Sonnet de l’amour sans phrases
Et puis l’Ennui nous vint qui fana sous ses doigts
Notre Amour, cette fleur absurde et printanière
Éclose souviens-toi, boulevard Poissonnière,
Quand les nids commençaient à chanter sous les toits.
On s’est bien aimé deux – à n’en plus finir – mois.
Moi d’après ma façon, toi selon ta manière.
Deux mois ! Ce n’est pas rien pour ma moelle épinière,
D’autant que l’on comptait trente et un jours, je crois.
L’amour a son mystère et le cœur ses abîmes.
Je ne me souviens plus sur quel mot nous rompîmes,
Mais je suis bien certain que ce fut galamment,
Sans phrases de dépit, sans nous faire de scènes :
Tandis que tu partais au bras d’un autre amant,
Pour Auteuil, je prenais l’omnibus de Vincennes.
A NANA
d'après l'Anthologie grecque
Tu m'as trahi, Nana, cette nuit, je le vois.
Tout me le prouve, tout: tes yeux fanés, ta voix
Qui ne peut me tromper, ta démarche lassée...
Cette guirlande à tes cheveux entrelacée,
Qui s'écroule... et tel un coquillage où les flots
Ont, en partant, laissé l'écho de leurs sanglots,
Ton oreille meurtrie et de baisers rougie,
Qui tinte encor du bruit des flûtes de l'orgie.
Quand mon verre est vide, je le plains; quand mon verre est plein, je le vide.
RÉPHORME DE L’ORTOGRAPHE
Akadémissiens de la grrande Ainstitute,
Ki potacé san sesse et ki repotacé
Ce bo diktionair ke partou lon raipute
Tan kil ne restera plus zun mo de phrancé ;
Bien ke je soi de vou tout à faite inconue
Lécé-moa vou çoumaître, ô doqtes Imortel,
Une idé magnifike, idé ki mais venue
Un çoir ke jean tandais chanté Guyome Tel.
Je panse ke danz un éta des mots kratike
Il ait bien maleureu de vouar k’un grrand Ceigneur
Ecri kelkefoi moin bien ke son dos mestike
San conpté ke çouvant il sen fête un oneur.
On conai l’ortografe ôci dé kuizinière
Ki pace an phantézi tou ce con peu rêvé,
L’ânerie à tou qoup i montre son dériaire.
Alecsandre DuMat conpte kil an avé
Tune, ortografian de phaçon for chanpaître
Son non, tel ke lu fai le phis du grand Sophi,
Aile n’an koncervai pa une ceule lètre,
Karr se noman Sophie elle éqrivai çauphy.
Mécieux, ci tou les jeans n’on pa la mêm ohrthographe
C’ait qe bôcou d’antreu ne l’aprire jamets,
D’ôtres i son rebèle inci k’une jiraphe,
Et kelkes-uns ôci s’an phiche, jean cOhnets.
...
Madrigal
Comme il faudrait, reine de mes amours,
Un rythme aux précieux contours
Pour célébrer l’originalité
De ta fière beauté,
Je ne saurais, vois-tu, trouver des mots
Qui soient d’assez parfaits émaux
Pour enchâsser dans leurs flancs précieux
La grâce de tes yeux.
La neige auprès de toi semble du lait,
Le lys royal est ton valet,
Le cygne est blanc, mais il faut pour cela
Que tu ne sois pas là.
Il me vient plus de chaleur et d’éclat
De ton visage délicat
Que du soleil qui fait fleurir les fleurs
Aux cent mille couleurs.
Je ne sais pas de son plus étonnant
Que ton parler si doux sonnant
Et les oiseaux qui ravissent les bois
Sont jaloux de ta voix.
Auprès de toi, fleur de ma passion
Toute grâce est illusion
Et le regard d’un Dieu te fanerait
Et te profanerait.
CHANSON DE RIEN
Je ne suis rien et je suis tout ;
Et tant que le monde sera monde
Il en sera toujours ainsi.
Tout ce qui n’est pas c’est bibi,
Et ne sera jamais, aussi ;
Ce qui n’est plus, bibi toujours.
Le nul est un de mes rêves,
Le zéro une idée que j’ai eue
Quand je tétais encore le futur.
Je suis habillé de peut-être,
L’illusion me sert de peau
Et l’impossible est mon chapeau.
Je suis le vide qui fait : miam, miam ;
Je mâche tout le jour le vent
Et je me grise avec du flan.
Quand vous entendez le silence,
C’est moi qui hurle dans les bois
Comme si j’avais de la voix.
Je ne suis rien et je suis tout.
En vérité je ne sais si
Je me fais comprendre partout.
Suis-je fatigué de repos,
Je m’assois au bord du néant
Les pieds pendant sur l’incréé.
Je suis là, et je n’y suis pas
Tout à la fois, et cependant
On ne me trouve nulle part.
Bref, dans le vide frénétique,
Je suis l’effort que font les choses
Pour tâcher de ne pas être.
CHANSON DE PRINTEMPS
Carpe diem.
Alerte ! alerte !
Les bois, les champs
Sont pleins de chants
Et d’herbe verte.
Le gai Printemps
Arrive. Il pose
Son pied de rose
Sur les autans.
Un doux mystère
Va s’accomplir,
Et tôt remplir
Toute la terre.
Muse, debout !
Allons, Lolotte,
Voyons, ma crotte,
Debout, debout !
De ta fenêtre
Oy le babil
Du jeune Avril
Qui vient de naître.
Quoi ! ce beau temps
Ne te redonne-
T-il pas, mignonne,
Tes chers vingt ans ?
Moi ? vois ma veine,
Je crois avoir
Comme Séquoir
Dix ans à peine…
En quoi j’ai tort,
Vu que ce sage
Malgré cet âge
Est plutôt mort.
Avril est vite,
Fuitif combien !
Puisque aussi bien
Il nous invite,
Mets ton chapeau
Le plus modeste,
Fous-moi ma veste,
Allons, hop ! oh !
À la campagne
Fuyons ce veau
D’Esprit Nouveau…
Qu’il ne nous gagne.
Mais quoi ! déjà
D’ergot à crête
Te voilà prête !
C’est gentil, ça.
Vois-tu, ma reine,
Il faut aller
Nous trimballer
En des Suresne,
En des Chatou,
En des Joinville,
Des Chatnoirville
Ou, n’importe où
Propre aux bitures
— Es bord de l’eau —
De picolo
Et de fritures…
Tu m’aimeras
À la desserte,
En tout cas, certe,
Me le diras ;
C’est ton affaire.
Pour quant à moi
Sans plus d’émoi
Je ne puis faire
En ce beau jour
D’effort pour croire
À d’autre histoire
Qu’à ton amour.
Cette romance
Est folle — on sait —
Et d’ailleurs, c’est
Sans importance ;
Car — dieu merci !
Lorsque moi-même
Je dis : « Je t’aime… »,
Je mens aussi.
pp.184//187
Quand mon verre est vide, je le plains.
Quand mon verre plein, je le vide.