conscience : retrouver un humain vivant. D'une certaine manière, ce but entre en résonnance avec l'épisode 56 écrit par Moore, d'une manière aussi habile qu'élégante et signifiante, une belle réussite. Scénariste et dessinateur mettent à profit cette commande de circonstance pour réaliser une histoire complète et prenante, et un hommage discret et élégant.
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Catwoman, tome 5 : Valley of the Shadow of ..

Reprendre la marque

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Ce tome fait suite à Catwoman Vol. 4: Come Home, Alley Cat (épisodes 14, 15, 22 à 28) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il regroupe les épisodes 29 à 32, ainsi que le numéro annuel 1, initialement parus en 2021, écrits par Ram V. Les épisodes 29 à 31 ont été dessinés et encrés par Fernando Blanco, et mis en couleurs par Jordie Bellaire. L'épisode 32 a été dessiné et encré par Evan Cagle, avec une mise en couleurs de Jordi Bellaire. Le numéro annuel a été dessiné et encré par Kyle Hotz, Fernando Blanc, Juan Ferreyra, avec une mise en couleurs de David Baron. Les couvertures ont été réalisées par Joëlle Jones (é29, é30), Robson Rocha (é31, é32), Kyle Hotz (annuel 1), et les couvertures variantes par Jenny Frison (*4) et Liam Sharp.



À Gotham City, dans la une résidence luxueuse, Vilos Nahigian est au bout du fil avec Nouri, un de ses hommes de main et il lui conseille de prendre des vacances, pendant qu'il s'occupe de tout. Il jette un coup d'œil dans son salon et laisse tomber sa tasse par terre : sa demi-douzaine de gardes du corps gît à terre, tous morts. L'assassin masqué se tient debout un couteau dans chaque main, elle se jette sur Nahigian et il n'a même pas le temps de dire ouf. Le lendemain dans le quartier du Nid, Dean Hadley, un policier en civil, avance doucement. Il sait qu'il a très vite été repéré. Il s'arrête devant l'entrée d'un bâtiment et demande à entrer. Le jeune homme accepte et Hadley monte jusqu'à l'appartement en terrasse, avec sa piscine dans laquelle Selina Kyle se prélasse sur un matelas gonflable, Maggie Kyle étant allongée sur un transat. Il commence par lui dire qu'il a des questions à lui poser sur la drogue qu'elle lui a laissée. Elle répond qu'elle n'a aucune intention d'en dire plus, et que la prochaine fois qu'il souhaite venir, il ferait mieux de se faire annoncer. Il s'en va en lui laissant un dossier. Une fois qu'il est parti, elle prendre le dossier, s'allonge sur un transat et l'ouvre. Elle trouve en première page une photographique de petits paquets bien emballés, avec un logo en forme de paire d'ailes. Elle se dit qu'elle a déjà vu ce symbole auparavant.



Dans une autre partie de Gotham, monsieur Roy est en train de superviser le démantèlement de son laboratoire de recherche : celles-ci ont porté leur fruit, à savoir synthétiser un additif hallucinogène produit à partir de sécrétions de Pamela Isley. Simon Saint donne ses derniers ordres : se débarrasser de Poison Ivy, réussir à neutraliser leur client trop curieux. Monsieur Roy confirme à Saint que Edward Nygma a été localisé et que leur atout Wight Witch va s'occuper de son cas. Celle-ci sort de sa douche, s'habille avec son costume, enfourche sa moto et se rend chez sa cible. De son côté, Selina n'a pas pu résister à la curiosité et elle est en train d'entrer par effraction chez Nygma, à la recherche d'indice sur cette drogue et ce symbole. Elle retrouve plusieurs paquets portant ledit symbole. Elle entend du bruit dans la pièce attenante : Nygma est à quatre pattes par terre, Wight Witch se tient debout, ses couteaux dans la main.



Ce tome marque l'arrivée du scénariste Ram V sur la série Catwoman dans les faits, ce tome se décompose en trois histoires liées entre elles. La première court sur les épisodes 29 à 31, la seconde correspond à l'épisode 32, et la dernière au numéro annuel. Au début de ce tome, Selina Kyle est à la tête d'un petit gang qui occupe un quartier bien délimité de Gotham, surnommé le Nid. Elle reçoit donc la visite d'un inspecteur de police avec qui elle a déjà collaboré dans les épisodes précédents, et il parvient à éveiller sa curiosité avec un trafic de drogues un peu particulier. Ici, la curiosité ne tue pas le chat (proverbe anglais), mais elle emmène Catwoman dans des situations périlleuses. Il s'agit donc d'une enquête policière, avec une bonne dose d'action, de type thriller, avec des conventions du genre superhéros. Le lecteur suit Selina Kyle mener son enquête et remonter la trace des trafiquants. Le nombre d'individus avec des superpouvoirs est très restreint : Catwoman, Edward Nygma, deux autres criminels costumés, et Pamela Isley. De fait, la tonalité de la narration s'apparente plus à un roman noir, qu'à une histoire de superhéros. En plus de l'enquête, il y a un casse bien préparé pour délivrer une prisonnière.



