A Latvala j'aimais tout: l'odeur et le moindre détail des pièces sombres et fraîches, l'ordre absolu régnant dans la cour, et la proximité du fleuve.
Ma chambre était la chambre d'été, située derrière le salon.
Elle baignait dans une atmosphère d'antan.
Je dormais dans un vieux canapé convertible brun, en bois.
J'étais chez moi pourtant je ne devins jamais intime avec oncle Eino et tante Marjaana.
Ils étaient bien trop pris par les travaux de la ferme pour s'accorder avec mon âme d'enfant.
Les gens naissent avec des cailloux dans le cœur, expliqua Sonja d'un air grave. C'est pour ça qu'ils prient tellement. Ils demandent que le poids de ces cailloux s'allège.
Léo et Sonja étaient des créatures engendrées par quelque étrange vent de la nuit. Il ne pouvait en être autrement, tant ils étaient différents de leurs parents. Ils avaient l'esprit bohémien. Quand ils étaient ensemble, ils avaient, l'un comme l'autre, une totale liberté de conscience, débarassée des chaînes de la religion ou de l'éducation. Certes, vu de l'extérieur, ils faisaient exactement ce que l'on attendait d'eux. Ils se recueillaient chaque jour avec leurs parents, les accompagnaient souvent aux assemblées du village et participaient tous les ans aux grandes fêtes piétistes organisées dans le pays - ils connaissaient sans doute au moins une centaine de cantiques et de prières par coeur. Mais, à l'intérieur d'eux-mêmes, ils possédaient un univers qui n'appartenait qu'à eux, et où aucun adulte n'avait sa place.
Mais peu à peu je pris mieux conscience du fait qu'il était mon grand-père. Pas une seule fois il ne me regarda, il me souriait, comme par l'intermédiaire du fleuve dont l'eau scintillait en contrebas et qu'il ne quitta pas des yeux, tout en parlant de sa voix basse et tranquille.
Tout serait à la fois parfaitement identique et différent. Et tu sais pourquoi? Parce que la réalité - nos pensées, nos connaissances, nos idées - n'est que le produit de notre imagination. C'est avec elles que nous nous construisons, exactement tels que nous le voulons, avec égoïsme, sans avoir le choix ni de latitude d'action, et la réalité à laquelle nous sommes confrontés n'y change rien. Nous nous traitons nous-mêmes comme notre esprit nous a déjà traités. Nous tenons de noires baïonnettes à la main et n'avons de cesse de vouloir nous en servir. C'est notre crime commun, pour lequel il n'y a pas de rédemption.
Dans notre innocence d'enfants .ce qui s'était fait jeux en nous .et continuait de croitre de plus en plus fort .remplissait toutes nos pensées.
Je suis vraiment fier, mais est ce que la fierté sert à quelque chose, en fin de compte? Tu vois, il y a une fierté qui surpasse toutes les autres, ajouta t il avec gravité. Celle de savoir choisir. La première fois qu'on fait un choix, la fierté se manifeste et ne disparaît plus, sauf si on veut y mettre fin soi même....
La mort est une chose étonnante. Elle est un brigand aux mille visages qui, au moment opportun, jour les miséricordieux. C'est cela qui la fait vivre et ressembler au Rédempteur. La mort fait croire au bien-fondé de ses actes.
Nous nous serrâmes les uns contre les autres, contre le sang rouge de Sonja, et contre notre innocence, en riant avec frénésie. Et nous tournoyâmes ainsi vers la première mort de l’été
La mort nous était indifférente. Nous ne la connaissions pas et nous n’y pensions pas, jusqu’à ce qu’elle surgisse dans notre existence, cet été-là.
Nous arrivâmes au coude du fleuve et rebroussâmes chemin en direction de Latvala. Mais on avait déjà vu bouger les "miroirs de commères" placés aux fenêtres des maisons, preuve que notre présence avait été enregistrée. C'est ainsi que les gens surveillaient les allées et venues sur la route déserte qui fendait les champs.