Titres de la collection La brune de l'année 2021
Aimer sa famille est une obligation complexe proche du masochisme. Accepter d’être une réplique, une pâle copie, comme on dit, ou bien une mutation génétique, dernier maillon atavique, déjà en décomposition. Un clone ou un monstre, autant dire. Accepter d’office la décollation du moi, chantage compris. C’est pas toujours facile. Je suis sans doute trop narcissique pour consentir à devenir la truie attitrée de « ma tribu ». Peau rose, cuisses calibrées, mamelles pendantes. Non merci. L’adolescence m’a indiqué la direction de ma première ligne de fuite. Je l’ai suivie sans hésiter.
Avant de le rencontrer, j'avais posé des balises bien précises dans le champ des rencontres que j'allais potentiellement faire.
D'abord, éliminer les lâches, puis parmi ceux qui restaient, les machos,
les infidèles, les incultes, les radins, les mecs de droite,
les possessifs, les autoritaires, les trop gentils, les bavards
et enfin les fils à maman.
J'ai rencontré Robin avec de multiples éliminations d'office.
Beaucoup trop vite, je me suis félicitée d'avoir décroché le gros lot ...
Mais voilà, j'avais tout simplement omis les menteurs dans ma liste.
C'était une erreur de débutante.
La vieillesse est une phobie. Autant la mienne, à venir, que celle des autres, avérée. Je ne vieillirai jamais. Je ne planterai pas de petits navets et je ne trônerai pas dans une ruche d'assistés. Je mourrai quand je le déciderai. On ne me gavera pas de karaoké ni de bouffe en gelée. au mieux, j'inventerai un monde parallèle, ou bien je me tuerai. (p.12)
Parce que plus je vieillis, et moins je supporte d'avoir peur. Alors je m'oblige à affronter tout ce qui m'effraie. Et marcher dans le noir de la campagne, la nuit, est encore une épreuve difficile. On affronte ses peurs dès lors qu'on accepte d'y renoncer. (p.76)
Ce qu'on dit de moi, suffit à ma vengeance. je n'en réclame pas autant. Mon mari est mort à la chasse, foudroyé par une crise cardiaque.
(...)
Longtemps que je n'étais plus sa "colombe" mais plutôt sa pigeonne. Ou plutôt la dindonne de sa farce abjecte.
Il a un rapport primaire aux choses, exactement celui des gens vivant en harmonie avec la nature. Mais moi, je suis une dévoyée de l'évidence, une littéraire. La lecture m'a vrillé l'esprit à tel point qu'il est devenu une torpille chercheuse de sens, sans cesse en action.
Une torpille qui perfore les instants spontanés et innocents comme celui-ci...
( p.144)
« Plus on attend ton retour, plus le salon se peuple... Nos mouvements meublent l'espace laissé vide par ton corps évaporé un matin, ils l'habitent plus encore que nous-mêmes. Nos paroles comblent les échos de ton silence. Ça remue dans tous les sens et la vie grouille et fourmille entre les murs. Le salon n'est plus une zone neutre. Il a désormais une odeur, une respiration parfois haletante et des battements de coeur. Il se contracte, il se dilate. »
L'euphémisme est la figure de style favorite des maisons de vieux, la dragée magique réconfortant les douloureuses escarres des vieilles Cathos et Magdelon
- Soyons claires, Alphonsine. Je ne suis pas altruiste et même plutôt centrée sur ma personne. Je ne vous ai pas enlevée pour m'occuper de vous ni pour me lancer dans l'humanitaire. Admettons qu'il s'agisse de vous rendre service quelque temps... Disons que j'ai eu pitié. Faudra respecter mon indépendance et recouvrer la vôtre... Je ne sais pas comment vous vous débrouilliez chez les matelots... Je ne suis ni aide-soignante ni infirmière. Alors, je vais être franche avec vous. Il est hors de question que je vous lave avec un gant mouillé, que je vous prépare vos habits le matin, que je vous fasse boire du minestrone à la cuillère, que je pèle vos poires dégoulinantes de jus poisseux ou que je coupe votre viande en menus morceaux...
Hors de question également que l'on s'occupe à faire des petits coloriages à la con ni que l'on écoute du Michel Sardou pour passer le temps.
- Non, bien sûr. Vous me prenez pour qui ?
On ne s'autorise jamais assez à rêver d'un monde meilleur ou d'une seconde jeunesse.