La tonalité noire provient également de la narration visuelle. Jordie Bellaire se montre toujours aussi impliquée pour définir une palette de couleurs spécifique à la série à laquelle elle participe. Dans un premier temps, les personnages évoluent dans un monde un peu terne à la faible luminosité, un environnement qui étouffe toute velléité d'être positif ou même heureux. Ensuite lors de la soirée pendant laquelle va se dérouler le casse, la lumière se fait plus vive sans pour autant réussir à dissiper totalement le voile terne. Il est facile de dire que Fernando Blanco est fortement influencé par David Mazzucchelli et par Year One. C'est vrai que le lecteur retrouve cette atmosphère particulière, et même Bellaire s'est inspirée de Richmond Lewis. Mais il n'est pas possible de réduire ces planches à une pâle imitation : l'artiste a bien assimilé les emprunts qu'il fait à ce dessinateur d'exception et les a intégrés dans ses cases qui présentent plus de détails, et une personnalité différente. Le lecteur est tout aussi impressionné par les scènes nocturnes, l'agilité de Catwoman, la dureté de Selina Kyle, la tension des habitants du quartier du Nid, que par son assurance face au propriétaire de la demeure où elle réalise un casse, ou par sa perte totale d'assurance lorsqu'elle assiste à un suicide. Il se rend vite compte que Blanco représente les décors avec une réelle patte : un niveau de détails remarquables sans être illisible, une bonne sensibilité pour les textures, et une élégance dans la gestion de leur présence et des cases sans arrière-plan, un bel équilibre pour une narration à la fois consistante et fluide.



Scénariste et dessinateur savent manier les conventions du polar à tendance noir : les immeubles aux fenêtres condamnées et pas un chat dans la rue, le petit voyou de quartier faisant montre d'une grande assurance, la femme fatale en maillant de bain allongée sur un matelas flottant dans la piscine, l'introduction par effraction dans un appartement, le face à face entre deux factions opposées dans une ruelle sans éclairage, la femme fatale faisant une entrée remarquée dans sa belle robe de soirée, les cambrioleurs bien rodés fonctionnant en équipe efficace sans avoir à se parler. Le récit tire bien parti de ces éléments Noir, au point que les éléments superhéros viennent presque rompre le charme, mais le scénariste sait ne pas en abuser. L'intrigue repose sur la mise sur le marché d'une drogue de synthèse particulièrement addictive, et l'arrivée en ville de Père Valley qui exécute des criminels en fonction de ses motivations mystérieuses. Le lecteur accroche vite au récit, à la fois pour la qualité de la narration, à la fois parce que le scénariste sait insuffler une vraie personnalité à Selina Kyle, femme forte et intrépide, avec de solides amitiés et des valeurs morales bien affirmées.



Le lecteur passe alors à l'épisode 32. Il se situe bien dans la suite logique des trois précédents : le père Valley a capturé Carreras, un des hommes de main de Catwoman et il l'interroge en le torturant. Celui-ci se met à raconter une histoire du passé de Selina Kyle pour que son interlocuteur puisse comprendre à quel genre de femme il a affaire. Evan Cagle représente les formes et les personnages avec un trait de contour plus fin, sans les effets d'épaisseur et d'ombre de Blanco. Le récit se passe pour partie en Sicile avec un soleil chaud, et la coloriste adapte sa palette en conséquence. L'ambiance est moins sombre, mais aussi plus froide et plus clinique, faisant d'autant ressortir la violence sèche et la dureté des personnages. Le récit se déroule sur fond de mafia, combinant les actes criminels de Selina Kyle, avec une autre facette de son code moral, lui donnant conférant là aussi une réelle personnalité.



Le tome se termine par le numéro annuel au cours duquel Selina Kyle n'apparaît que pendant 3 pages. Il est consacré au personnage de Père Valley, et à son histoire personnelle, sa relation avec l'ordre de Saint Dumas. Le lecteur familier avec la mythologie de Batman sait que cet ordre a formé Azrael : il se doute donc un peu de la trame de fond. La première partie est illustrée par Kyle Hotz en grande forme pour jouer avec des ombres qui semblent à moitié vivantes, à moitié ronger les personnages et les décors, pour une ambiance gothique à couper au couteau. Les deux autres dessinateurs réalisent des pages bien faites, avec une saveur plus traditionnelle. L'histoire permet de donner de la consistance à ce nouveau personnage qui va faire la misère à Catwoman, et à l'inscrire dans la mythologie associée à Batman.



Depuis le début des années 2020, Ram V est un scénariste prometteur avec des idées intéressantes. Il prend place à la tête de la série Catwoman et propose un polar bien noir, avec des composantes de superhéros bien dosées. Il bénéficie d'un très bon dessinateur et d'une excellente coloriste réalisant des pages à la manière de Mazzucchelli & Lewis, sans tomber dans le plagiat ou l'ersatz, pour réaliser un récit prenant. Les auteurs utilisent les deux derniers épisodes pour développer d'autres facettes d'une saison qui s'annonce de bonne qualité.
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These Savage Shores

Un album rouge… sang.

These Savage Shores, ces rivages sauvages…

Eté 1766 : Dans les eaux bordant la côte de Malabar, deux splendides navires marchands de la marine anglaise abordent enfin la ville portuaire de Calicut à la suite d’une longue et éprouvante traversée. Les cales de l’un des vaisseaux a soigneusement abrité des regards un unique passager dont le prix du billet a décidé son capitaine de le prendre à son bord bien que la simple évocation de son nom ait suffi à terroriser l’ensemble de son équipage ; il s’agit de Monsieur Alain Pierrefont, vampire de son état, exfiltré depuis Londres par l’un de ses amis à la suite d’un… petit différent.

Mais à proximité de ces rivages sauvages du sud-ouest de la péninsule indienne où les jours sont longs et brûlants et les nuits pleines de crocs, notre cher monsieur va trouver quelques créatures plus anciennes et plus fortes que lui… Des démons issus du passé et bien déterminés à conserver leurs prérogatives.

Les his-toires d’a-mour - belles et déchirantes - finissent mal, en… gé-né-ral !

Un bel exercice de style pour des transfusions sanguines sans accident, ou presque.

Le scénario de RAM V tient la route et le dessin de SUMIT KUMAR mis en couleurs de VITTORIO ASTONE est exceptionnel.
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Toutes les morts de Laila Starr

J'ai adoré !



Les couleurs nous éblouissent dès le début de l'histoire, des tons électriques, roses violets, verts.. avec pourtant des harmonies douces, c'est très réussi. le graphisme est fin et élégant, il nous immerge dans une ambiance étrange entre magie indienne et univers cyberpunk, psychédélique, un mélange détonnant. Les traits sont réalistes, peu de fioritures, des décors d'architecture très présents, le moderne et l'ancien se côtoient dans un équilibre subtil, les grandes vignettes viennent poser le récit, et mettent la colorisation en avant lui donnant les rênes pour nous laisser entrevoir le merveilleux.



Il est question de Dieux de la mythologie indienne, une mythologie qui n'a pas de contours précis, un peu de grec, ou autre. le Dieu suprême est un homme à barbe blanche et a des allures de PDG, et leur Olympe ressemble à un siège de multinationale. La mort est convoquée, parce qu'on va pouvoir se passer de ses services, un homme va découvrir l'immortalité. Elle va s'incarner sur terre à Mumbai, dans le corps de Laïla Star pour tenter d'éliminer Darius, le futur découvreur de l'immortalité.



La situation démarre sur un ton rocambolesque, fantastique, presque humoristique, mais le ton de comédie va vite s'estomper pour laisser place à une réflexion plus grave, pleine de questionnements, se transformer en conte philosophique, ou en hymne sensible et poétique, interrogeant sur la vie, la mort.



Éblouissant de beauté, de lumière, d'intelligence, et, pour ne rien gâcher, émouvant. Laïla Star est une lecture vraiment marquante.
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Aquaman Andromeda

Bon je dois dire tout de suite que je ne comprends absolument pas les 2 critiques extrêmement négatives déjà postées, pour moi cette histoire est une grande réussite.



L'Andromeda est un sous-marin envoyé en mission secrète au Point Némo, l'endroit de l'océan le plus éloigné de toute terre émergée. À son bord, un équipage international composé de spécialistes dans leur domaine. Leur objectif : atteindre les abysses où s'est englouti un objet non identifié venu de l'espace... J'ai toujours eu une fascination et une terreur pour les fonds marins et je dois dire que cette histoire m'a complètement happé. Tout d'abord par les graphismes qui sont tout simplement magnifiques, notamment du fait d'un travail des couleurs remarquable, rendant à merveille ces ambiances mystérieuses, profondes, oniriques, voire même psychédéliques par moment. En ce qui concerne l'histoire, elle commence comme une expédition vers l'inconnu, pleine de mystères et d'espoirs, puis la tension va s'installer insidieusement, goutte à goutte… jusqu'à déferler dans un final grandiose. Les membres de l'équipage se dévoilent petit à petit, montrant à la fois leurs forces et leurs faiblesses ce qui les rend très humains. Quant à Aquaman… et bien son rôle est essentiel bien que discret, il n'est pas au cœur de l'intrigue, mais toujours là, dans l'obscurité des profondeurs pour veiller sur son royaume. Son design est d'ailleurs extrêmement réussi, plus proche du roi fantomatique d'Atlantide que du super-héros flamboyant. Oui, j'ai adoré. Si l'histoire n'est pas particulièrement originale (j'en ai lu une assez similaire sur Namor il y a quelques mois), elle est toutefois très bien construite et nous propose un thriller sous-marin qui nous tient en apnée jusqu'à la dernière page.
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Toutes les morts de Laila Starr

En feuilletant une première fois cette bande dessinée, j’ai d’abord été rebuté par son graphisme et ses couleurs, qui m’ont parus peu harmonieux. Cette impression n’avait cependant rien de rédhibitoire, et j’ai donc entamé sa lecture avec espoirs.

Ces espoirs ont vite été déçus, par l’histoire elle-même, et la mise en scène de personnages divins et fantastiques.



Après avoir lu une trentaine de pages, j’ai abandonné cette lecture, pour passer à activité moins vaine (en l’occurrence, une autre lecture plus intéressante).
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Blue In Green

Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, parue d'un seul tenant, sans prépublication. La première édition date de 2020. L'histoire a été écrite par Ram V, dessinée et encrée par Anand RK, et mise en couleurs par John Pearson. L'ouvrage a bénéficié d'un design conçu par Tom Muller. Il contient également les couvertures variantes d'Aaron Campbell, Khary Randolph, Declan Shalvey, Elsa Charretier, Evan Cage, Jorge Fornes, Matt Griffin, Anand RK.



Au temps présent, Erik Dieter est un saxophoniste de jazz, plutôt bon, mais pas extraordinaire. Il a opté pour une carrière de professeur de son instrument de prédilection dans une université. Ce samedi-là, il a fini de donner sa dernière classe à 11h00 et un élève vient lui poser une question sur son jeu, pour savoir s'il a une chance de devenir un jour un excellent musicien, car il n'a pas envie de finir professeur dans une université. Dieter s'excuse : il ne peut pas répondre car il doit prendre un appel urgent sur son portable. C'est sa sœur Dinah qui lui annonce le décès de leur mère Alana Joseph Roux. Il prend l'avion le lendemain et se rend à l'enterrement. En vol, il imagine un accident et les passagers qui chutent à travers le ciel comme des flocons de neige, disparaissant avant d'attendre le sol. Pendant la cérémonie, devant la tombe de sa mère, il passe le bras autour des épaules de sa sœur, chose qu'il n'a pas faite depuis des années. Le soir, ils reçoivent les condoléances des proches au cours d'une réception donnée dans la maison de la défunte. Dieter se dit que ces retrouvailles avec des gens perdus de vue se déroulent toutes de la même manière, en parlant des succès de chacun dans la vie qu'il ou elle a menée. En passant de groupe en groupe, il aperçoit Vera Carter, celle qui fut son premier amour au lycée.



Erik Dieter finit par pouvoir aborder Vera Carter : elle est devenue responsable d'une galerie d'art, et elle continue à peindre pour elle. Il s'enquiert de son mari Travis : elle a divorcé. Elle le quitte car il faut qu'elle aille coucher ses enfants, mais elle reste encore quelques jours dans la chambre d'ami. Les invités s'en vont progressivement, et il se retrouve seul avec sa sœur qui est dans la cuisine. Elle a un petit coup dans le nez et elle lui reproche son absence, le fait qu'il n'ait pas rendu visite à leur mère pendant toutes ces années. Elle finit par se calmer et s'endormir sur le canapé. Il va se coucher mais il ne trouve pas le sommeil. Il pense au corps de sa mère qui va se décomposer, sans ressentir ni chagrin, ni peine, ni tristesse. Il finit par se relever pour aller dans le bureau de sa mère : il y voit un spectre blanchâtre en train de fouiller dans ses papiers, qui se retourne vers lui et qui lui demande s'il joue toujours et s'il souffre pour sa musique.



Il n'y a qu'à regarder la couverture pour se rendre compte que c'est une bande dessinée très personnelle. Au bout de quelques séquences, il apparaît que c'est l'histoire d'un musicien, un saxophoniste de jazz, qui s'interroge sur la direction qu'a prise sa vie, et qui s'interroge sur la jeunesse de sa mère. C'est donc une forme d'introspection existentielle, narrée avec une grande fluidité. Il y a bien évidemment des cartouches de flux de pensée et de réflexions intérieures, mais aussi des dialogues, et es pages muettes, la narration visuelle ne se limitant pas à juste montrer les personnages et les lieux. Son apparence est très sophistiquée : un rendu peint, avec des contours encrés en dessous, et l'utilisation de plusieurs effets spéciaux permis par l'infographie, toujours au service du récit, ne supplantant jamais l'histoire pour impressionner le lecteur. Du coup, ce dernier peut être partagé entre une forte curiosité pour une narration aussi élaborée, et la crainte d'un produit un peu prétentieux, à la fois sur la recherche personnelle et sur la mise en forme visuelle, et pas forcément à la hauteur de ses prétentions. La scène d'ouverture rassure tout de suite avec une chaude ambiance mordorée, des dessins entremêlant réalisme photographique et ressenti impressionniste dans un tout cohérent, et une situation très terre à terre (le jeune élève posant une question insultante sans s'en rendre compte).



Effectivement, il est possible de lire cette bande dessinée au premier degré : l'histoire d'un musicien qui s'est rendu compte qu'il était juste bon, et pas génial, incapable d'exprimer des émotions de manière poignante ou universelle, de les transmettre à ses auditeurs. Il se retrouve face à son premier véritable amour à qui il n'a jamais su le dire. Il doit faire face à ses choix de vie : se tenir éloigné de sa mère, sans lui rendre visite, et en laisser la responsabilité à sa sœur. Il ne peut que constater qu'il ne laissera pas de trace après sa mort. Il est accablé par le fait qu'il ne connaissait pas vraiment sa mère. La narration visuelle est étonnante de bout en bout, rappelant les grandes heures de Bill Sienkiewicz, mais sans ses fulgurances les plus avant-gardistes. L'artiste maîtrise parfaitement le dessin réaliste, la mise en couleurs de type peinture, les collages, les surimpressions, des pages vraisemblablement réalisées à partir de différentes techniques, assemblées et complétées à l'infographie, sans la froideur qui y est parfois associée, en conservant la chaleur organique du dessin à l'ancienne. Le lecteur est invité à suivre la prise de conscience progressive d'Erik Dieter, dans des pages diffusant doucement des émotions adultes. Le scénariste développe son récit sur une structure d'enquête (Qui était Dalton Blakely ?), avec un unique élément surnaturel (le spectre blanchâtre), apportant une accroche divertissante, sans nuire à l'introspection du personnage principal.



Il est très difficile de parler musique en bande dessinée, car celle-ci ne permet pas de faire ressentir une mélodie, ou un rythme. Ici, les auteurs ont choisi de s'y prendre autrement. Erik Dieter est un saxophoniste professionnel et il joue du saxophone à quelques reprises, le lecteur pouvant voir la réaction des spectateurs touchés par sa musique, alors même que le récit ne précise pas dans quelle branche du jazz il s'inscrit. Pour autant, il ne fait nul doute que l'histoire se déroule bien sous l'influence du jazz. De temps à autre, le lecteur peut apercevoir un bout d'affiche ou de programme, avec une portion de nom. Ainsi même s'ils ne sont pas mentionnés explicitement, plusieurs grands noms sont présents en filigrane : Miles Davis (1926-1991), Charlie Parker (1920-1955), Charles Mingus (1922-1979), Thelonius Monk (1917-1982), Bill Evans (1929-1980), John Coltrane (1926-1967). C'est un moyen élégant de ne pas assommer le lecteur néophyte avec des références qui ne lui parleraient pas, en les conservant en arrière-plan, et également de faire des clins d'œil discrets au connaisseur.



Le lecteur se laisse donc envelopper par ces ambiances visuelles, ressentant les états d'esprit du personnage principal qui est presque de tous les plans, le suivant dans son questionnement. Effectivement, la narration visuelle s'avère riche et variée, très agréable, aussi sophistiquée qu'accessible, et suscitant des émotions aussi ténues que touchantes. Il devient vite évident que le scénariste a pensé sa narration en termes visuels, car ce n'est pas une suite de cases avec que des têtes en train de parler. Les personnages accomplissent des actions de la vie de tous les jours qui montrent une partie de leurs relations interpersonnelles. Les mises en page peuvent aussi bien être sous forme de bandes de cases rectangulaires, que sous forme d'illustration accolées, ou encore de cases en insert, de dessin en pleine page, etc. Pour autant, il se dégage une forte cohérence visuelle dans la narration. Le lecteur se retrouve vite subjugué par le jeu entre réalisme et impressionnisme, par la mise en couleurs sans rapport avec un simple coloriage naturaliste, par des visuels saisissants sur le moment. Il découvre après coup que cette magnifique vue du dessus d'Erik Dieter montant un escalier en spirale constitue un motif visuel qui va revenir plus tard, donnant un autre sens à cette image. Anand RK sait combiner la banalité du monde avec l'unicité d'en faire l'expérience, à la fois physique et mentale, rendant évident l'état d'esprit du personnage alors que des processus mentaux complexes sont à l'œuvre.



Le lecteur ressent bien que le parcours d'Erik Dieter est celui d'un homme ayant déjà plusieurs décennies d'expérience, vraisemblablement un quadragénaire. Il découvre en même temps que lui une vision de la jeunesse d'Alana Roux sa mère, et sa fascination pour un musicien de jazz (un saxophoniste) qui n'a laissé aucune trace et qui est mort dans un incendie vraisemblablement criminel. L'enquête avance tranquillement de témoin en témoin, avec un bon coup de pouce d'un inspecteur de police sympathique. Mais l'intérêt du récit ne réside pas l'enquête, plus dans la manière dont elle éclaire les choix de vie de Dieter, et ce qu'elle apporte à sa compréhension du passé, de l'éducation qui lui a donné sa mère. L'élément surnaturel fait sens, comme la matérialisation d'un élément essentiel dans le jazz. La compréhension progressive d'Erik Dieter est celle d'un adulte qui prend la mesure de l'importance des choix de ses parents dans la construction de sa vie d'adulte, avec un regard pénétrant et intelligent de l'auteur.



La couverture et le design de cette bande dessinée contiennent la promesse d'un récit sophistiqué et adulte. Le lecteur a le plaisir de découvrir que la promesse est tenue, avec une narration visuelle épatante et pertinente, et une prise de conscience progressive et signifiante pour le personnage principal. Les auteurs ont réussi un magnifique portrait d'un professeur de saxophone jazz, découvrant un autre regard sur sa vie.
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Toutes les morts de Laila Starr

C'est une très belle bande-dessinée sur la mort et la vie.

Le scénario de Ram V et le dessin de Filipe Andrade se marient parfaitement.

Cette histoire est emplie de poésie et de douceur.

C’est aussi une leçon sur ce que représente la mort et sur l’importance de savourer chaque moment de la vie, d’accepter les imperfections et les erreurs, d’avancer et de rechercher le bonheur.
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Toutes les morts de Laila Starr

La Mort devient mortelle et se confronte toute sa vie au responsable de sa situation : l'homme qui doit inventer l'immortalité. Une ode à la vie... Et à la mort !



Un véritable coup de cœur ! Tant au niveau du scénario que des dessins.



La Mort investit le corps d'une jeune adulte qui vient de mourir. Sa première réaction est de vouloir tuer le bébé qui vient de naître, son ennemi. Mais elle ne peut s'y résoudre et en sortant de l'hôpital, elle se fait écraser. Les années passent et Laila Starr revient à la vie.



Un récit d'apprentissage, autant pour les personnages que pour les lecteurs et les lectrices.



La Mort apprend à découvrir la vie de ceux dont elle ôtait autrefois l'existence. À chaque chapitre, elle croise son pire ennemi qui grandit et compose avec les bons et mauvais moments de sa vie.



En les suivant, le lecteur/la lectrice se confronte à plusieurs réflexions sur la vie et la mort tout en construisant la sienne.



Les dessins de Filipe Andrade sont sublimes, empreints de poésie et portent parfaitement le récit et ses réflexions.



Lisez Laila Star avant de mourir. Vous mourrez quand même, mais bon, vous mourrez émerveillé.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
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Toutes les morts de Laila Starr

Rendez-vous avec la Mort.



Un bébé naît. Il découvrira le secret de l'immortalité une fois adulte. Alors dans la tour d'ivoire des dieux, on restructure tout le service, et le Conseil licencie la Mort bientôt inutile.

On lui octroie tout de même le corps d'une humaine fraîchement décédée, et à elle la vie de mortelle. Enfin... LES vies. Toutes les vies, et toutes les morts.



Cette BD est faite de rencontres. Qui permettent de dévoiler les forces et vulnérabilités des personnages, pleins d'humanité.

Des rencontres dans une Mumbai colorée, éclatante et attristante ; où les divinités, le rapport à la mort et au temps à vivre sont propres à la culture indienne.

Des rencontres qui valent parfois quelques fulgurances narratives audacieuses, à mesure que l'on croise le fantôme d'une petite fille hantant un hôpital, un corbeau funéraire qui parle, mais aussi une cigarette qui se consume ou l'âme d'un temple chinois esseulé...

Cette BD est faite de liens, parfois fugaces, mais de choses qui se nouent, d'échanges, de personnes qu'on peut appeler ami·e·s, de choses qui se crispent et se déchirent.

On sent la maîtrise narrative, la maîtrise de l'ellipse, des mots.



Et cette Mort et cet humain qui n'arrêtent pas de se croiser, liés l'un à l'autre.

Toutes ces rencontres marquées par la finitude des choses. Marquées par la mort. Et pourtant c'est une BD gorgée de vie(s), d'une certaine philosophie, d'une poésie et d'une douceur qui la rendent un brin mélancolique mais intense. C'est une BD qui célèbre la vie et nous fait apprécier ce qui la rend si belle.



Dans un trait délié, esquissé, qui frappe avec quelques visions saisissantes ; dans de grandes cases qui respirent mais restent dynamiques, vivantes.

Très colorée, avec de fortes dominantes de bleu, de rose et d'orange, souvent douces, parfois électriques. De la couleur des souvenirs, apportant une atmosphère toute particulière à l'album, très belle, poétique.

À l'image des mots.



Également allégorie et critique du monde du travail néolibéral, de l'obsolescence programmée, elle interroge surtout notre propre rapport à la mort – et donc avant tout à la vie.



Elle laisse une douce mélancolie colorée au creux du cœur, loin d'être déprimante. Un amour pour ses proches, pour le miracle répété de chaque battement de cœur, au goût de sel (de mer, des larmes). On en sort étrangement apaisé·e.

Après l'avoir refermée, il a fallu une pause sans rien faire. Un temps, une respiration. Un souffle de vie.



Cette BD est un voyage. Un voyage par-delà la mort, par-delà les vies.

Un voyage qu'il est beau de faire.
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These Savage Shores

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018/2019, écrits par Ram V, dessinés et encrés par Sumit Kumar et mis en couleurs par Vittorio Astone.



Quelque part vers la côte de Malabar, Bishan est allongé dans l'herbe et Kori lui caresse les cheveux. Elle lui pose rituellement la même question : comment as-tu été fait ? Bishan lui raconte la naissance du monde : un dieu tout puissant l'a créé. Il s'est ensuite allongé pour se reposer, et de sa cuisse sont sorties les créatures comme Bishan, et lui-même. Ils étaient habités par une faim inextinguible et ils ont tout dévoré, allant jusqu'à manger le dieu lui-même. Elle se demande de quel individu elle est ainsi tombée amoureuse, une bête capable de manger son géniteur. Il répond qu'il est une bête sauvage qu'elle doit civiliser. Elle se demande ce qu'elle-même sait de la civilisation. Un commandant de navire écrit dans son journal de bord, commentant sur son voyage : transporter un unique passager jusqu'aux côtes de Malabar, pour le confier aux bons soins du colonel Smith. Il se fait honte d'avoir accepté cette mission et de ne pas oser tenir tête à son passager : Alain Pierrefont. Celui-ci est un vampire et il s'est un peu trop lâché à Londres attirant une attention mal vue. Du coup, le comte Grano a décidé pour lui qu'il serait mieux qu'il aille faire un tour dans les colonies, loin surtout.



Le navire finit par arriver à Calicut, sur la côte Malabar, et Alain Pierrefont sort de sa cabine, remettant une lettre au capitaine pour qu'il l'apporte en main propre dans une propriété de Hampstead. Le capitaine répond qu'il la fera porter, Pierrefont insiste sur le fait qu'il doit le faire lui-même. Mais le capitaine lui déclare que non, parce qu'il ne lui doit rien. Finalement, Pierrefont monte à bord d'une chaloupe qui l'amène jusqu'au port, où il est accueilli par le colonel Smith en personne. Ce dernier lui explique que son hôte remplira les fonctions d'attaché culturel afin de promouvoir les intérêts de la Colonie des Indes dans les contrées à l'intérieur des terres. En réponse à une question, le colonel explicite l'enjeu stratégique : établir une route commerciale à travers le pays. Il ajoute que le prince Vikram des Zamorin l'hébergera. Même s'il est encore un enfant, il essentiel de cultiver son amitié, car son père s'est immolé par le feu plutôt que de se rendre à Ali Hyder de Mysore. Non loin de là, au coucher du soleil, Bishan emmène Kori voir un arbre particulièrement vieux, dont les racines ont fini par ressortir et entourer le tronc. Elle lui repose la même question : comment a-t-il été fait ? La réponse diffère : il a été fait à partir du sang des dieux, il descend de l'un des sept sages.



Ram V est un scénariste qui a commencé par des comics indépendants comme Paridoso, avant de travailler pour DC Comics sur des séries comme Justice League Dark et Catwoman. Il se diversifie donc en écrivant cette histoire publiée par un petit éditeur Vault, ne disposant pas forcément de beaucoup de moyens. Pourtant le lecteur est tout de suite frappé par la qualité de la narration visuelle, certainement pas un artiste débutant bâclant ses planches pour boucler ses fins de mois, et peut être même les débuts. Au contraire, Sumit Kumar réalise des planches très professionnelles, donnant de la consistance à ce récit qui emmène le lecteur dans un endroit inhabituel pour un comics américain : l'Inde de la fin du dix-huitième siècle. Il est vraisemblable que la mise en couleurs ait été faite à l'infographie, optant pour un rendu de type peinture, avec de superbes effets d'aquarelle, de très beaux jeux sur les nuances d'une même teinte. L'artiste fait osciller le rendu entre une mise en lumière naturaliste, et un choix de teinte principale pour donner une identité à une scène, habillant habilement les fonds de case quand le décor n'y est pas représenté en arrière-plan. L'impression générale de chaque page est donc celle d'une bande dessinée européenne, avec une qualité de production élevée.



L'artiste choisit de positionner sa représentation des personnages entre l'immédiateté visuelle des comics et la prestance des bandes dessinées franco-belges. Les personnages sont majoritairement élancés (l'artiste ayant une petite propension à étirer discrètement les silhouettes), avec une forme d'élégance naturelle, et des tenues reflétant leur condition sociale : militaire gradé ou non, aristocrate anglais, sultan indien, simple paysan, danseuse, concubine, etc. Pour autant, il n'oppose pas les uns avec les autres, mais les place sur un même plan d'existence, ne jouant pas sur la facette cosmopolite ou exotique. Le lecteur ressent bien que tous ces êtres humains (et les quelques autres) évoluent dans un même environnement, à pied d'égalité quant à leur présence corporelle. À plusieurs reprises, il s'arrête devant une case ou une page, soit pour ses qualités descriptives, soit un moment saisissant. Par exemple, il prend le temps de regarder les navires à voile arrivant vers les côtes de Malabar, la façade de la belle demeure du comte Grano, la façade du palais du prince Vikram, l'étendue des branches du vieil arbre, le palais de Mysore, l'aménagement intérieur de la tente du khan, la vue en hauteur de Calicut, etc. Tous ces endroits sont représentés avec soin, que ce soit pour le niveau de détails, ou pour la reconstitution historique. De la même manière, le dessinateur conçoit des plans de prise de vue très parlants, avec une direction d'acteurs très juste pour des scènes comme la danse de Kori, le cortège du peuple accompagnant la parade à dos d'éléphant du prince Vikram, la chasse au léopard, le carnage perpétré par Bishan sur un champ de bataille, le duel bestial entre le comte Jurre Grano et Bishan.



De la même manière, le lecteur prend vite conscience que le scénariste raconte une histoire fournie sur l'expansion commerciale et militaire de l'empire britannique en Inde, avec deux points de vue : celui politique du positionnement du prince Vikram, et celui de l'aventure surnaturelle avec la présence d'un vampire et d'une créature à la nature mystérieuse. Il n'y a pas besoin de posséder des connaissances historiques pour comprendre le premier fil narratif. Il court en toile de fond rappelant que la Grande Bretagne fut à la tête d'un empire où le soleil ne se couche jamais, un tout petit pays ayant lâché la bride à sa soif expansionniste inextinguible, sous une forme colonialiste. L'auteur parvient bien à faire apparaître la position fragile de l'armée britannique, forte de plusieurs milliers d'hommes, mais très dépendante des guerres intestines du pays dont elle exploite les richesses, car incapable de résister si tous les royaumes venaient à s'unifier. Par petites touches organiques, Ram V montre la fragilité de la position dans laquelle se trouve le prince, les choix politiques du sultan, et une partie des morts au combat. Il ne s'agit pas d'une fresque historique mais d'une toile de fond ; d'un autre côté ce n'est pas non plus un décor en carton-pâte qui pourrait être remplacé par n'importe quel autre endroit à 'importe quelle autre époque. Le lieu et la période nourrissent le récit.



De la même manière, le fil narratif relatif aux monstres (vampires, Bishan) n’est pas générique, mais n'est pas non plus le cœur du récit. Le lecteur se demande bien quel genre de monstre est Bishan, et il n'est pas déçu de son apparence. Pierrefont et lui s'affrontent dans un combat dantesque, rendu visuellement intéressant par une prise de vue bien étudiée, et des cases qui ne se limitent pas à des poses conventionnelles éculées. Le scénariste ne se lance pas dans une version personnelle de la mythologie des vampires, s'autorisant à faire en sorte qu'ils puissent se déplacer de jour au soleil sans en souffrir. Il apparaît rapidement que les personnages principaux sont Kori et en creux Bisham. Pour autant ils ne sont pas de toutes les planches, et ils ne sont pas les déclencheurs ou les acteurs de tous les événements, Bisham restant même en retrait, un mystère qui ne se dévoile que très progressivement. Ram V met en scène l'amour entre une mortelle et une créature surnaturelle vraisemblablement immortelle. Dès la première page, la question essentielle du récit est posée par elle à lui : comment as-tu été fait ? Elle est posée à plusieurs occasions toujours par Kori à Bisham. À chaque fois, elle suscite une réponse prenant la forme d'une sorte de conte ou de parabole. À chaque fois, ça éclaire Bisham sous une lumière différente, mais ça indique également que son histoire et sa nature sont le fait de circonstances extérieures, que sa personnalité provient essentiellement de l'environnement dans lequel se déroule sa vie. Le lecteur peut y voir la métaphore de toute vie, que ce soit celle de Kori, des autres êtres humains, mais aussi de l'Inde elle-même, ainsi qu'un commentaire sur l'inéluctabilité du changement et le peu de maîtrise que l'individu peut avoir dessus.



Il est vraisemblable que le regard du lecteur soit attiré par la couverture très réussie de l'ouvrage et que l'envie lui prenne de le feuilleter. Il découvre une mise en couleurs agréable, des dessins à l'apparence soignée, et une intrigue qui ne se devine pas en feuilletant. Il plonge tout de suite dans une ambiance un peu exotique, assez chaude, intrigué par le mystère de celui appelé Bisham, curieux de savoir quel genre de vampire est Pierrefont, intrigué par l'environnement inhabituel pour un comics (l'Inde à la fin du dix-huitième siècle). Il est vite séduit par les deux principaux protagonistes et par la narration visuelle, pris par les tensions entre empire britannique et différents royaumes. Il se rend compte qu'il se retrouve en immersion complète dans ce récit intrigant, captivant, plein de suspense, avec une dimension réflexive discrète et intelligente.
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